Les sanctions font des victimes parmi les populations civiles

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Ce serait bien que tout gouvernement qui décide une action quelconque n’oublie pas que cette action, même dirigée contre un autre, peut se retourner contre lui-même, ou, pire encore, contre son propre peuple.

S’il y a bien une expression que je déteste, c’est les « pertes collatérales » Cela rejoint une autre expression, de cette fameuse « sagesse populaire » : On ne peut pas faire l’omelette sans casser les œufs. Les œufs ont échappé aux contre-sanctions prises par la Russie a l’encontre de l’Union Européenne. Mais la viande, les produits laitiers, les fruits et les légumes figurent bien sur la liste d’embargo.

Un peu plus d’une semaine après la publication de cette liste, les premières sentences ont tombés : une baisse de 10% de production du porc, à la sortie des abattoirs français. Une fois de plus, ce ne sont pas les chiffres dépourvus de sens – derrière ces bâtons et ces zéros se profilent les vies des gens concrets, leurs espoirs qui s’effondrent, leur équilibre qui est dérangé.

Gad, filiale de la coopérative agroalimentaire Cecab, avait été placée en redressement judiciaire, en février 2013. En octobre, le licenciement des 900 salariés de l'abattoir dans le Finistère, devait permettre au site de Josselin dans le Morbihan, se développer et recevoir le renfort de 340 emplois en CDI. La crise annoncée du secteur porcin français, suite aux contre - sanctions russes, a mis au pilori les espoirs des employés.

Nous avons demandé de commenter la situation au Délégué du CFDT de l’abattoir Gad, Patrick Piguel. Quelle incidence l’embargo russe peut avoir sur l’abattoir Gad, celui qui est à côté de Josselin ?

Patrick Piguel. Tout d’abord l’embargo [a été] décidé par votre gouvernement, nous ont ne fait que subir. La population chez vous, sans doute aussi. [Les premiers embargos ont été mis en place] suite à une détection d’un [code] test porcine, en Lituanie. A l’époque on aurait très bien pu trouver un accord bilatéral, en fermant quelques frontières, mais pas la fermer à toute l’Europe. Là, avec ce que j’ai comme connaissances, il y a aussi la situation en Ukraine qui n’a pas forcément arrange les choses. Vous avez décidé carrément de fermer les frontières à toute l’Europe pour les produits porcins.

Il s’avère que la France était exportatrice à hauteur de 75 000 tonnes, à peu près, la valeur d’un petit abattoir. Mais les plus grosses exportations en provenance d’Europe viennent d’Allemagne et du Danemark. Du coup, si c’est fermé, il faut bien qu’ils arrivent à écouler leur production. Cette production qui n’est pas exportée reste à l’intérieur de l’Europe. En France, comme le marché est assez ouvert, toutes les marchandises reviennent sur le marché intérieur, ce qui complique les choses pour tous les opérateurs français. Mais comme l’entreprise « Gad» sortait d’une période de redressement judiciaire, c’est sûr que ça a compliqué encore plus la tâche.

LVdlR. Est-ce que vraiment vous risquez de mettre la clef sous la porte ?

Patrick Piguel. Il n’y a pas que cet aspect conjoncturel qui a fait que la situation s’est aggravée, mais cet embargo a mis en exergue pas mal de disfonctionnements. Que ce soit sur la filière en elle-même, mais aussi sur l’aspect structurel de l’entreprise, ça a accentué les disfonctionnements. Notre entreprise « Gad» nous a demandé très récemment que les représentants du personnel valident la demande que l’entreprise puisse se mettre sous la protection du Tribunal en faisant une demande de liquidation judiciaire. Le risque [étant] une fermeture complète ou laisser le temps nécessaire de retrouver un entrepreneur. Sinon c’est fermé.

LVdlR. Josselin est une petite ville. Cela va toucher presque la totalité de la ville, d’une manière plus ou moins directe.

Patrick Piguel. Ah oui. On est à peu près 1200 sur le site. 1200 salariés plus tout ce qui tourne autour : les emplois indirects liés à l’activité, plus les emplois indirects sur la collectivité et le périmètre aux alentours. C’est une catastrophe.

Et c’est une catastrophe aussi pour la filière, pour toute la Bretagne.

l LVdlR. On connait les Bretons comme des gens au caractère bien trempé qui savent prendre leur destin en main. Il n’y a pas de mouvements de « Bonnets Rouges » qui se prépare dans le coin ?

Patrick Piguel. Je ne pense pas non. Il ne faut pas se leurrer, ce sont tous les aléas de la mondialisation. On peut critiquer le commerce tel qu’il est exécuté depuis des années, mais il ne faut pas se cacher.

Avoir des idées de replis sur soi, ce n’est pas la solution non plus. On voit bien que ce positionnement que certain peuvent avoir, c’est d’avoir un raisonnement complètement à côté de la plaque. C’est un raisonnement qu’ont les « Bonnets Rouges ». [On a] un raisonnement culturel assez ouvert, mais sur l’aspect commercial, si on se repli sur soi - ce n’est pas bon.

LVdlR. L’année dernière il y a eu beaucoup de cas d’achats de fermes viticoles dans le Bordelais. Le Président du syndicat des vignerons de Bordeaux m’a dit à l’époque qu’à un moment donné ce sont les Chinois leur ont sauvé la mise. Parce que la surproduction du Bordeaux à un moment donné était aspirée par le marché chinois.

Est-ce que vous avez l’espoir qu’un autre marché s’ouvre et qui vous permette de sortir de cette situation difficile ?

Patrick Piguel. Rapporté à notre échelle, au niveau de l’entreprise, il faut bien qu’on ait des débouchés pour écouler la marchandise. Et le marché de l’export est un des marchés que l’on doit aussi essayer de développer. Si on veut que la production continue, pas uniquement au niveau de notre entreprise, mais la production tel qu’elle est aujourd’hui, si on n’avait pas l’export, beaucoup d’entreprises pourraient fermer.

Donc il faut allez à l’export mais il faut avoir des produits de qualité et être compétitif.

LVdlR. Et j’espère que le Syndicat National du Commerce du Porc va rentrer de vacance et vous aider dans cette tâche.

Patrick Piguel. Il faut qu’ils prennent leurs responsabilités.

LVdlR. Une lueur d’espoir apparait néanmoins sur ce tableau assez sombre : le PDG de la SVA Jean Rozé, une filiale d'Intermarché, a indiqué dans une interview au quotidien régional le Télégramme d’être toujours intéresse par une reprise de l'abattoir porcin de Gad à Josselin, tout en se donnant le temps d'étudier le dossier. Autre bonne nouvelle : Une délégation de représentants des salariés sera reçue au Ministère de l'agriculture la semaine prochaine, mardi 19 aout. Une issue positive est donc encore envisageable.

Mais ce serait bien que tout gouvernement qui décide une action quelconque n’oublie pas que cette action, même dirigée contre un autre, peut se retourner contre lui-même, ou, pire encore, contre son propre peuple.

Dans le monde actuel, les pertes collatérales - ce sont nous-même.

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