De Praviy sektor aux mercenaires étrangers. Où va l’Ukraine ?

De Praviy sektor aux mercenaires étrangers. Où va l’Ukraine ?
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Autant les principes de déstabilisation des pays non-alignés aux USA ou des zones favorables à l’encerclement des puissances antagonistes souveraines sont similaires, autant les conséquences de ces mainmises impérialistes se ressemblent.

Ce constat de fait s’applique plus que jamais à l’entropie ukrainienne … au fond, une véritable gabegie qui laisse présager deux scénarios : soit une alternance indéfiniment longue des pouvoirs sur fond d’effusions de sang, soit l’élection d’un candidat plus ou moins acceptable (disons modéré) mais qui aura à affronter, de un, des mouvances radicales très actives, de deux, les élans émancipateurs de l’Est. Là encore, le scénario risquerait de dégénérer.

Revenant un peu en arrière, on s’aperçoit que le bloc atlantiste a toujours voulu être plus catholique que le Pape ou, en l’occurrence, plus judéophile que le grand rabbin d’Israël. Il avait la possibilité de confirmer ce positionnement en dénonçant à cor et à cri les autorités autoproclamées de Kiev qui ne se sont senties importunées par Praviy sektor qu’à la suite de ses revendications frondeuses. Comment se fait-il sinon qu’Alexandre Muzychko, alias Sachko Bily, coordinateur du parti ultranationaliste ukrainien qui dès l’exacerbation des mouvements contestataires avait déclaré qu’il combattrait les Juifs et les Russes jusqu’à sa mort, ne fut liquidé que le 24 mars ? Cette liquidation intervient au moment où Praviy sektor s’organisa en parti pour devenir éligible aux élections anticipées de mai.

L’exécution de Muzychko s’inscrit donc dans le cadre très formel d’un conflit d’intérêt et ne relève en aucun cas d’une épuration idéologique motivée par le rejet des courants radicaux.

Faut-il s’en étonner sachant que Praviy sektor, parti que la Rada suprême entend interdire, sera remplacé par des groupes de mercenaires étrangers issus d’une société privée connue sous le nom de Greystones Limited tout autant que sous celui de Blackwater jusqu’en 2009. Comme d’habitude, dans cette tradition de déjà-vu qui nous rendait au début paranoïaque, les intentions énoncées sont (assez) pacifiques. Il serait en effet question, à en croire les gouverneurs des régions de Donetsk et Dniepropetrovsk, d’engager lesdits mercenaires « dans la recherche politique et la protection des services chargés de l’application de la loi ukrainienne pour enquêter sur les leaders et les activistes de mouvements pro-russes indépendantistes ». On sait où ces « travaux de recherche et de protection » ont mené au Moyen-Orient et plus particulièrement en Irak dans les années 2003-2011. Précisons que Greystones est enregistrée dans les Caraïbes et recrute des gens issus de pays très différents. L’organisation a été crée il y a environ 47 ans par les Britanniques.

Comme la dette ukrainienne est sur le point d’exploser (explosion prévue il y a peu pour la mi-avril), que le trésor public est vide ou quasi-vide, on se demande où le gouvernement kiévien autoproclamé ira chercher l’argent pour payer les services pour le moins coûteux de Greystones. Le FMI pourrait bien sûr délivrer un crédit à M. Iatseniouk mais comment un pays qui a déjà fait banqueroute et dont la dette enfle à vue d’œil pourra le rembourser ? Cette question, pour l’heure rhétorique, cesserait d’être telle s’il était prouvé que les 33 tonnes d’or de la réserve fédérale d’Ukraine avaient vraiment quitté le territoire ukrainien ? En principe, cette hypothèse n’est pas exclue sachant que l’or des Scythes, une partie très importante du patrimoine national équivalant à 20 milliards de dollars, a réellement disparu. Aurait-il été échangé contre les largesses du FMI ? Probablement. Mais il servirait donc, plus indirectement, à financer l’invasion de l’Est de l’Ukraine par des mercenaires habitués à verser le sang depuis des décennies.

En attendant, le tiers du nouveau gouvernement ukrainien est composé d’individus membres du parti Svoboda. On ne se lassera jamais de répéter que celui-ci est issu du Parti national-socialiste ukrainien connu comme tel jusqu’en 2004. Son leader, M. Tiagnibok, se targue d’être un bandériste convaincu. On l’a vu à maintes reprises faire le salut nazi ? Pourquoi ne pas supposer que, les élections de mai passées et Praviy sektor réhabilité, Svoboda ne referait pas alliance avec Iaroch ? Si même Timoshenko se permet des débordements extrémistes, pourquoi ne pas supposer des alliances opportunistes ultérieures entre de vrais nazillons et des aventuristes de l’acabit de la princesse du gaz ?

Ces considérations faites, j’ai le plaisir de donner la parole à Allain Jules, journaliste indépendant et blogueur de renom, qui nous a livré son analyse de l’impasse ukrainienne.

La Voix de la Russie. La situation en Ukraine semble s’embrouiller de plus en plus. Les radicaux de tout poil se déclarent la guerre. D’un côté, nous voyons une Mme Timochenko miraculeusement guérie qui dans une conversation privée avec le député Nestor Choufritch demande la pulvérisation, y a-t-il lieu de croire littérale, des 8 millions de Russes d’Ukraine. D’un autre côté, à peine mué en parti, le mouvement Praviy sektor exige la dissolution pure et simple de la Rada suprême, suite à quoi son leader, Alexandre Muzychko, est exécuté par les forces de l’ordre. Enfin, une société militaire privée « Greystones Limited » composée de mercenaires étrangers sera appelée à intervenir dans l’Est du pays pour étouffer toute tentative de révolte ce qui ipso facto exclurait à terme le déroulement éventuel de référendums dans certaines régions. Assisterait-on à un début de guerre semi-civile entre des mouvances radicales et une population de plus en plus inquiète de la nouvelle politique de Kiev ?

Allain Jules. « Avec tout ce qui se passe actuellement à Kiev ou à Donetsk, pour ne citer que deux exemples, je crois que l’Ukraine va vers une implosion. Pourquoi ? Simplement parce que ceux qui sont peut-être des démocrates sont à l’heure qu’il est débordés par des extrémistes, notamment ceux de Praviy sektor qui a fini par se muer en parti politique. Ceux qui sont maintenant au pouvoir seront les premières victimes de l’emprise occidentale suite à l’apparition de groupes coercitifs du type Blackwater dans les zones Est. Cela signifie que, d’un côté, ceux qui ont pris le pouvoir à Kiev sont aussi violents que les extrémistes, de l’autre, que le soutien accordé aux extrémistes va entraîner une guerre entre ces mêmes mouvances tout autant que l’éveil des mouvements démocrates, probablement du côté de l’Est. Ces derniers vont réclamer des référendums dans le seul but de rétablir la paix. Autrement, j’ai bien peur que les élections du 25 mai ne puissent se tenir simplement parce que les conditions ne seront pas réunies pour qu’elles puissent se dérouler. J’en veux pour preuve ce qui s’est passé hier : les gens de Praviy sektor sont allés demander la démission du ministre de l’Intérieur. Ces revendications deviendront récurrentes, persistantes, à partir du moment où le pouvoir est détenu par des usurpateurs prétendant instaurer une espèce de démocratie

« à la criée ». C’est-à-dire que l’on annonce comme cela, en pleine rue, que tel est ministre de ceci, tel est ministre de cela. Le peuple, entre guillemets, valide ou pas ce cirque qui tôt ou tard va se retourner contre les autorités autoproclamées. Iatseniouk en souffrira, idem pour le Président par intérim et toute l’équipe de façon générale. Ils ne tiendront pas ! Les élections approchent, elles devraient avoir lieu dans deux mois. Je présume que d’ici là de plus en plus de personnes demanderont l’intervention de la Russie. Cela parce que tous les extrémistes qui veulent en découdre avec des groupes ethniques considérés comme gênants en vue d’instaurer une sorte d’ethnocratie attisent la peur et les incertitudes de millions d’Ukrainiens. Si la Russie intervient, je me demande comment on pourra l’accuser cette fois d’ingérence, chose qui pourtant a déjà été faite dans le contexte du référendum criméen. Je crois que ces accusations n’ont aucun fondement et que cette fois, d’une manière encore plus patente, la révolution viendra des tréfonds de la société ukrainienne. On ne peut pas prédire le scénario selon lequel elle se réalisera, même si, vu la situation à Kiev et le chaos qui s’empare du pays, je pressens quelque chose de terrible. »

LVdlR. Les humeurs antisémites agitant dès le début Kiev vont crescendo. En parle-t-on en France et, plus largement, en Occident où l’antisémitisme est un sujet littéralement sacré ?

Allain Jules. « Non, on n’en parle pas. Vous savez pourquoi ? Simplement parce qu’il y a eu des gens qui ont validé le putsch kiévien et qui maintenant, responsables de leur engagement, ne veulent pas renier leur choix. Ils sont prisonniers de leurs promesses. Il y a en outre un problème médiatique en France : c’est l’absence de journalistes objectifs et courageux. Ils semblent ligotés, muselés, c’est même à croire qu’ils auraient peur de leur ombre ! Du coup il n’y a que quelques rares journalistes, voire une seule personne, Olivier Berruyer, qui essaye aujourd’hui – parce qu’on lui ouvre les portes des médias – de rétablir la vérité en disant « Attendez ! Il y a un tiers de fachos dans ce gouvernement ukrainien issu d’un coup d’Etat, il faut le dire ! ». Les autres journalistes préfèrent se taire. Je pense notamment à notre pseudo-philosophe national Bernard-Henri Lévy-Botul qui a entièrement validé le Maïdan ! Il est allé jusqu’à dire sur les plateaux que l’extrême-droite ukrainienne était en tout point semblable à l’extrême-droite française, c’est-à-dire au Front National. Alors sans être partisan du FN, sincèrement, je n’ai jamais vu les militants de ce parti prendre d’assaut le Parlement, demander la démission de tel ou tel ministre, violenter les gens, brûler des pneus comme cela s’est passé hier devant le Parlement à Kiev. Il y a donc un véritable problème à partir du moment où le pseudo-philosophe BHL continue à tenir ses grands discours et que les journalistes ne les dénoncent pas. On en vient à se demander quel est le poids de cet homme-là pour que les médias les plus sérieux se couchent devant lui ! Pourtant, malgré l’absence totale de liberté d’expression dans la presse, l’évidence est là : les USA, via l’OTAN, n’ont jamais eu d’autre but que, primo, atteindre la Russie en s’immisçant en Ukraine, secundo, de briser les relations entre l’Europe et Moscou de façon à vendre leur gaz de schiste qui en fait n’est pas rentable même si on ne le dit que très rarement. Par conséquent, puisque les Américains le développent, c’est tout simplement qu’ils veulent le vendre à l’Europe. Si l’Europe se sépare de la Russie, il faudra bien qu’elle achète ce gaz, beaucoup plus cher que le gaz liquéfié. Les USA jouent donc un jeu malsain parce qu’ils méprisent les Européens et ne veulent se servir des Ukrainiens que dans le seul but de créer une dissension entre la Russie et l’UE. Il est terrible de voir qu’il y a des gens qui acceptent que d’autres meurent, que d’autres souffrent simplement parce que certains veulent satisfaire leurs bas instincts en vivant au-dessus de leurs moyens ».

LVdlR. Il semblerait que l’oligarque Petro Porochenko soit l’un des principaux favoris de la présidentielle anticipée du 25 mai. Croyez-vous que son éventuelle élection puisse stabiliser la situation qui règne dans le pays ?

Allain Jules. « Si l’élection se tient, – ce qui est un autre souci – même si tout le monde dit que Porochenko a de fortes chances, je ne crois pas que les extrémistes ainsi que Ioulia Timochenko accepteront que quelqu’un d’autre, surtout s’il est modéré, puisse accéder au pouvoir à leur place. Parce que Mme Timochenko a déjà montré son vrai visage, notamment suite à son échange téléphonique xénophobe et criminel [avec le député Nestor Choufritch, NDLR]. Je crois en fait que si le coup d’Etat de Kiev a pu avoir lieu, c’est uniquement parce que l’Occident misait sur elle. Si donc cet oligarque qu’est M. Porochenko gagne aux présidentielles de manière honnête, il ne me semble pas acquis que les extrémistes qui agitent en ce moment le pays se résigneront à le voir gouverner, car la première chose qu’il devra faire, vulgairement parlant, c’est le ménage. Je pense donc que son élection envenimera encore davantage la situation et que l’Ukraine risquera alors de vivre ses heures les plus sombres malgré les promesses du FMI qui serait prêt à octroyer au pouvoir entre 14 et 18 milliards de dollars ». T

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