Le manifeste des armées analyse par le général du Verdier

Le manifeste des armées analyse par le général du Verdier
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Ancien professeur à l’Ecole de guerre, homme-légende qui, durant plusieurs décennies, a été de toutes les guerres et toutes les initiatives françaises, le général Jean du Verdier monte au créneau pour tenir tête à ceux qui entendent ruiner l’armée, ultime rempart de la civilisation française qui se dresse sur la voie des conquérants wahhabites, envahisseurs de l’Hexagone. Les hommes de cette trempe ne plient pas. Ils restent immuables jusqu’au bout parce que leur patriotisme est un peu leur raison d’être. Jean du Verdier se dit solidaire des Sentinelles de l’Agora qui tiennent la dragée haute à l’Elysée et essaient d’inculquer un peu de bon sens à ceux qui occupent le Château et Matignon. Il soutient le Manifeste pour la Survie des Armées paru sur notre site cette semaine.

La Voix de la Russie. Partagez-vous la prise de position des Sentinelles de l’Agora, auteurs du Manifeste des Armées adressé au Président de la France ?

Gal du Verdier. « Je peux vous dire que je n’ai pas participé à la rédaction, mais je salue ce Manifeste de tout cœur ; Moi-même, j’avais publié un article dans un Journal qui s’appelle Les 4 Vérités où je défendais exactement les mêmes idées. En parlant de l’armée, le terme qu’il convient d’employer est « le démantèlement ». L’armée française a été réformée de fond en comble après 1970. Ce que l’on appelle « Le rapport Bouchard et la loi 1882 ».

Cette réorganisation a été basée sur 3 principes :

d’une part, la permanence de l’organisation en temps de paix et de guerre ;

c’est la subordination des services et des soutiens au commandement ;

et, point très important : la militarisation du soutien.

Cela aurait constitué un ensemble monolithique très solide qui avait permis à la France de surmonter les tempêtes qui se sont succédé depuis cette époque. Et c’est ça qu’on est en train de démolir. Tout comme les Sentinelles de l’Agora, je place le début de cette démolition plus loin. Je pense, cela a commencé à l’époque du Général de Gaulle qui, peut-être même ne s’en est pas rendu compte. On a commencé en 1962, d’enlever aux militaires la responsabilité de la gestion de leurs finances. Cela s’est passé quand on a créé le Secrétariat Général à l’Administration. C’était la première étape.

Deuxième étape, très importante aussi : suppression en 1981 des Tribunaux militaires. Cela a été une façon de nier la spécificité du métier de militaire. Ainsi les fautes commises par les militaires dans l’exercice de leur fonction le rendent justifiable devant la juridiction civile. Cela a un effet pervers ! Cela annihile le retour d’expérience ce qui veut dire qu’un militaire qui revient de l’opération et qui a eu un certain nombre de loupés, a le droit de les décrire pour que la prochaine fois cela ne recommence pas. Aujourd’hui si l’on fait « le retex » honnêtement, on va donner les bâtons aux juges qui ensuite seront saisis d’une affaire.

Ensuite il y a eu Chirac qui a supprimé la conscription, le lien de la nation : tous les hommes passaient 2 ans – 3 ans dans l’armée. Comme vous l’avez fait d’ailleurs ! Il y avait un retour permanent entre l’armée et civils.

Ensuite, il y a une dizaine d’années, on a décidé de confier certaines tâches à des entreprises civiles parce que cela revenait soi-disant moins cher. Ce qu’on a appelé l’externalisation. Sur le moment, cela coûte peut-être moins cher… Et après ? Le jour où vous envoyez les détachements pour participer à une opération à l’extérieur ou faire la guerre sur un territoire ? On ne pourra pas compter sur les civils ! Quand toutes ces tâches de soutien étaient confiées à des militaires, le militaire était taillable à merci. C’est-à-dire le jour où l’on avait besoin de lui comme d’un soldat, il en redevenait un ! Tous les officiers de l’armée, quelle que soit leur spécialité, avait une formation du chef de section d’infanterie. Une fois en Algérie, bien que de formation un ingénieur, je participais à des opérations sur le terrain. Ce retour au personnel des soutiens pour les opérations spécifiquement militaires (et l’on pourrait penser aujourd’hui à des opérations sur le territoire national), on ne l’a plus ! On a une armée qui ne dispose plus de ce volume étendu de personnel qui pouvait lui servir en période de crise.

Voilà pourquoi cette notion d’externalisation, à mon sens, est néfaste pour notre armée. »

LVdlR. L’Armée française se porte-t-elle mieux aujourd’hui par rapport aux années 60 ?

Gal du Verdier. « Vous faites bien de poser cette question à un ancien ! Parce que les jeunes ne sauraient même pas quoi vous répondre ! Les années 60 représentent des années-charnières parce que l’on sort de l’Algérie, et on va entrer dans la période où le Général de Gaulle est entré dans la période nucléaire. J’ai vécu la période algérienne. J’étais en Algérie jusqu’à fin 1959. Et j’ai vécu la période de nucléarisation parce que j’étais dans le Premier Escadron des Mirage 4 nucléaires ; Donc j’ai vécu les 2 périodes.

Pendant la période algérienne, l’armée était politisée. Parce qu’on lui avait confié un travail sur le terrain, un travail politique. Elle était certainement devenue apte à faire ce travail sur le terrain, en Algérie, mais elle avait probablement perdu un petit peu de compétence en ce qui concerne les conflits de haute intensité et à l’échelle internationale.

Après 1962, l’armée est recentrée sur les opérations en Europe. Elle est devenue plus technique, mais pendant toute cette période il ne s’est rien passé ! Et c’est pour cela que l’armée a perdu sa compétence pratique. Elle ne se battait plus !

Aujourd’hui l’armée n’est plus grand chose. Tout comme moi, vous avez lu le Livre Blanc. On voit bien que c’est une armée en peau de chagrin ! En revanche, les opérations extérieures, comme l’opération en Afghanistan, qu’on peut critiquer sur le fond ce qui est mon point de vue aussi quant à ses objectifs, mais sur le plan de l’entraînement des armées cette opération a été très productive. On envoyait des militaires et au retour on recevait des soldats. Cela nous a coûté un millier d’hommes : 70 tués, 700 blessés… L’armée a participé à d’autres opérations, comme au Tchad. Et à chaque fois les armées récupéraient un petit peu de compétences.

Ainsi en 1960 on avait un énorme personnel mais qui n’étaient plus tellement habitué aux opérations de haute intensité dans le cadre européen, moderne ; Alors qu’aujourd’hui on a un petit noyau de gens qui sont bien formés. Ce sont des combattants de valeur, mais c’est tout petit ! C’est ce que disent les gens de l’Agora.

Après l’externalisation, il y a eu une opération très importante : on a passé la Gendarmerie au Ministère de l’Intérieur. Les gendarmes gardent un statut militaire, mais en fait ils se sont rapprochés énormément de la Police civile. Et de plus en plus on risque de voir les deux corps se fusionner et se rassembler. La Gendarmerie avait une vocation militaire, le terme est révélateur… Mais ce sera maintenant de moins en moins des gens d’armes, mais plutôt les contrôleurs de l’autoroute. Ils rempliront de plus en plus des tâches de police et pas celles des soldats ! Cette démilitarisation de la gendarmerie était, à mon sens, une erreur.

Après les Sentinelles de l’Agora ont expliqué qu’à tous les niveaux de la hiérarchie de soutien, on est en train de balayer les militaires qui ont encore parfois la responsabilité de la préparation de leurs armées. Mais qui sont systématiquement mis de côté aujourd’hui. C’est quelque chose qui, à mon sens, est tout à fait anormal. Dans la commission du Livre blanc il n’y a quasiment pas de militaires !!! On a mis par devoir les chefs d’Etat-major des 3 armées ! C’est tout ! Je crois que l’on aurait pu mettre quelques jeunes militaires, officiers au niveau du commandant, lieutenant-colonel… des gens qui réfléchissent à l’Ecole de guerre ! Ces gens-là auraient apporté quelque chose de neuf ! Alors que l’on est allé chercher des notables un petit peu partout, mais qui n’avaient rien à voir avec l’Armée. Et ils ont sorti un travail qui est probablement intéressant mais qui ne sert pas à grand-chose. »

LVdlR. Jugez-vous opportune la manœuvre des Sentinelles de l’Agora qui ont préféré garder leur anonymat pour soulever les grands problèmes concernant l’Armée française ?

Gal du Verdier. « Ils tiennent à leur anonymat. Ils ne veulent pas que l’on puisse mettre en doute leur indépendance. Ils pensent que, s’ils prennent contact comme aujourd’hui avec des journalistes étrangers, il y aura des gens qui vont les attaquer là-dessus et ce ne sera pas bien.

Pourquoi l’anonymat ? Beaucoup de ce gens-là ont encore des responsabilités soit au sein d’Association, soit au sein de publication. Et ils s’engagent dans cette rédaction où ils se sont engagés à titre individuel, mais ils ne veulent pas engager l’organisme qu’ils dirigent ou auquel ils participent.

A propos de l’efficacité de ce Manifeste. Dans le contexte actuel, elle est quasiment nulle. Vous avez vu comment notre gouvernement a réagi aux Manifestations sur le mariage homosexuel : il y a eu des Millions de personnes dans la rue – on n’en a tenu aucun compte. Et le Manifeste de nos officiers supérieurs ou nos généraux, le gouvernement s’assoit dessus, comme il s’est assis dessus sur les manifestations du printemps.

En revanche, si ce Manifeste était republié en période électorale, au moment où les candidats à la Présidence de la République ou les députés vont proposer leur programme, à ce moment-là cela pourrait avoir une certaine influence. Parce qu’on pourra exercer une certaine pression sur les candidats pour leur faire mettre dans leur programme une partie de ce Manifeste. »

LVdlR. Nous, on vous croyait le père spirituel de ce document sans que je vous mette sur la sellette, loin de moi cette idée…

Gal du Verdier. « Je n’ai aucun lien… direct avec eux. En revanche, il se trouve que nous sommes sur la même exactement longueur d’onde. Mais je suis allé un petit peu plus loin historiquement sur la réflexion. Eux, ils sont plus dans le présent. »

Commentaires de l’Auteur . Dans un article qu’il a publié récemment, Jean du Verdier écrit : « Quand l’armée française remplace ses chapelles par des salles polyvalentes, Poutine construit des églises orthodoxes sur les bases militaires. (…) En retour, l’église orthodoxe l’aide dans sa reconstruction d’une identité nationale. A l’issue de son concile de 2006 elle a publié une « Déclaration des droits et de la dignité de l’homme », pendant à la déclaration universelle qui se démarque de l’individualisme amoral des occidentaux ». A mon sens, tant qu’il y aura des généraux de ce type en France, le pays ne sera jamais perdu. T

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