Obama n'a pas changé la politique étrangère américaine: pourquoi?

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Fedor Loukianov - Sputnik Afrique
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Obama avait un avantage sur les autres car, tout nouveau au Capitole (sénateur depuis 2005), il n'était pas responsable des fautes antérieures.

Et alors, répondant à la critique de son opposant, Obama a dit : "Je me suis levé et me suis opposé à cette guerre, sachant qu'il était politiquement risqué de le faire. Car non seulement on ignore combien elle coûterait, quelle serait notre stratégie de sortie, comment cela affecterait nos relations à travers le monde ou si notre renseignement a raison, mais également parce que nous n'avons pas fini notre travail en Afghanistan" (I stood up and opposed this war at a time when it was politically risky to do so because I said that not only did we not know how much it was going to cost, what our exit strategy might be, how it would affect our relationships around the world, and whether our intelligence was sound, but also because we hadn't finished the job in Afghanistan).

Magnifique discours. Sauf qu'il ne concerne pas la Syrie et ne date pas d'automne 2013 mais de 2008, quand le candidat à la présidentielle Obama était opposé au républicain John McCain lors des premiers débats télévisés. Il parlait alors de la guerre en Irak, particulièrement impopulaire à l'époque. McCain, lui, devait soutenir une cause perdue : défendre l'administration sortante en pleine crise économique et alors que la fatigue des Américains face à toute initiative étrangère était à son comble. Obama avait un avantage sur les autres car, tout nouveau au Capitole (sénateur depuis 2005), il n'était pas responsable des fautes antérieures. Les "mains propres" du politicien noir vis-à-vis de l'establishment washingtonien ou des dynasties politiques ont joué en sa faveur et il est devenu le symbole du renouveau auquel aspiraient beaucoup d'Américains. En d'autres termes, on attendait de lui qu'il fasse les choses différemment.

Un an plus tôt, à l’été 2007, Barack Obama était simplement candidat pour représenter le parti démocrate dans la campagne présidentielle. Il avait alors publié dans le Foreign Affairs un article de campagne sur la politique étrangère. "Une diplomatie logique appuyée par l'ensemble des outils de la puissance américaine – la politique, l’économie et l’armée – pourrait apporter des succès même lorsqu'il s'agit de négociations avec des adversaires aussi intransigeants que l'Iran et la Syrie… La diplomatie, combinée à la pression, pourrait également détourner la Syrie de son ordre du jour radical vers une position plus modérée – ce qui aiderait ensuite à stabiliser l'Irak, isoler l'Iran, libérer le Liban de l'emprise de Damas et sécuriser davantage Israël." (Tough-minded diplomacy, backed by the whole range of instruments of American power -- political, economic, and military -- could bring success even when dealing with long-standing adversaries such as Iran and Syria… Diplomacy combined with pressure could also reorient Syria away from its radical agenda to a more moderate stance -- which could, in turn, help stabilize Iraq, isolate Iran, free Lebanon from Damascus' grip, and better secure Israel)

"Au final, aucune politique étrangère ne peut réussir avant que le peuple américain la comprenne et sente qu'il a quelque chose à y gagner – à condition qu'ils croient aussi que leur gouvernement entend leurs préoccupations", avertit Obama. Et de conclure : "L'Amérique ne peut pas faire face seule aux menaces de ce siècle et le monde ne peut pas y faire face sans l'Amérique". (Ultimately, no foreign policy can succeed unless the American people understand it and feel they have a stake in its success -- unless they trust that their government hears their concerns as well. America cannot meet the threats of this century alone, and the world cannot meet them without America)

Six années ont passé. Barack Obama, entre temps devenu lauréat du prix Nobel de la paix, se voit obligé de lancer une opération militaire contre la Syrie. Une campagne sans objectif précis ni grande envergure. La population ne la soutient pas et comprends de moins en moins les actions du gouvernement. Les conséquences et les frais éventuels sont indéterminés. L'appel de Washington à punir le régime syrien dans le cadre d’une coalition internationale est resté en suspens – les alliés ne s'y opposent pas ouvertement, comme dans le cas irakien, mais pratiquement personne n'a l'intention d'apporter son soutien actif. Les chances d'obtenir l'autorisation du Conseil de sécurité des Nations unies sont nulles. Le président américain sait que l'opération est non seulement dangereuse mais qu'elle risque de donner le résultat inverse à celui escompté, provoquant une réaction en chaîne incontrôlable dans la région. Et en dépit de tout cela Obama est condamné à l'escalade, voire à rejoindre le point de vue de McCain : une attaque chirurgicale serait insuffisante, il faut parvenir à un résultat une fois l'opération lancée.

Pourquoi le président s'est-il autant écarté des intentions et des promesses qu’il affichait dans la seconde moitié des années 2000 ?

Objectivement, Obama est arrivé au pouvoir à un moment difficile. Le système international arrive à un tournant et il est désormais impossible de fermer les yeux sur le fait qu'aucune stabilité ne s'est installée après la Guerre froide, que le lien mutuel étroit entre tout le monde ne signifie aucunement l'intégrité du monde global. Au contraire, en restant inséparable et uni, ce monde se fragmente et ces fragments se comportent d'une manière incompréhensible et imprévisible. Parmi l'establishment politique, Barack Obama comprend mieux que quiconque à quel point la planète a changé et à quel point les anciennes méthodes d'influence sur les processus et leur contrôle ne fonctionnent plus. La force totale des Etats-Unis est pratiquement illimitée mais son application entraîne de plus en plus souvent l'effet inverse. L'absence d'une vision stratégique est due à l'impossibilité de deviner le sens de développement général et non à la qualité médiocre des pronostics. Tout cela tire une croix sur les plans ambitieux du renouvellement ciblé de la politique étrangère, de son adaptation à l'environnement changeant, bien qu'Obama soit parfaitement conscient de ce besoin.

Par nature, Obama n'aime pas la violence et le dogmatisme idéologique parce qu’ils conduisent à l’impasse. Cependant, dans le cadre du leadership mondial des USA et de la culture politique américaine, ces qualités du président sont perçues comme de l'incertitude et de l'opportunisme, ce qui nuit à sa réputation.

Avoir conscience du besoin de changement et percevoir la réalité de manière cohérente sont des conditions nécessaires mais insuffisantes pour construire une nouvelle politique. Malgré ses talents d'orateur, Obama n'a pas su convaincre ses interlocuteurs intérieurs et extérieurs. Pourtant, pour "mettre à jour le leadership américain", il faut pouvoir créer un large consensus en sa faveur. Initialement on estimait que c'était l'atout de ce président mais en pratique, il s'est avéré qu'Obama faisait partie des dirigeants les plus polarisants : l'écart entre la société et la classe politique s'est creusé davantage sous son mandat.

La politique étrangère est secondaire pour Obama, par rapport aux réformes à mener en Amérique, appelées à devenir son patrimoine historique : c’est probablement la principale raison de l'échec d'Obama. Il doit prouver sa propre capacité à agir (c'est-à-dire de faire la guerre) concernant la Syrie car s'il ne le faisait pas, il deviendrait un "canard boiteux" sans volonté, qu'on n'écouterait plus, évoquant les questions de santé, de réduction de la dette publique ou les mesures visant à surmonter la pauvreté et à développer l'enseignement. Il s'avère que, du point de vue d'Obama, les pertes consécutives au refus d'attaquer la Syrie seraient plus importantes qu'un éventuel enlisement dans le marais moyen-oriental. Pour cette raison, une nouvelle guerre dans la région serait un moindre mal, même si cela va à l'encontre de ses principes - et du bon sens.

"Nous ne pouvons pas nous retirer de ce monde ni essayer de le forcer à la soumission. Nous devons guider le monde par nos actes et donner l'exemple", écrivait Obama dans son article en 2007 (We can neither retreat from the world nor try to bully it into submission. We must lead the world, by deed and by example). Paradoxalement, les manifestations les plus négatives de l'hégémonie américaine commencent à remonter à la surface aujourd'hui, quand la limite de ses capacité est de plus en plus en flagrante - et non à l'époque où l'Amérique pouvait pratiquement tout se permettre. En restant les plus forts, sans pour autant se sentir forts, les USA pourraient infliger à tout le monde un préjudice encore plus important par leur incohérence que par leur obstination arrogante du passé. Lorsque "l'exemple" ne mène nulle part, il reste la première phrase : "Nous ne pouvons pas nous retirer du monde ni essayer de le forcer à la soumission".

L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

La Russie est-elle imprévisible? Peut-être, mais n'exagérons rien: il arrive souvent qu'un chaos apparent obéisse à une logique rigoureuse. D'ailleurs, le reste du monde est-t-il prévisible? Les deux dernières décennies ont montré qu'il n'en était rien. Elles nous ont appris à ne pas anticiper l'avenir et à être prêts à tout changement. Cette rubrique est consacrée aux défis auxquels les peuples et les Etats font face en ces temps d'incertitude mondiale.

Fedor Loukianov, rédacteur en chef du magazine Russia in Global Affairs.

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