Porochenko: légitimité, défis, actions, capacités

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Petro Porochenko a finalement remporté la présidentielle ukrainienne. Stabiliser la situation politique et économique dans le pays est un problème tout aussi important pour Prochenko que celui de sa légitimité.

Petro Porochenko a finalement remporté la présidentielle ukrainienne. Son résultat final est si proche des sondages à la sortie des urnes que certains journalistes le qualifient déjà de "président sorti des urnes". La guerre civile ne continue pas moins de frapper l'Ukraine. Stabiliser la situation politique et économique dans le pays est un problème tout aussi important pour Prochenko que celui de sa légitimité. Le positionnement international du gouvernement ukrainien est, lui aussi, un véritable défi - de son accomplissement dépend directement  la possibilité de régler les autres problèmes graves du pays.

Légitimité

La légitimité de Porochenko à l'étranger était garantie longtemps avant l'élection. Fin février déjà, les Etats-Unis et l'Union européenne avaient déclaré que les élections à venir seraient transparentes, démocratiques et honnêtes. Fin mars, après la publication de la cote de popularité de Porochenko – qui a soudainement triplé voire quadruplé - Washington et Bruxelles l'avaient de facto reconnu vainqueur de la présidentielle. Depuis deux mois déjà, les experts ukrainiens, russes et occidentaux étudient donc la situation non pas en fonction d'un vainqueur hypothétique, mais précisément de Porochenko.

© Sputnik . Mikhail Voskresensky / Accéder à la base multimédiaL'élection présidentielle anticipée en Ukraine
L'élection présidentielle anticipée en Ukraine - Sputnik Afrique
L'élection présidentielle anticipée en Ukraine

Bien sûr, le problème de la légitimité de l'élection persiste du côté de la Russie, mais pas de manière aussi aiguë qu'il semblerait. Le président Vladimir Poutine a déjà annoncé que la Russie travaillerait avec le nouveau pouvoir ukrainien comme avec le gouvernement provisoire de Tourtchinov-Iatseniouk. La Russie n'avait effectivement pas reconnu la légitimité de l'arrivée au pouvoir du Maïdan mais n'avait pas non plus renoncé aux contacts, reconnaissant l'exercice par ce gouvernement d'un contrôle factuel sur la majeure partie du territoire du pays, ainsi que sur les structures politiques et administratives restées en place.

Dans un premier temps, cette forme de travail conviendra parfaitement à Porochenko car il pourra affirmer que la Russie a reconnu les résultats de l'élection et, de ce fait, la légitimité de sa présidence du pays. Tout dépendra ensuite de l'évolution de la situation politique intérieure en Ukraine et des positions de grands acteurs géopolitiques impliqués dans la crise (Russie, USA, UE) bien davantage que des mesures concrètes de Porochenko.

Pour l'instant, la Russie part du principe de légitimité/illégitimité équitable des autorités, aussi bien de Kiev que du Sud-Est. La position de Moscou s'appuie sur la Constitution ukrainienne, qui stipule que le mandat du président Ianoukovitch peut être suspendu en cas de démission délibérée, de maladie, de décès, ainsi que par destitution. Etant donné que les termes de la Constitution n'ont pas été respectés, Ianoukovitch demeure le président légitime de l'Ukraine jusqu'à l'expiration de son mandat en mars 2015. Bien sûr, cette position pourrait changer mais jusqu'ici, ni l'évolution de la situation en Ukraine ni les relations avec l'Occident ne laissent croire à des concessions aussi larges. Vladimir Poutine lui-même commet parfois des manœuvres très inattendues mais pour l'instant, la position du Kremlin et du ministère russe des Affaires étrangères n'a toujours pas changé et demeure ferme.

Les problèmes de légitimité intérieure de Porochenko sont bien plus graves. Premièrement à cause du président légitime Ianoukovitch. Dans les faits, après l'investiture de Porochenko, l'Ukraine aura deux présidents. Deuxièmement, l'élection a été organisée par des individus ayant commis un coup d'Etat et transgressé les libertés et les droits civiques fondamentaux de leurs opposants politiques. Les médias étaient censurés, des répressions étaient engagées contre les politiciens et les militants du camp adverse (intimidations, emprisonnements, destruction de biens, menaces de mort, menaces des proches, passages à tabac et, enfin, meurtres – des massacres publics commis le 2 mai à Odessa avec un cynisme et une cruauté indescriptibles).

Troisièmement, l'élection s'est déroulée dans le contexte d'une guerre civile, sachant que l'armée a été utilisée contre la population civile dans au moins deux régions opposées au gouvernement central. Conformément à la Constitution ukrainienne, l'armée ne peut être utilisée à l'intérieur du pays que dans le cadre de l'état d'urgence et de la loi martiale - dans ce cas la Constitution interdit toute élection. La présidentielle n'a donc pas simplement transgressé la Constitution, mais a été organisée contrairement à ce texte qui est censé en définir le cadre.

Ainsi la légitimité intérieure de l'élection est très douteuse et tout opposant potentiel, même parmi les collaborateurs de Porochenko, pourrait à tout moment refuser de reconnaître la légitimité de l'élection du milliardaire. Compte tenu de l'aggravation de la situation politique et économique du pays, la présence de divergences aiguës dans le camp des autorités provisoires de Kiev (y compris sur la ligne Porochenko-Timochenko), la fragilité du soutien populaire du président élu et le refus de ses propres collaborateurs de reconnaître sa légitimité pourraient bientôt devenir réalité.

Défis

Porochenko devra faire face à des défis aussi bien intérieurs qu'extérieurs pour pouvoir régler le problème de sa légitimité contestée.

Premièrement, il devra rétablir le contrôle du territoire national et mettre un terme au conflit armé. Nombre d'électeurs ayant voté pour Porochenko ont vu en lui un pacificateur potentiel, capable de stopper la guerre civile en cours.

Deuxièmement, hormis la stabilité politique, Porochenko devra assurer la stabilité économique de l'Ukraine. Le niveau de vie de la population est aujourd'hui en chute libre, l'économie s'est dégradée jusqu'à un niveau où la réanimation d'industries entières pose problème. Dès l'hiver prochain, le pays risque la famine et l'effondrement de l'infrastructure communale dans les grandes villes. La stabilité économique, l'assurance d'un niveau de vie supportable et un minimum de foi en l'avenir sont des exigences de l'électorat tout aussi cruciales que l'arrêt de la guerre.

Troisièmement, le nouveau président devra mettre en place des mécanismes efficaces pour pouvoir exercer ses pouvoirs. Actuellement, l'Ukraine n'est pas simplement divisée entre le sud-est insurgé et l'ouest, qui s'efforce de réprimer la révolte. De fait, le pouvoir est exercé dans le pays par des individus qui contrôlent des bandes armées organisées, et uniquement sur les territoires où ces groupes sévissent. Par exemple, l'oligarque Igor Kolomoïski contrôle la région de Dniepropetrovsk (où il a été nommé gouverneur), de Zaporojie et d'Odessa à l'aide de ses bataillons privés. Ses groupes armés ont tenté à plusieurs reprises de prendre le contrôle de villes dans les régions de Donetsk et de Lougansk, et Kolomoïski a personnellement déclaré vouloir annexer ces régions à Dniepropetrovsk.

Il s'agit de la plus grande principauté unitaire du territoire ukrainien. Il y a une semaine les autorités de la région d'Ivano-Frankivsk, l'une des trois régions de Galicie les plus sûres du point de vue des autorités actuelles, ont menacé de proclamer une république indépendante si le chef de la police nommé par Kiev n'était pas relevé de ses fonctions. De facto, les ordres du gouvernement de Kiev sont respectés uniquement dans la mesure où ils répondent aux objectifs, aux intentions et aux attentes des chefs de groupes armés contrôlant la situation sur place. Le fait que Kiev combatte les miliciens du Donbass mais ne s'oppose pas au parti néonazi Svoboda (Liberté) qui contrôle pratiquement l'ouest de l'Ukraine ou encore à Kolomoïski, qui met en place son propre "royaume" dans le centre du pays, s'explique par la "proximité sociale" entre Kiev d'une part, et Svoboda comme Kolomoïski de l'autre. Tandis que les habitants du sud-est ne sont pas de simples séparatistes, mais des ennemis idéologiques.

Il est évident que dans ces conditions, Porochenko ne pourra pas exercer son pouvoir présidentiel au-delà de son propre bureau s'il ne reprend pas le contrôle des structures de force et ne procède pas à leur réhabilitation.

Au final, les défis politiques intérieurs ne seront réglés qu'en fonction du positionnement de Porochenko en politique étrangère. Et des questions tout aussi complexes l'attendent, sans réponses claires et adéquates.

Pour une réconciliation stable avec le sud-est, Porochenko devra entamer des négociations directes avec les représentants régionaux, reconnaissant de facto les républiques de Lougansk et de Donetsk; accepter de retirer les troupes de ces régions; engager les négociations sur la fédéralisation de l'Ukraine; mais également satisfaire les intérêts de la Russie. Autrement dit, il est nécessaire d'assurer le statut de neutralité de l'Ukraine, de reconnaître le rattachement de la Crimée au territoire russe et de garantir l'acheminement du gaz russe vers l'Europe, tout en remboursant en parallèle la dette  ukrainienne (3,5 milliards de dollars) pour le gaz déjà consommé.

Actions et capacités

A en juger par les premières déclarations de Porochenko, il a conscience de l'ampleur de la tâche. Il a évoqué l'éventuelle suspension des opérations militaires lancées par les autorités dans le sud-est, ce qui lui permet d'entamer un dialogue avec les séparatistes. La tenue d'élections législatives anticipées, qui devraient lui apporter un parlement plus contrôlable avec sa propre majorité, un gouvernement entièrement sous contrôle, renforcera sa propre légitimité et lui permettra de parler avec les unités de combattants et les barons féodo-oligarchiques régionaux sur un ton plus ou moins ferme. Enfin, Porochenko a promis de trouver un terrain d'entente avec la Russie.

Ce programme est orienté dans la bonne direction, mais peut-il être accompli? Probablement pas. Premièrement, Porochenko ne voit pas les leaders des séparatistes comme ses interlocuteurs éventuels pour les négociations. Il n'a pas non plus annoncé l'absence de conditions préalables à ces pourparlers. Au contraire, Porochenko a souligné que le maintien d'une Ukraine unitaire restait une idée fixe. Il a également promis de "reprendre la Crimée".

Pas étonnant que les séparatistes se soient dits prêts à négocier, mais uniquement sur le retrait des troupes des autorités de Kiev de leur territoire et la reconnaissance de leur indépendance. Et il est certain que la Russie ne négociera pas le "retour" de la Crimée. De fait, l'ordre du jour préalable des négociations annoncé par Porochenko rend impossible l'obtention de résultats concrets.

Mais est-ce que Porochenko pourrait adopter une position plus constructive? De toute évidence, non. Après tout, les combattants néonazis sont l'unique force armée réelle qui a contribué à organiser le coup d'Etat des 21-23 février, suivi de l'élection de Porochenko.

Et ces combattants ne seront pas emballés par les concessions au profit du sud-est ou de la Russie. Ils comptent continuer à faire la guerre et sont prêts à renverser tout gouvernement qu'ils soupçonneraient de mollesse et de "trahison". De la même manière que les oligarques et les chefs de guerre, qui mettent en place des principautés à l'instar de Kolomoïski, ne se réjouiront pas du renforcement du gouvernement central. Il est préférable pour eux de satisfaire leurs intérêts dans l'anarchie, où les combattants dictent la loi.

Pour finir, les Etats-Unis n'ont pas investi des milliards de dollars dans le coup d'Etat et le déclenchement d'une guerre civile en Ukraine pour qu'ensuite Porochenko s'entende avec la Russie et accepte la séparation du sud-est. Compte tenu de la présence, dans le dos de Porochenko, d'une horde de camarades dirigés par Timochenko, prêts à se jeter sur lui et le mettre en pièces dans la bagarre pour le pouvoir et les biens, les Américains ont un vaste choix de leviers de pression – de la persuasion à une nouvelle révolution.

Par conséquent Petro Porochenko a très peu de chances de rester au poste de président, même un an, ne serait-ce que jusqu'à la fin de l'année. Très probablement, il jouera le rôle de l'une des figures de transition sacrifiée pour les intérêts géopolitiques des acteurs extérieurs et l'avidité de ses pseudo-alliés intérieurs.

Au moins à titre personnel, il aura réalisé son rêve de présidence.

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