A l’heure du festival

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Les théâtres sont les premiers ambassadeurs, comme le disait André Antoine dans les années vingt. Vu de la sorte, le Maly Drama de Saint-Petersbourg, dirigé par Lev Dodine, est un des ambassadeurs les plus dynamiques. Le premier passage du Maly à Paris, avec Frères et Sœurs, magnifique fresque, à la fois métaphorique et réaliste, remonte à l’ère de la perestroïka.

Les tournées sont alors une grande première politique et culturelle, sous le signe d’une liberté retrouvée. Tout ne réussit pas au premier coup, mais le courant finit par passer. Frères et Sœurs reviendra deux fois, soulevant de l’enthousiasme malgré sa durée reconrd. Et dans la foulée, plusieurs autres productions, dont l’extraordinaire Gaudeamus, une mise en scène qui révèle Lev Dodine dans le monde entier. Sa première représentation française date de 1992. Aujourd’hui, vingt-deux ans plus tard, Gaudeamus est repris par une jeune et nouvelle génération de comédiens sur la même scène, MC 93, dans le cadre du Festival Lev Dodine, à l’affiche jusqu’au 25 mai. C’est la dixième tournée du Maly Drama à Bobigny, sa « deuxième maison ».

Pour ceux qui ne sont pas au courant, Gaudeamus igitur est un chant étudiant du Moyen-âge qui célébrait les grands moments de la vie universitaire, mais le spectacle n’amène pas le public dans un amphi. Il l’introduit dans une caserne et raconte en quinze tableaux la vie des soldats en URSS, la camaraderie, les beuveries, le racisme, les drames et les absurdités de la vie militaire. Sauf qu’on ne va pas essayer de doubler le cauchemar de la réalité par un cauchemar scénique. Le théâtre fait tout pour marquer une distance par rapport au quotidien et surmonter le chaos en cherchant une possible harmonie. Cette harmonie sera trouvée dans l’enterrement de la grisaille et l’adoption de l’esprit Gaudeamus (Réjouissons-nous !), avec comme moyen, les leçons de musique, une libre classe de théâtre et d’autres activités artistiques, qui sont greffés aux tableaux de la vie de caserne. L’énergie de la jeunesse qui accompagne ce travail de Dodine est vite perçue comme un choc vivifiant. En 1990, période de grands changements, lorsque le spectacle a été créé, le théâtre cherchait à préserver la joie du jeu. C’était une tentative de résister au diktat et au mensonge, tentative qui répondait aux attentes.

Pourtant tout le théâtre de Dodine, est un théâtre qui parle d’actualité. Le sujet classique des Trois sœurs, un autre titre à l’affiche du festival, permet à Dodine de s’exprimer sur la vie qui l’entoure. Le maître ne fait pas que monter Tchékhov, il communique sa réflexion sur le destin et le sort de l’intelligentsia face aux défis de l’existence. Il y a bien longtemps, dans le spectacle Hamlet, de la Taganka, le rideau avançait vers le public. C’était l’invention du scénographe David Borovski. Aujourd’hui son fils, Alexandre, reprend la métaphore en faisant avancer la façade d’une maison qui expulse les héros de la scène et de la vie. « Si on le savait ! », disent les sœurs à la fin, et cette phrase, celle de toutes les trois, sonne comme si les héroïnes savaient déjà que leurs espoirs étaient vains et que l’irréparable arrivait. Cabale et amour, troisième titre du festival Dodine, explore lui-aussi, l’approche d’une catastrophe générée par les vices humains travestis en vertus. Adaptation de l’œuvre de Friedrich von Schiller, ce spectacle est donné en première en France. Au départ, un drame bourgeois, un portrait au vitriol de cette Allemagne livrée aux potentats de province, avec comme intrigue, un amour impossible entre les enfants de catégories sociales que rien ne peut rapprocher. A l’arrivée, une fable sur le triomphe du mal, l’impuissance de la morale et le drame des hommes qui vivent des idéaux et croient encore à l’honneur. Les passions schillériennes revisitées, le message devient dépouillé et précis, et de ce fait encore plus cruel. Le respect des principes suprêmes sert d’écran pour masquer un crime. Et là on comprend mieux ce qui réunit cette adaptation de Schiller avec Gaudeamus, Les trois sœurs, et les autres mises en scène de Dodine. C’est le rejet par le maître du monopole de la vérité, de la volonté imposée, du très présent système de formatage qui laisse l’homme sans possibilité de choix. Le théâtre retrouve alors sa mission, celle de sensibiliser le public aux dangers qui le guettent, quelles que soient les façades de la réalité.

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