C. de Meyer : Les Syriens distinguent les Français de leur gouvernement

C. de Meyer : Les Syriens distinguent les Français de leur gouvernement
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La tragédie syrienne n’en finit pas de défrayer les chroniques. Bien souvent hélas, celles-ci la présentent sous l’angle d’un scénario dénaturé ou réducteur ramenant aux principes complexes de la guerre de 4ème génération aussi appelée guerre informationnelle et dont la Syrie est devenue l’un des sinistres laboratoires.

Ce qui est blanc est présenté comme immuablement noir et vice-versa. Les symptômes contredisant cette inversion opportuniste sont tout bonnement gommés ou minimisés. Ainsi, et nous ne saurions en dire trop, du sort enduré par les chrétiens.

Plus de 1700 églises syriennes ont été profanées ou rasées en trois ans de guerre. Ce chiffre aujourd’hui très approximatif car périmé avait été mentionné par François Belliot (cf. Réseau Voltaire) dans un article datant de mai 2013. L’auteur y évoque avec une verve à peine réprimée et bien compréhensible «l’imposture que constitue le prétendu Observatoire syrien des Droits de l’homme » qui, falsifiant la réalité, contribuerait à augmenter la tension entre une opposition sunnite plus ou moins modérée (on en parlait encore, quoiqu’avec de fortes réserves, l’année dernière) et les îlots chrétiens subsistants. Les faux rapports présentés par l’observatoire s’inscrivent dans l’optique des accords Sykes-Picot de 1916 visant à retracer la carte du Moyen-Orient en partageant ses régions en zones d’influence occidentales. Fort malheureusement pour les pays concernés, ce projet aussi ambitieux que criminel se solde par une disparition progressive tant d’un islam tolérant, conciliateur et riche en traditions que du christianisme en soi.

Comment se fait-il que la presse française n’ait pas fait connaitre la voix de Grégoire III Laham, patriarche de l’Eglise catholique melkite ? Cet homme avait pourtant plus d’une fois signalé les multiples accrochages qui avaient assombri les relations entre musulmans et chrétiens à « Homs, à Qusayr, à Yabroud et à Dmeineh Sharquieh », accrochages découlant de la politique de désinformation systématiquement menée et favorable aux courants dits rebelles. Seul le quotidien de sensibilité catholique La Croix avait honoré le patriarche de son attention à travers l’article de François-Xavier Maigre. Il n’est pas si faux de voir dans le carcan syrien un écho de l’insolvable confrontation israélo-palestinienne dans la mesure où la campagne de désinformation déployée, toujours dans la logique du projet franco-britannique, sert ou du moins croit servir les intérêts de Tel-Aviv. Ce calcul cynique et fatal invalide tous les efforts fournis par le mouvement Mussalaha, organisation à but non-lucratif œuvrant pour la paix entre Israéliens et Palestiniens. Il invalide également une bonne partie des efforts médiateurs entrepris, pour ne citer qu’un exemple d’actualité, en Syrie.

Mais il y a pire. Certaines chaînes de première ligne comme la BBC en Occident ou Al-Jazeera dans le monde arabe ont tendance à politiser la cause chrétienne, si bien que les chrétiens sont souvent présentés comme d’odieux « collabos » à un régime dont Mgr Antoine Audo, évêque des chrétiens chaldéens de Syrie, n’hésitera pas à dire, faits à l’appui, qu’il est soutenu par 80 % de la population. Va encore pour Al-Jazeera qui est une chaîne qatarie dont les sympathies vont bien sûr vers les salafistes, mais que penser de l’implication presque directement antichrétienne d’une chaîne censée représenter le monde anglo-saxon ? On retiendra également la campagne de dénigrement de Mère Agnès-Mariam de la Croix que l’on a voulu tenir pour responsable de la mort de Gilles Jacquet (une accusation à dormir debout) ainsi que la critique virulente dont elle devint l’objet en août 2013 suite à l’attaque chimique perpétrée dans la banlieue de Damas et dont la religieuse dira à maintes reprises qu’elle n’avait pu être commanditée par Bachar al-Assad. Quelques mois plus tard, le New York Times confirmera la non-implication du Président syrien dans l’attaque du 21 août.

Cette politique de diabolisation des « collabos chrétiens » coûte extrêmement cher à l’ensemble des communautés chrétiennes ainsi qu’aux minorités musulmanes et aux sunnites modérés de Syrie.

Ceci étant, heureusement qu’il y a des gens comme Charles de Meyer, fondateur de l’association SOS Chrétiens d’Orient et rédacteur en chef de Nouvel Arbitre, pour mettre les points sur les i en se rendant sur le terrain comme il l’a fait à Noël dans le cadre de son magnifique projet humanitaire « Noël en Syrie » et comme il le fera d’ailleurs à Pâques en allant en Irak avec son équipe de volontaires. Son témoignage est d’autant plus précieux que c’est celui d’un jeune Français parti à Damas sans aucun préjugé et se contentant de décrire ce qu’il a vu et entendu.

La Voix de la Russie. « Quelles sont les circonstances qui vous ont poussées à créer votre association « SOS Chrétiens d’Orient ?

Charles de Meyer. Il y a une circonstance particulière à laquelle s’est joint un état d’esprit. La circonstance, c’est quand nous avons eu écho des évènements qui se sont déroulés à Maaloula. Nous avions un ami journaliste qui était sur place et qui a appelé un nouveau contact en lui disant que l’horreur dont cet endroit devint la proie impliquait une réaction forte et immédiate de la part des Français en vue de soutenir les chrétiens sur place. On avait des échos d’une alternative assez simple : la conversion [à l’islam dans sa version radicale, NDLR] ou la mort. Cet écho fut confirmé lors de notre voyage à Damas. Nous avions donc le besoin d’agir et au début, sans rien vous cacher, on voyait mal comment s’y prendre. Vint ensuite une histoire d’amitié et d’opportunité qui s’est créée. Mais je voudrais aussi revenir sur cet état d’esprit mentionné tout à l’heure. Nous étions déçus par une politique française orientale qui n’est pas en cohérence avec notre histoire diplomatique, déçus du fait que le quai d’Orsay qui a pourtant un conseiller spécial aux chrétiens d’Orient soutienne depuis l’élection de François Hollande que les chrétiens d’Orient ne sont pas persécutés alors que c’est faux, alors qu’en Irak leur nombre a été réduit des deux tiers, alors qu’en Syrie ils sont particulièrement visés par la mouvance djihadiste.

LVdlR. Votre initiative ne connait donc pas de soutien massif en France, si je comprends bien ?

Charles de Meyer. Si, elle connait un soutien massif de la part de toute une partie de la population française parce que nous devons remarquer que sa générosité et sa capacité de mobilisation renvoient aux liens historique de la France avec les chrétiens orientaux. Ceux-ci sont puissants. En deux mois nous avons réussi à réunir plus de 1500 donateurs avec 4 tonnes de jouets alors que les gens étaient dans les préparatifs de Noël. Je pense en fait que c’est la distance entre le pays tel qu’il est réellement et les institutions politiques qui a joué son rôle. Quand on rappelle aux Français que Saint-Louis a essayé de voguer jusqu’à Damas, que la Syrie était sous protectorat français jusqu’en 1945, que les Romantiques étaient fascinés par la civilisation syrienne, ils se disent que quelque chose ne va pas dans notre attitude et que modestement on peut essayer de réparer la situation. Donc, certes, il y a un écho mais qui ne va pas jusqu’au Quai d’Orsay.

LVdlR. Vous avez passé Noël à Damas. Comment est-ce que vous pourriez qualifier les relations intercommunautaires qui règnent dans la capitale ? Est-ce qu’on y retrouve toujours le même climat de tolérance interconfessionnel qui caractérisait le pays avant l’ingérence ?

Charles de Meyer. Nous qui vivons (en France) dans un pays où les tensions intercommunautaires commencent à se manifester, en Syrie, par contre, on remarque un dialogue interreligieux tout à fait édifiant. Premièrement, il n’y a aucun ressentiment ni chez les chrétiens, ni chez certains alaouites, ni même chez les sunnites modérés entre eux. On remarque que les gens vivent parfaitement ensemble. Nos conseillères qui travaillaient ensemble pendant 10 ans ont découvert l’une et l’autre qu’elles étaient chrétiennes et qu’elles allaient prier dans la même église dans la journée. A l’université de Damas, vous voyez des jeunes filles qui arborent une croix main dans la main avec des jeunes filles qui portent le foulard. Par ailleurs, c’est en Syrie que nous avons appris à ne pas projeter nos frustrations et nos considérations françaises sur des états de fait orientaux qui sont par définition complexes et exemplaires pour ce pays. En revanche, il y a un rejet massif dans la population syrienne ou du moins damascène des extrémistes wahhabites qui flétrissent ce dialogue traditionnel entre les religions et qui sont l’antithèse de l’esprit de la population syrienne.

LVdlR. L’image de la France en Syrie n’a donc pas été altérée par la politique menée par l’Elysée ?

Charles de Meyer. La politique de la France est ouvertement critiquée. En revanche, il est impressionnant de voir à quel point les autochtones font la distinction entre le peuple français et son gouvernement. C’est d’ailleurs justement en ayant pris conscience de l’ingérence opérée que les gens ont appris à faire ce distinguo. Nous avons été accueillis d’une manière particulièrement chaleureuse par l’ensemble de la population syrienne dont les élites parlent français. C’est même un marqueur culturel de bien parler français. Je rappelle que Bachar al-Assad avait rendu le français langue obligatoire dans le secondaire jusqu’à ce que le russe ne vienne lui faire récemment concurrence.

LVdlR. Quelle est la perception qu’ont les chrétiens de la personnalité de Bachar al-Assad ?

Charles de Meyer. Il est compliqué en dix jours de se faire une idée exhaustive de la perception qu’ont l’ensemble des communautés chrétiennes syriennes du Président. Ce qu’on remarque par contre, c’est qu’aucun d’entre eux ne désire voir des islamistes au pouvoir, car l’alternative qui s’impose aujourd’hui est triviale : c’est soit al-Assad, soit le djihadisme international, intolérant et ultra-violent. Par conséquent, la solution est claire. Après, au sein de ces chrétiens, il y a autant de nuances que de personnes. Certains se sont rendus à ladite solution tout en restant critiques de Bachar al-Assad, d’autres se montrent entièrement favorables à sa personnalité et à sa politique. Je serais bien malin si j’arrivais à vous donner un pourcentage précis. En revanche, je n’ai pas vu un seul chrétien me dire que la rébellion telle quelle est actuellement est une solution viable pour la Syrie et notamment ses minorités ».

 

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