Censure de Poutine par TF1. Analyse des procédés employés

Censure de Poutine par TF1. Analyse des procédés employés
S'abonner
Après avoir invité Vladimir Poutine sur le plateau de TF1, la direction n’a rien inventé de mieux que de sabrer cette interview attendue pendant 8 mois et des poussières. L’amputation a été plutôt manifeste sachant que les 41 minutes de l’émission ont été réduites à 24 minutes, de quoi rester un brin … pantois.

Le travail de recensement des passages coupés réalisé par Olivier Berruyer sur son site Les-Crises.fr et repris par Allain Jules sur les pages de son blog avec en tête un commentaire pétillant d’humour presque noir, n’exige aucune précision tant il est complet. Néanmoins, il serait intéressant de relever un certain nombre de procédés classiques employés par les manitous du journalisme bien-pensant.

Trois principes de base sont à relever.

- Les questions posées s’appuient sur des affirmations faussement attribuées à l’interlocuteur. Naturellement, celui-ci riposte sur le champ mais l’effet psychologique exercé sur l’auditeur n’en demeure pas moins grand. En voici un exemple caractéristique :

Jean-Pierre Elkabbach. « Mais allez-vous rencontrer M. Porochenko ? Vous avez dit que vous ne travailleriez avec lui qu’à la condition qu’il ne se soumette pas totalement à l’influence américaine ». Bien entendu, Poutine dément aussitôt. Que dissimule la question posée ? Primo, la soi-disant citation de M. Elkabbach est insensée : a-t-on jamais vu un Président soucieux d’apaiser les tensions à ses frontières provoquer celui qui serait en mesure de les apaiser ? Secundo, un gouvernement est soit sous influence étrangère, soit il ne l’est pas du tout. Demander à M. Porochenko de ne pas être entièrement soumis aux desideratas de Washington reviendrait à lui dire : « M. le Président, pourriez-vous demander à votre garde nationale d’exterminer un peu moins les civiles de Donetsk et de Lougansk sans quoi on ne pourrait pas travailler ? ». Cette réduction à l’absurde démasque immédiatement l’intention de M. Elkabbach qui voulait et déstabiliser Poutine et faire croire aux téléspectateurs que Moscou fait pression sur son homologue fraîchement élu. Malheureusement pour lui, M. Elkabbach est tombé dans le piège de sa maladresse.

- Un autre procédé renvoie curieusement à une tactique décrite dans le « Marteau des sorcières » (Malleus Maleficarum) qui consiste à fonder son interrogatoire sur la présomption de culpabilité. Pour ce faire, M. Elkabbach commence déjà par reprendre les abus de langage de la presse occidentale en reprenant l’expression d’ « annexion par les troupes russes» pour parler du retour de la péninsule criméenne dans le giron russe. On s’imagine tout de suite une déferlante d’hommes armés poussant les autochtones à voter pour un rattachement à la Russie. On se garde bien de préciser que les troupes en question étaient présentes en Crimée en vertu d’un traité international constamment renouvelé. Comme Poutine ne reconnait pas le rôle de l’armée russe dans le déroulement du référendum, on renforce le jeu de mots entamé en demandant s’il s’agit tout de même d’une « annexion ou d’une réunification ». Or, juridiquement parlant, le terme « annexion » tout court est neutre. Tout comme le terme de réunification. Quelle que soit la réponse donnée par Poutine, elle n’a aucun effet sur la suite de l’interrogatoire puisque M. Elkabbach redemande à Poutine s’il ne projette pas « de rendre la Crimée » ? Ladite question renvoie à la case de départ puisqu’on ne peut forcément pas « rendre » un territoire dont la population ne veut pas être « rendue ». A moins que M. Elkabbach n’ait pris au pied de la lettre cette phrase bien sûr ironique de Brecht Bertolt : « Quand le peuple vote mal, il faut changer de peuple ». N’est-ce pas en outre ce qui est en train de se faire dans les nouvelles républiques est-ukrainiennes sans que TF1 n’ait particulièrement envie de tourner un reportage sur le sujet ?

- Enfin, quelques questions au fond vaseuses consistent à traquer l’interlocuteur en s’accrochant à certains détails (factuels ou stylistiques) de ses réponses. Par exemple :

Jean-Pierre Elkabbach : « F. Hollande vous a invité en France, à Paris et en Normandie. Vous le connaissez très bien. Pouvons-nous aller plus loin et dire qu’il existe entre vous une relation de confiance ?

Vladimir Poutine : Oui, je le pense.

J-P. Elkabbach. Le pensez-vous ou en êtes-vous sûr ?

Vladimir Poutine. Je l’ai toujours pensé. Je n’ai pas de raison de penser le contraire (…) ».

On se demande ce que M. Elkabbach a gagné à revenir sur la réponse de Poutine si ce n’est que de jouer piètrement les inquisiteurs en faisant tourner en rond l’interview. Or, l’effet recherché était naturellement tout autre : essayer de faire pression sur Poutine pour que celui-ci doute de ses propos. Le mainstream médiatique en aurait immédiatement conclu qu’en réalité le Président russe était hostile à Hollande, donc, à la France, donc, aux Français. Le coup fut raté, il fallait relancer le dialogue. M. Bouleau dut ainsi développer la question initiale en la faisant déboucher sur la coopération franco-russe en matière de défense et d’économie.

 

Qu’en déduisons-nous ? Pour un premier point, Messieurs Bouleau et Elkabbach n’ont pas entendu ce qu’ils tenaient à entendre. Déconfits, ils se virent dans l’obligation non seulement de censurer la quasi-moitié de l’intervention de Poutine mais aussi de se censurer eux-mêmes sur des questions qui pourtant, pour un certain nombre d’entre elles cohérentes, auraient pu redorer le blason de TF1. Pour un deuxième point, quelle que soit la durée de l’interview et le contenu des passages choisis, Poutine est quand même sorti vainqueur ou plutôt « acquitté » aux yeux d’un grand nombre de Français qui n’ont pas vu ce qu’on voulait leur montrer : un dictateur étranger à l’idée de démocratie opprimant les peuples voisins. Le seul perdant est donc TF1 qui s’est décrédibilisé bien au-delà du raisonnable. D’ailleurs, cela fait belle lurette que sa manichéisation du monde a perdu de son sens quand on sait que McCain ne cache même plus la volonté de l’OTAN de resserrer son étau autour de la Russie et que les manœuvres Saber Strike version 2014 qui viennent d’être lancées dans les pays Baltes sont cette fois d’une ampleur sans précédent impliquant même des bombardiers nucléaires B-52. Il semble bien loin le temps où l’on affirmait que le système anti-missiles installé en Pologne est tourné contre l’Iran ! A quoi bon alors jouer les démocrates en se contentant de jouer avec les mots ? A rien, nous a une fois de plus et avec grande conviction démontré TF1 !

 

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.

Fil d’actu
0
Pour participer aux discussions, identifiez-vous ou créez-vous un compte
loader
Chat
Заголовок открываемого материала