Erreurs fatales de l’Occident dans la crise ukrainienne

Erreurs fatales de l’Occident dans la crise ukrainienne
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On dit que dans tout divorce il n’y a pas qu’un seul fautif. Tout le monde doit essuyer sa part de responsabilités.

Souvent, malgré la présentation des uns comme des tyrans et dictateurs, et des autres, comme victimes et cible d’outrage en bonne et due forme, le dispositif des figures sur l’échiquier politique est beaucoup plus complexe. Et les erreurs sont commises des deux côtés…

La première fois, j’ai entendu le terme de la « guerre d’images » lors de la première Guerre du Golfe. Depuis, la communication en temps de conflits de tout genre s’est professionnalisée. C’est devenu un atout de toute démarche diplomatique, un fer de lance de toute attaque de l’opposition, une pierre de voûte de toute construction idéologique. Il est quasi-évident que la crise ukrainienne est présentée d’une manière « filtrée » aux spectateurs et auditeurs occidentaux. Nous avons demandé si cela peut représenter une erreur de l’Occident au vu d’Alexandre del Valle, géopolitique et Professeur de l’Université de Metz.

Alexandre del Valle. Je pense que la situation en Crimée est beaucoup moins dramatique que ce qu’on dit dans les médias occidentaux. On a pu la gérer d’une manière plus calme. Il aura fallu être plus objectif pour essayer de prendre en considération les opinions des deux camps. Je pense qu’il a eu beaucoup de précipitation. Peut-être les choses vont se calmer dans les mois qui viennent…

Il y a aussi un peu de théâtralité.

Mais je trouve dramatique la diabolisation de l’opinion des Ukrainiens pro-russes et de la Russie qui sont assimilés aux seuls responsables et au camp du Mal. Je pense que tout ça est un peu trop simple et trop manichéen.

LVdlR. Même ce fameux Manès, peintre, médecin et philosophe oriental, né au IIIe siècle après J.-C., à qui vous faites référence, ne s’arrêtait pas à la simple opposition « Dieu – diable », « Saint – maudit », « Ange – démon », « vertu – péché ». L’histoire du monde est l’histoire de l’opposition de la lumière à l'obscurité des ténèbres.

Mais l’Occident continue-t-il toujours à considérer la Russie comme l’empire du Mal ? De voir en la Russie l’agresseur malveillant de l’Ukraine ?

Alexandre del Valle. Il y a une forme de lavage de cerveau, on dirait – de propagande. Il a un formatage des esprits qui, à mon avis, vient de la guerre froide. Malheureusement, l’Occident, tel qu’il existe aujourd’hui, continue à considérer la Russie comme non pas uniquement l’héritier de l’ex-URSS, mais le continuateur. On présente systématiquement Monsieur Poutine comme un ancien du KGB. On parle très souvent des statues de Lénine ou de la phrase très célèbre (soi-disant célèbre) de monsieur Poutine qui considérait que l’anéantissement de l’Union Soviétique est une catastrophe.

En fait, on fait systématiquement assimiler la nouvelle Russie, (de la période) d’après Gorbatchev, la Russie qui a commencé avec Monsieur Eltsine, a l’ex-URSS, ce qui est totalement faux. Je pense que c’est une erreur énorme. Certes, il a eu quelques phrases concernant le passé, et c’est normal – une nation doit toujours assumer son passé, mais on oublie en Occident de montrer que la Russie est très différente que ce qu’on croit : il y a 13% d’opposition, il y a beaucoup plus de libéralisme que ce qui est dit, que la Russie elle-même historiquement était la victime du marxisme et du communisme. Il ne faut pas mélanger la Russie et l’ex-Union Soviétique. Tout ça est très connu en Russie, mais en Occident on a vraiment la vision de la Russie – celle de l’ex-URSS. Et, à ce titre, c’est le camp du Mal, et, donc, c’est le camp qui a toujours tort, qu’est toujours le camp de méchanceté, de brutalité, de totalitarisme.

On présente systématiquement la Russie comme alliée de pires ennemis de l’Occident. Je pense que l’OTAN et ses stratèges n’ont pas révisé leur doctrines, ils continuent à être abreuves et animes de visions qui datent de la guerre froide : qui consistent à considérer la Russie comme le Heartland. C’était le cœur de la géopolitique anglo-saxonne, Messieurs Mackinder et Spykman disaient que la Russie doit être encerclée et repoussée, contenue... C’est la doctrine de l’endiguement. Et aujourd’hui, l’OTAN continue à encercler la Russie et à considérer que celle-ci représente la zone la plus dangereuse du monde, contre laquelle on devrait s’allier. Y compris les puissances islamiques, comme les puissances du Golfe ou la Turquie. Je pense que c’est une vision passée, vision de la guerre froide.

Dans tous mes livres je demande qu’on révise ces dispositifs passés, désuets, caducs de la guerre froide. Malheureusement, est la mentalité de beaucoup des stratèges encore aujourd’hui.

LVdlR. Il faut noter, par ailleurs, que Mackinder qui illustre sa thèse en évoquant les grandes vagues d'invasions mongoles qu'a connues l'Europe sous l'égide de Gengis Khan et de Tamerlan, la plaine Ukrainienne représentait l'espace de mobilité par excellence permettant des invasions rapides au moyen de la cavalerie. Donc, à l’époque considérée juste comme un corridor ou un lieu de passage. Mais bon… c’était la théorie, anglo-américaine, d’il y a cet ans…

De ce lavage de cerveau, dont on a parlé tout à l’heure, ressortent quand même les sanctions des Etats-Unis et de l’Europe envers la Russie, et leur soutien presque ’à l’unanimité par le monde politique. On prend très au sérieux l’image. Sans voir plus loin qu’un pas en avant.

Brusquement, on se demande, pourquoi les politiques européens se battaient contre les anti- globalistes, puisque maintenant ils font de même ?

Alexandre del Valle. Dans le cadre de ce que vous appelez « le lavage de cerveau », je l’appellerai « propagande atlantiste » antirusse ou russophobe, l’Occident s’est comporte d’une manière assez paradoxale. Si nous étions cohérents, nous n’aurions jamais défendu l’indépendance du Kosovo. Rappelez-vous, quand Kosovo a été rendu indépendant de-facto, et quelques années plus tard – juridiquement, ça a été à l’issue d’une campagne des bombardements de la Serbie et de l’ex-Yougoslavie par l’OTAN. L’ex-Yougoslavie a été coupée en morceaux.

Quand l’Occident accuse la Russie de soutenir des indépendantistes en Géorgie, comme c’était en 2008, ou aujourd’hui – en Crimée… il pouvait dire cela, si l’Occident n’avait jamais soutenu des mouvements indépendantistes de l’autre côté, à l’issue des campagnes de bombardement. Aujourd’hui, on constate que l’indignation de l’Occident vis-à-vis de la violation du droit international est tout à fait contradictoire avec ce que les pays occidentaux ont fait avec les Balkans depuis des années. Sans parles des renversements de plusieurs régimes dans le monde, à l’issue des campagnes de bombardement qui n’étaient pas toujours avalisées par le droit international. Qui, parfois même, violaient totalement le droit international.

Je pense que les sanctions ne sont même pas cohérentes avec la politique de l’Union Européenne et des Etats Unis. Je pense aussi que ces sanctions ne sont pas suffisamment fortes pour véritablement dissuader la Russie. On veut diaboliser la Russie, on veut empêcher que la Russie progresse un peu plus loin en Ukraine, peut-être en annexant des parties de l’Ukraine de l’Est – ces sanctions ont essentiellement cette fonction. Mais je pense qu’il y a une part de théâtre. L’Occident sait très bien qu’on ne fera jamais revenir la Crimée dans le gouvernement actuel de Kiev. Mais dans cette logique de diabolisation de Russie il fallait faire croire qu’on s’opposait dignement et vaillamment au « monstre » russe qui était dangereux et qui risquait envahir une partie de l’Europe.

Je pense qu’il y a une part de théâtre dans tout cela. C’est essentiellement une guerre de l’information… on ne peut pas faire la guerre à la Russie et on ne fera pas la guerre. C’est essentiellement une guerre de l’image qui consiste à discréditer la Russie. A mon avis, le but étant pour les Américains surtout : un jour essayer de favoriser, peut-être, l’équivalent d’une révolution pacifique, comme révolution de couleur, en Russie. C’est justement ce qui craint Vladimir Poutine et qu’il n’acceptera jamais.

LVdlR. Dans ce contexte, il apparait tout à fait incompréhensible (ou trop compréhensible, cela dépend du degré d’adhésion à la théorie du complot) que ce qu’on a proposé à l’Ukraine, sous la pression des Américains, n’a pas été proposé à la Russie depuis longtemps. Cela, peut-être, aurait permis d’éviter beaucoup de problèmes avec l’Ukraine. Evidemment, les Etats-Unis profiteront de cette crise en installant les bases de l’OTAN où bon leur semble.

Mais, il y a-t-il du futur pour les relations entre la Russie et l’Occident ?

Alexandre del Valle. Je soutiens l’idée qu’il convient aujourd’hui de voir ce qui rapproche l’Occident – l’Union Européenne et les Etats-Unis – avec la Russie. Il convient plus de mettre en relief ce qui rapproche nos pays, plutôt que de montrer ce qui nous divise. Or, nous avons des points communs. Nous avons l’appartenance à la même civilisation. Il y a des besoins énergétiques complémentaires : la Russie produit de l’énergie, l’Europe en a besoin. Et il a une menace fondamentale – menace islamiste sunnite (je dis bien – sunnite ! c’est essentiellement l’islamisme sunnite qui menace l’univers avec le projet global du djihad planétaire et du terrorisme partout) L’Iran ayant le rayon d’action beaucoup plus limité que les sunnites.

Je pense que nous ferions mieux de coopérer dans tous les dossiers qui nous rapprochent, même s’il y a des différences. Je pense qu’il y aura toujours des différences. A mon avis, les différences ne sont pas supérieures aux points communs et aux sujets d’entente.

D’ailleurs, de point de vue de l’Union Européenne, si on oublie des Etats-Unis, l’Europe ne pourra être forte que lorsqu’elle aurait compris qu’elle ne peut pas être coupe en deux, avec une sorte du mur de Berlin qui sépare l’Union Européenne de la Russie. Réduire l’Union Européenne à un ensemble des nations sécurisées par l’OTAN. Donc – commandés de-facto par les Etats Unis. Ceci empêche l’Europe s’unir de point de vue continental.

Comme le disait De Gaulle : « Une véritable Europe forte est l’Europe qui passe par l’axe Paris – Berlin - Moscou » Je suis, depuis toujours, comme tous les gaullistes français et européens adeptes de l’Europe européenne, partisan d’une alliance la plus poussée possible avec la Russie. Et c’est possible. Qu’on ne nous dise pas que ce n’est pas possible, puisque nous avons accepté comme candidat à l’Union Européenne la Turquie qui est beaucoup moins européenne, qui a une partie de son territoire en Asie.

Je pense que la Russie a beaucoup plus de légitimité un jour à être membre d’un espace européen commun – Gorbatchev appelait ça « la maison commune européenne » - plutôt qu’un pays comme la Turquie qui joue un double jeu et qui ne est pas européenne de civilisation, sauf une petite partie, et qui ne partagent pas nos valeurs.

Je pense que la Russie a beaucoup de valeurs en commun : des valeurs judéo-chrétiennes, chrétiennes, européennes avec l’Europe.

L’Europe doit se construire en partenariat étroit, stratégique avec la Russie.

LVdlR. L’optique gaulliste adoptée par Alexandre del Valle correspond à celle des vieux manitous du monde politique français tels que Jean-Pierre Chevenement, Hubert Vederine ou Helene Carrere-d’Encausse. Non pas que ces gens soient particulièrement russophiles, simplement ils ont une vision réaliste de ce que sont les intérêts des nations européennes souveraines.

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