Nantes. Quand l’Ayraultport prend trop d’altitude

Nantes. Quand l’Ayraultport prend trop d’altitude
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Curieusement, certains dilemmes régionaux se transforment parfois en problématiques nationales avec, pour point de cristallisation, des villes encore peu touchées par la grande Colère des Français comme, dans le cas présent, Nantes. Le torchon brûle entre ceux qui soutiennent le très vieux projet de NDDL – pour qui l’ignore, un aéroport sis à Notre-Dame-des-Landes, en Loire-Atlantique – et ceux qui y voient un sérieux inconvénient, tant écologique qu’économique.

L’histoire mouvementée de cet aéroport dont la construction reste pour l’heure hypothétique reflète avec encore plus d’éclat plusieurs facettes sociétales sensibles, à savoir :

- La récurrente réalité des répressions policières accrues et systématiques.

- La montée en puissance d’une lame de fond populaire difficilement contrôlable et mêlant des éléments aussi bien anarchiques que porteurs de modèles politiques alternatifs et surtout compétitifs.

En effet, en toute connaissance de cause, peut-on s’imaginer que l’éventuel transfert de 15 km d’un aéroport vieillot puisse à lui seul entraîner une telle échauffourée ? Bien sûr que non. Il n’y a ni à s’en extasier, pour ceux qui votent le oui, ni à s’en indigner pour ceux qui votent le non. Selon A., manifestant resté anonyme, « ce sont les flics qui ont mis le bordel, eux-mêmes, tous seuls, comme des grands ». Barrant la route à la manifestation au niveau de Commerce, les forces de l’ordre auraient aspergé les gens de gaz lacrymogènes. Peut-être bien, il est difficile de confirmer ou de réfuter cette information si l’on n’a pas été présent sur le terrain. Ceci dit, bon sens à l’appui, on se demande irrésistiblement comment des gens a priori pacifiques pouvaient réagir sur le champ en dépavant le tram pour faire une réserve de projectiles.

Ne fustigeons aucun des deux camps, chacun ayant ses raisons de soutenir ou de rejeter ce qu’au début des manifs, alors donc que régnait encore un climat bon enfant, les participants avaient baptisé « Ayraultport » par allusion à l’enthousiasme pro-NDDL du cabinet Ayrault, héritier, en cela, de la ligne Jospin. Ce qui transparaît aujourd’hui à travers l’image d’une véritable guérilla urbaine, c’est l’interaction de plus en plus contre-productive, voire entropique de la tyrannie policière et d’une effervescence presque entièrement irrationnelle de la Colère populaire. Peut-on dire que les gens sont à

bout ? Sans conteste. Peut-on dire que des revendications le plus souvent pertinentes font d’emblée bon ménage avec des soulèvements disproportionnés, voire infondés, des soulèvements de principe ? Oui, sans nul doute. Ce dernier constat est particulièrement préoccupant, car impossible à réprimer, si ce n’est que par la force … mais, de toute évidence, à court-terme. L’épopée NDDL en est une illustration éloquente. Ni la première, ni la dernière.

Désireuse d’élucider les tenants et aboutissants de cette histoire pleine de zones de turbulence, je me suis adressée à M. Yannick Urrien, rédacteur en chef à la Radio bretonne Kernews dont il est le fondateur.

La Voix de la Russie.«56 % des Français ne sont pas favorables au transfert de l’actuel aéroport, situé au sud de Nantes, vers celui qui doit être construit dans le bocage à 15 km au nord de la ville, normalement d’ici 2020. Si on soustrait les abstentionnistes et les indécis, il n’y aurait plus que 24 % de Français résolument favorables au projet de transfert. N’est-ce pas suffisant, selon vous, pour lancer un référendum national ou du moins régional avant d’entreprendre quoi que ce soit puisqu’on est, du moins officiellement, en démocratie ?»

Yannick Urrien. « D’abord, il faut prendre avec beaucoup de précaution ce type de sondage sur une affaire régionale. On peut très bien prendre au sérieux pour engager une réflexion un sondage qui concerne un sujet d’actualité national concernant tous les Français mais on ne peut pas demander à 80 % des Français qui ne sont pas concernés et qui ne connaissent pas ce dossier leur avis là-dessus. C’est come si on allait demander aux gens qui habitent Lille ce qu’ils penseraient du déplacement d’un centre commercial de Marseille dans un département voisin. On répond donc à la question en fonction de ce qui est à la mode, de ce que l’on ressent dans les médias, des sensibilités plus ou moins bobo. Je ne prends donc absolument pas au sérieux un sondage réalisé à l’échelle nationale sur un sujet qui est exclusivement consacré à une zone de cinq départements. Maintenant, sur notre région même, personne n’a d’études réellement chiffrées sur l’état de l’opinion. Ce que je peux dire, grosso modo, c’est que la plupart des actifs, des entrepreneurs, des chefs d’entreprise sont plutôt pour ce transfert et que la plupart des personnes de sensibilité écologiste se prononcent contre. Voici pour un premier point. Pour ce qui est du transfert, personne n’a véritablement ouvert de débat serein. On a toujours été dans l’invective, dans l’insulte, dans l’anathème, d’ailleurs, comme dans la plupart des sujets de société en France … ce qui montre bien que la France est maintenant une grande démocratie où on peut discuter de façon très apaisée et très sereine sur des sujets brûlants. Et bien non, ça ne fonctionne plus. »

LVdlR. Les principaux fauteurs de trouble seraient des gens issus de la mouvance ultragauchiste et ce qu’on appelle des Black Bloc, c’est-à-dire de jeunes anarchistes. Est-ce que ça correspond à la réalité ?

Yannick Urrien. « Pour comprendre ce qui s’est passé à Nantes, il faut dresser un historique rapide de ce qui s’est passé à Notre-Dame-des-Landes. Il s’agit de déplacer un aéroport de 15 km. Un aéroport, ce n’est pas un immeuble. Ce n’est pas quelques mètres carrés. C’est vraiment plusieurs hectares. Depuis quelques années s’est installée sur la future zone de NDDL une population qui ne travaille pas, composée de militants d’extrême-gauche qui est d’abord venue avec le soutien des paysans de NDDL, des braves gens du bourg qui étaient très contents de voir des jeunes qui venaient avec leurs blousons de cuir, leurs cheveux teints avec des mèches rouges et jaunes, des jeunes venus de toute l’Europe avec des guitares pour animer le bourg au nom de la résistance. On penserait à une sorte de Larzac du XXIème siècle mais un Larzac beaucoup moins pacifique puisqu’à l’époque on y portait de grandes moustaches en jouant un peu aux Astérix et en se contentant de quelques jets de pierre. Aujourd’hui, le progrès technique intervient, on en est à l’ère du Kalachnikov pour tous. Voici ce qu’est donc NDDL. Tous ces gens-là ont crée ce qu’ils appellent une ZAD, une zone à défendre, c’est-à-dire plusieurs hectares de forêt où les forces de l’ordre ne pouvaient plus se manifester sans être aussitôt attaquées. Au bout de quelques mois, ces braves paysans de NDDL se sont quand même aperçus que le combat était inégal, que ces jeunes qu’ils avaient soutenu se retenaient dans une certaine mesure contre eux parce qu’on venait leur demander gentiment quelque assistance financière … ce que certains appelleraient non sans raison du racket. Cette assistance financière est également demandée aux malheureuses personnes qui se promènent sur les routes départementales à côté de NDDL où on se croirait, comme dans les films, dans une république bananière : un tronc d’arbre coupé au milieu de la route avec deux types cagoulés qui sortent et qui vous demandent une gentille contribution pour la zone à défendre, sinon vous faites, dans le meilleur des cas, demi-tour. Il y a donc un véritable racket sur toute la zone, une zone de non-droit avec des gens venus de toute l’Europe qui se définissent comme citoyens du monde et qui agissent presque en toute impunité puisque la police n’a pratiquement plus le droit d’y aller. Quand il y a eu deux ou trois interventions, elles ont dégénéré en bombes lacrymogènes ou en coups de feu. Pour être honnête, on ignore combien sont ces gens mais, en tout cas, ils sont très actifs et font beaucoup peur. Il y a aussi, soyons là aussi honnêtes, des militants écologistes sincères venus de toute la région et qui n’ont jamais fait de mal à personne. Ces gens constituent une grande chaîne humaine, ça se mélange au moment des manifestations où on se donne la main sans chercher à savoir si le voisin est un type fréquentable ou pas. Naturellement, quand ces gens se sont retrouvés à Nantes, ça a très vite dégénéré (…). Des images en direct ont été retransmises par des caméras installées sur des points hauts par les équipes des moyens spéciaux des CRS, des hélicoptères ont permis également de filmer pour essayer de guider les forces de l’ordre dans la gestion de cette manifestation ou plutôt de ce combat. Voici le chiffre obtenu : 576 policiers CRS, 430 gendarmes mobiles, 302 effectifs locaux. Avec en plus le DGPN, on en arrive à pratiquement 1500 personnes. Plus de 2000 grenades lacrymogènes ont été utilisées. C’était vraiment un épisode de guerre parce que les chiffres que je vous ai donnés correspondent à ceux du nombre de soldats en Centrafrique ou au Mali. »

LVdlR. Selon n journaliste breton indépendant, la casse qui a eu lieu donnerait au gouvernement un excellent prétexte d’assimiler l’opposition anti-aéroport à la violence dans ses expressions les plus accomplies. Partagez-vous cette vision ?

Yannick Urrien. « Je ne sais pas parce qu’en réalité tout le monde a bien compris – même le gouvernement l’avait dit, même les habitants – que l’opposition n’était pas derrière cette vague de vandalisme. Ce n’était pas des gens de la Manif pour tous avec papi, mamie ou des enfants. Non ! Rien à voir. En revanche, ce qui est clair, c’est que le gouvernement est entré dans une tradition de répression policière extrêmement forte. Il s’agit vraiment d’une politique sécuritaire qui s’adresse avec la même force que ce soit à la pauvre mamie qui manifeste contre le mariage homo ou au ZADiste. Ladite politique se manifeste même par des interpellations de personnes qui porteraient une chemisette avec un logo ou un slogan qui déplairait au régime en place. Nous sommes donc rentrés dans une période de brutalité et de répression policière étalée sur au moins quelques mois».

Commentaire de l’auteur. Il est à se demander si le PS ne se retrouve pas dans la très incommode posture de l’arroseur arrosé. Loin de nous l’idée de défendre des désœuvrés professionnels adeptes d’un vandalisme aussi stupide qu’absolument gratuit. Cependant, ces gens donnent une certaine idée de ce que pourrait être une révolte populaire d’envergure si la politique extrêmement coercitive du cabinet Ayrault ne revoit pas ses fondements. Les méthodes répressives ne sont jamais efficaces à long terme lorsqu’elles interviennent dans un contexte de rupture sans compromis entre le pouvoir et la nation. T

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