La Syrie martyrisée. Paris Match témoigne

La Syrie martyrisée. Paris Match témoigne
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Dans son dernier numéro, Paris Match publie des photos très fortes de la décapitation d’un fidèle du régime syrien par un groupe djihadiste. Régis Le Sommier, directeur adjoint de « Paris Match » nous explique les raisons de cette publication et nous livre son approche du conflit syrien.

La Voix de la Russie. Vos photos de Syrie montrant des décapitations sont à peine soutenables. Pourquoi les avez-vous publiées ?

Régis Le Sommier. « Il s’agit de 4 pages comprenant 6 photos différentes et qui mettent en scène la décapitation d’un homme présenté comme un collaborateur du régime par un groupe de rebelles dans la région d’Alep… Ce groupe de rebelles, je tiens à le préciser, malgré la violence des images, n’est pas le plus extrémiste. Il ne s’agit pas d’Al-Qaida mais d’un groupe de rebelles liés à l’ASL, en tout cas qui fait partie de cette mouvance. Il est islamiste radical bien sûr puisqu’il pratique la décapitation.

Ces images ont été prises par un photographe professionnel d’origine turque. Il ne s’agit en aucun cas de manipulation de la part du gouvernement syrien ou de l’opposition. Il faut faire attention car il y a une véritable guerre des images, notamment sur internet. Là il s’agit du travail sérieux d’un photojournaliste. Ces photos sont très dures. Elles sont pénibles à regarder. Je préfère vous dire que l’on a eu l’ensemble des photos sous les yeux et que 80% n’étaient pas publiables. Elles étaient bien trop horribles. Celles que l’on présente sont les plus acceptables, dans notre journal en tout cas. Nous nous devions, au regard de la situation en Syrie aujourd’hui et de ce qui s’y passe, de les publier. Nous avons beaucoup couvert les conséquences de l’attaque chimique du 21 août dans un autre numéro. Cette fois-ci, nous montrons des exactions qui sont commises dans le camp rebelle. En tant que journalistes, en tant que média occidental, il fallait montrer la réalité aussi de l’autre camp, donc ces décapitations.

On nous dira : ce n’est peut-être pas la norme dans le camp des rebelles, mais en tout cas cela existe et c’est ce que nous avons voulu caractériser. Il y a une sorte de surenchère dans l’horreur des deux côtés. Le camp rebelle est réellement gangréné, on s’en aperçoit, par les éléments djihadistes. »

LVdlR. Quelle est votre position sur le conflit en Syrie. Pensez-vous qu’un règlement pacifique soit toujours possible ?

Régis Le Sommier. « Je souhaite bien sûr un règlement pacifique ! J’ai été grand reporter pendant 15 ans et j’ai couvert l’Irak dans tous les sens. Je n’ai pas envie aujourd’hui avec ce que j’ai vu et vécu au cours des dix dernières années, que le monde occidental reparte dans une croisade sans fin dans un pays du Moyen-Orient. Je le dis au nom de nos propres intérêts. Maintenant, au regard du droit international, il y a sans doute encore des leviers qui permettraient d’obtenir la paix. L’initiative russe visant à l’abandon de l’arsenal chimique en est une. Il est intéressant de voir que Barak Obama y a vu une porte de sortie ou en tout cas, une façon d’éviter l’escalade de la violence dans cette zone extrêmement sensible. Il y a des moyens d’éviter une guerre, des moyens aussi d’éviter des frappes… Et si elles ont lieu – les Américains parlaient au début de 50 sites et puis ils sont passés à une centaine – il est évident que les Tomahawk (j’en ai vu les conséquences en Irak) ne sont pas les armes les plus précises… Il y aura donc des victimes collatérales puisque la Syrie est un pays dans lequel zones militaires et zones civiles sont imbriquées les unes dans les autres. Donc il y aura forcément des victimes, sans que cela change la donne sur le terrain la guerre de manière significative dans un sens ou dans l’autre. S’il y a des frappes, après on aura quoi ? Le statu quo ? Avec, d’un côté, les zones contrôlées par les rebelles et de l’autre, les zones contrôlées par le gouvernement et ça pendant encore des années, le risque étant de voir une perpétuation de ce conflit avec des morts, des morts et toujours des morts.

La solution est peut-être, comme cela s’est passé en Irak précédemment, que finalement chacun se regroupe dans sa communauté. Le problème c’est qu’en Syrie, les communautés sont beaucoup plus imbriquées qu’en Irak ! Mais si cette séparation se produit, à défaut d’ennemi visible à côté, les choses se calmeront. Avant, dans ce pays, vivaient en harmonie des gens de diverses confessions : chrétiens, musulmans chiites et sunnites et autres… Ce fut la réalité en Syrie. Maintenant si ces zones deviennent homogènes, la violence diminuera, comme en Irak.

Cela ne réglera pas cependant la question politique en Syrie. Que va-t-on faire des zones rebelles ? Qui va les contrôler? Que va devenir Bachar el-Assad ? Que va devenir le régime ? Que vont devenir les gens qui ont suivi le régime si celui-ci tombe ? Toutes ces questions sont en gestation. C’est une situation extrêmement compliquée. Elle est beaucoup plus compliquée, à mon avis, que la situation irakienne. Elle est une réplique en plus grand de ce qu’a pu être le Liban dans les années 80. Moi, je crois encore à la paix. Je pense que l’initiative de la Russie est la bienvenue puisqu’elle permet en tout cas pour le moment d’éviter les frappes. »

Commentaires de la rédaction. On rendrait raison à notre confrère, mais un problème majeur demeure. Combien y a-t-il de Syriens dans les rangs de l’opposition qui connaît un afflux continu des combattants de l’islam abreuvé par les devises américaines et armés par Washington ? Une chose est sûre : hormis l’Iran aucun pays ne viendra en aide à la Syrie et n’enverra pas une armée pour soutenir les troupes gouvernementales. Et en même temps, les wakhabites accourent de toutes les contrées musulmanes pour soutenir l’opposition. Et malgré cette assistance internationale, la coalition saoudo-états-unienne, n’arrive pas à vaincre l’armée gouvernementale. C’est pas toujours que l’argent décide de tout, Dieu merci !

 

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