Luc Michel : l’idée européiste a été trahie par la sujétion à l’OTAN

Luc Michel : l’idée européiste a été trahie par la sujétion à l’OTAN
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Les élections en Union européenne se succèdent. Après le renouvellement du Parlement européen, il est temps de s'en prendre à la Commission. Bien que les chefs d’Etats européens se soient déjà accordés sur le candidat à la tête de la Commission (on a proposé la candidature du doyen de la construction européenne Jean-Claude Juncker), c’est le Parlement qui aura le dernier mot.

Le Président de la Commission est d'ores et déjà élu par le Parlement européen qui cette année pour la première fois votera au lieu de juste approuver le choix du Conseil européen. Mesure qui doit apparemment rendre l’UE plus démocratique et transparente...

La façade de l’Europe unie va donc être ravalée mais réaménagera-t-on son intérieur ? Le Parlement s’est rempli d’eurosceptiques mais c’est toujours le social-démocrate Martin Schulz qui le préside. Quant à la nomination de Juncker à la tête de la Commission européenne, une fois élu, celui-ci devra affronter des nombreux problèmes économiques, politiques, sociaux et internationaux qui menacent l’existence-même de cette union unique qui a beaucoup de potentiel en tant qu’organisme indépendant, ce qui n’est pas, d’ailleurs, le cas pour le moment. Juncker sera-t-il capable de venir à bout d’une crise multifacette de l’UE ? Nous en avons discuté avec Luc Michel, géopolitologue belge, administrateur général de l’ONG « Observation eurasienne pour la démocratie et les élections» (OEDE).

LVdlR. Monsieur Michel, le Conseil européen a désigné le nouveau chef de la Commission européenne. C’est l’un des pères de la zone euro Jean-Claude Juncker. Il reste à entendre l’opinion du Parlement européen qui doit élire le candidat proposé par le Conseil européen, ce qui fait d’ailleurs la particularité de cette nomination. A votre avis, c’est une simple formalité ou bien le Parlement européen est vraiment en mesure de s’opposer à la décision du Conseil ?

Luc Michel. Il faut comprendre quelque chose, c’est que l’Union Européenne fonctionne de plus en plus comme fonctionne le parlementarisme occidental. C’est-à-dire que toutes ces phases d’élections et de consultations, c’est une comédie pour des choses qui ont été décidées avant. Le Parlement européen pourrait s’opposer mais il ne le fera pas, tout simplement car au préalable il y a eu des accords politiques entre les deux grandes formations que sont les sociaux-démocrates auxquels appartient le nouveau président du Parlement, Martin Schultz, et les démocrates-chrétiens auxquels appartient Juncker. On a émis des tractations politiques qui ne sont pas très reluisantes. Les socio-démocrates, c’est-à-dire l’ensemble des partis socialistes de l’Union Européenne, ont échangé la présidence du Parlement européen contre la démocratie européenne qui est la plus grande force du Parlement. C’est une grande comédie. C’est particulièrement scandaleux, car on fait croire aux Européens, que la nomination du président de la Commission est un pas démocratique, ce sont les citoyens qui décideraient. Or non, ce sont des calculs politiques. Maintenant la personnalité des gens élus a peu d’importance, mais on a pris Juncker car il appartient au Benelux (soit la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg), et ce sont des petits pays par rapport aux grands pays que sont la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne. Ces trois petits pays ne pèsent pas grand-chose au sein de l’Europe, ils n’ont pas un poids en tant que pays. Si vous suivez les nominations de dirigeants européens au sein de l’Union Européenne depuis 30 ou 40 ans ainsi que les nominations à l’OTAN, vous verrez une surreprésentation des Belges, des Néerlandais, des Luxembourgeois ainsi que des Danois, car ils ne sont pas dangereux pour les autres pays. Un français à la tête de la Commission européenne serait lui considéré comme dangereux. Derrière tout ça, il y a évidemment la crise de l’Union Européenne puisque celle-là va mal, la plupart des citoyens n’y croient plus.La France a eu par exemple 60% d’abstention aux européennes, dans certains pays d’Europe centrale on est allé à 70% comme en Tchéquie. En Belgique où le vote est obligatoire, on est allé à plus de 20% d’abstention et de votes nuls. Il y a une crise de l’Union Européenne, les gens n’y croient plus. Derrière ça, il y a la crise sociale, qui est liée au problème de l’euro. Il y a également la crise internationale, notamment l’Ukraine, puisque vous savez qu’à la grande surprise des dirigeants de l’Union européenne et de l’OTAN, une bonne partie de l’opinion publique européenne est pro-russe, certainement 15 à 20%.

LVdlR. Quant aux relations russo-européennes, Juncker était pour la normalisation de relations avec Moscou lors du conflit russo-géorgien, que fera-t-il aujourd’hui, en pleine crise en Ukraine ?

L.M. Il faut quand même comprendre que la liberté de mouvement des dirigeants européens est très faible, la réalité du pouvoir appartient toujours évidemment aux représentants de chaque Etat national au sein du Conseil européen. La deuxième chose est que de 2008 à nos jours, la partie de la classe dirigeante de l’UE qui était favorable à une entente avec la Russie a considérablement diminuée. Les américains ont repris en mains tout ça. Avec Sarkozy et Hollande, la France par exemple, s’est totalement intégrée à l’OTAN. La France du Général de Gaulle, qui était anti-américain et en faveur d’une alliance avec la Russie, parlant d’une Europe jusqu’à l’Oural, n’existe plus. Aujourd’hui la France est la meilleure alliée de Washington. J’ai écouté hier le discours du président Poutine, et il a raison lorsqu’il veut opposer les dirigeants européens aux Etats-Unis, il a raison sur le long terme. Mais sur le court terme, il y a quelque chose qui n’existe plus. Il n’y a plus en France de partisans d’un axe Paris-Moscou. Ces dirigeants sont américanophiles et alignés sur la politique américaine. Maintenant, il y a quelque chose de positif en faveur de la Russie, c’est le monde des affaires et des gens réalistes. Cette volonté de confrontation que les américains imposent aux dirigeants de l’Union Européenne contre la Russie, va totalement à l’encontre des intérêts de l’Union Européenne et de chaque pays européen. Il faut voir cette affaire avec les navires Mistral. Malheureusement, une classe politique actuelle dans l’UE veut absolument suivre l’OTAN et en découdre avec la Russie. On en arrive évidemment à cette volonté de confrontation géopolitique dont le partenariat oriental de l’UE est le prétexte. Ils veulent en réalité détacher de la Russie de tous les pays de l’étranger-proche, tels que l’Ukraine, la Moldavie, le Belarusse, la Géorgie, l’Arménie dans un but qui ne sert qu’à la géopolitique de l’OTAN. C’est là qu’est le piège et le danger. Est-ce que Juncker va faire quelque chose pour changer tout ça? Moi je ne le pense pas, car la nomination d’un soi-disant président de la Commission Européenne élu est un gadget à usage de l’opinion publique européenne. Cela ne repose pas sur une nouvelle puissance, quelle qu’elle soit. La deuxième chose, qui malheureusement existe, c’est qu’il ne faut pas attribuer trop de poids à ce qu’on a appelé la percée des partis eurosceptiques ou autres. Il y a toujours une majorité de 600 à 650 sièges sur 720 au Parlement européen qui sont des partis soutenant l’intégration atlantiste de l’UE. Et quand on comprend que tout a été décidé à l’avance, puisque comme vous l’avez vu, on a échangé des postes, on en arrive à cette situation, c’est aussi la raison pour laquelle elle a échappée totalement aux Britanniques.

LVdlR. Et pour ce qui est justement de divergences au sein de l’UE, il y avait une opposition à la candidature de Junker. D. Cameron notamment est parmi ceux qui dénoncent l’intégration plus profonde et du coup la candidature de Juncker. Quelles conséquences pourra avoir la nomination de celui-là à la tête de la Commission européenne pour la Grande-Bretagne ? Les Britanniques sont-ils capables de quitter l’UE ?

L.M. Oui, techniquement c’est possible. Cameron évoque régulièrement le spectre d’un referendum. Vous savez, le referendum on n’en veut pas, quand il n’arrange pas les politiciens, mais quand il les arrange, on en veut bien. Le problème de Cameron est qu’il y a maintenant une majorité de l’électorat britannique qui est contre l’UE, c’est là qu’a émergé le fameux parti de Nigel Farage, l’UKIP, qui est un parti totalement opposé à l’Union Européenne, qui a réussi à former un très puissant groupe qui s’appelle Démocratie et Liberté, un groupe de toute un série de parlementaires eurosceptiques au sein du Parlement européen. Vous noterez que Farage a pris des positions favorables à la Russie sur le dossier de la Crimée et de l’Ukraine. Il s’est également opposé publiquement par des campagnes très importantes aux projets de frappe contre la Syrie. Mais Cameron a une seconde opposition, c’est un groupe qu’on oublie souvent, c’est le groupe des eurosceptiques, des conservateurs et réformistes eurosceptiques au sein du Parlement européen. Il regroupe par exemple le parti Conservateur britannique, mais il regroupe aussi les nationalistes flamands de centre droit de la NVA belge, c’est le parti qui a gagné les élections le 25 mai en Belgique. Ce parti est très puissant, il se base principalement sur les Conservateurs britanniques. Donc Cameron est confronté à une seconde force, anti-européenne, il est confronté également à d’autres mouvements, comme vous le savez, il y aura un referendum en Ecosse au mois de septembre. Il est dans une situation où il ne peut plus tenir une position pro-européenne. Maintenant, la question de ce qu’il s’est passé pour la nomination du président de la Commission européenne. je pense que Cameron a pris une position à usage interne britannique. C’est-à-dire qu’il s’est opposé aux autres pays, à Juncker et à d’autres, pour tenir une position forte vis-à-vis de son opinion. Cependant, il est clair qu’il s’est ridiculisé dans cette affaire-là, car la Grande-Bretagne est apparu totalement isolée, hors de l’Europe. Etant européiste depuis presque 40 ans, je suis pour une grande Europe de Vladivostok à Dublin. Et je pense que l’Union Européenne est un projet qui a échoué, notamment car l’idée européiste a été trahie par la sujétion à l’OTAN. Donc je pense que l’avenir de l’Europe se dessine autour de l’espace eurasiatique que le président Poutine est en train de construire. C’est mon opinion depuis déjà une vingtaine d’années. Mais donc je pense que l’Union Européenne est un projet qui va se terminer. Est-ce que la Grande Bretagne va en sortir? C’est tout à fait possible et cela pourrait être bien pour l’Europe. Vous savez que le Général de Gaulle était opposé à l’entrée de la Grande-Bretagne dans ce qui était à l’époque la Communauté économique européenne. Il disait que ce serait un cheval de Troie des Américains et c’est exact. Dès que les Britanniques ont été à l’intérieur de l’Europe, ils ont commencé à casser le processus de l’intégration européenne, et à marginaliser la France. Donc cela pourrait être une porte de sortie. Et, je ne suis pas certain que ça ne satisfasse pas les autres pays. La Grande-Bretagne est un élément perturbateur, elle a refusé notamment de rejoindre l’Euro, ce qui a fragilisé la zone euro dès le départ. Vis-à-vis de l’UE les propos de Cameron sont un échec, il a démontré sa faiblesse.

 

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