L’EI. De la manipulation à l’ultime confrontation à venir

L’EI. De la manipulation à l’ultime confrontation à venir
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Samuel Laurent, spécialiste du monde arabe, consultant international et auteur du livre « Al-Qaïda en France» soutient une thèse selon laquelle les djihadistes seraient déjà prêts à frapper en France.

Ayant ouvert la boîte de Pandore en croyant niaisement pouvoir faire ménage avec le diable, Bruxelles doit maintenant, d’une part, essayer d’éteindre un certain nombre de brasiers djihadistes aux côtés des Américains qui ont bien moins à perdre que l’Europe, d’autre part, guerroyer contre une engeance dont les agents dormants pourraient, à l’instant propice, se réveiller en faisant beaucoup de bruit.

Samuel Laurent, spécialiste du monde arabe, consultant international et auteur du livre « Al-Qaïda en France» en parle avec beaucoup de verve soutenant une thèse selon laquelle les djihadistes seraient déjà prêts à frapper en France. Difficile de ne pas prêter foi à ses pronostics.

En attendant, la tragédie du peuple irakien fait écho à celle des peuples syrien et libyen où Big Brother a déjà fait le ménage à sa convenance, ceci dans l’esprit poussiéreux mais toujours hyper actuel des accords Sykes-Picot. Ce qui est aujourd’hui clair, c’est que le Vieux Continent, tout comme le monde arabo-musulman, se trouvent à la croisée des chemins. Le Kurdistan irakien, arrivera-t-il à décrocher son indépendance ? L’onde de choc qui a Mossoul pour épicentre, secouera-t-elle fortement la Syrie ? Que feront les monarchies pétrolières, défiées par l’EI ? Israël, aura-t-il à revoir la politique paranoïaque qu’il a jusqu’ici appliquée à son voisin iranien, concevant, par la force des choses, que seule une alliance irréelle en pratique mais ô combien bénéfique en théorie entre Damas, Téhéran et Tel-Aviv pourrait contribuer à étouffer les milices du Califat ? Les USA, continueront-ils à soutenir en catimini leur créature, l’EI, tout en s’apprêtant à lui balancer des bombes « au compte-goutte » pour ne pas en finir définitivement, histoire de freiner l’ascension vertigineuse des BRICS ?

Bassam Tahhan, islamologue de renom et géopoliticien, nous a livré son analyse éclairée en la matière.

La Voix de la Russie. « Une coalition de 40 pays a exprimé l’intention de lancer une opération massive contre l’EI. Celle-ci serait étalée sur plusieurs années et la France sera évidemment de la partie, Le Drian ayant déjà fait savoir sa pleine approbation. J’aurais à ce titre deux questions à vous poser :

- La France, s’engage-t-elle par nécessité, l’Europe pouvant être à terme menacée, ou pace que les USA l’y poussent ?

- N’est-il pas pour le peu ridicule de buter des années durant des extrémistes pourtant bien localisables et quantifiables qui, en plus, ont perdu l’appui financier de l’Arabie Saoudite ?

Bassam Tahhan. Pour ce qui est de la France, je crois que comme il y a un désastre économique et un problème de politique intérieure après l’affaire des frondeurs, des sondages qui montrent que le Président est au plus bas. Mais en fait, il y a un autre volet de cette crise qui est celui des relations extérieures de la France. On cherche à cacher toute cette catastrophe en se réfugiant dans la problématique économique mais la réalité est toute autre. La France a autant de problèmes dans ses relations extérieures que dans sa politique économique intérieure … par exemple, les impôts.

En fait, la France s’est greffée sur l’attitude américaine parce qu’elle a commis l’erreur dans le passé de reconnaitre le Conseil national syrien et la Coalition syrienne. Que ce soit la France ou les USA, ces deux pays croient en quelque sorte à l’infaillibilité. C’est-à-dire qu’ils ont adopté cette attitude contre le gouvernement syrien, contre Assad et ne veulent pas en démordre. On va, disent-ils, mener la lutte contre les islamistes mais en ne faisant pas appel au Président syrien. Au contraire, d’après le dernier discours d’Obama, on va même armer les rebelles modérés. Rappelons une fois de plus que l’opposition modérée et les rebelles modérés – appelez-les comme vous voulez – n’existent plus. Ils n’existent que dans la tête de ceux qui emploient ce terme. Tout ce qu’ils peuvent espérer avoir sur le terrain, ce sont des mercenaires à tendance islamiste qui pour gagner de l’argent ou de l’aide américaine, ou encore française, peut-être autre, veulent bien s’enrôler. Pour le lendemain, on les a vus rejoindre le drapeau noir des islamistes de tout bord, parce qu’il n’y a pas que l’EI. Il y a également, par exemple, le Front Al-Nosra qui dépend d’Al-Qaïda, il y a le Front islamique qui regroupe une soixantaine de groupes, entre autres Ahrar al-Sham qui vient d’être décimé.

Cette coalition de quarante pays, ce sont « Les amis de la Syrie » version numéro 2. Ces amis de la Syrie, on a découvert, dans le passé, qu’ils étaient les ennemis de la Syrie et qu’ils soutenaient les islamistes puisque, dans le Conseil national syrien où tout le monde sait qu’il y a des islamistes, les porte-paroles de ces instances syriennes n’arrêtent pas de déclarer leur solidarité avec le Front islamique. Il se fait donc que nous sommes les alliés objectifs du djihadisme, qu’on le veuille ou non.

Cette coalition qui va donc durer pendant des années a pour but, à long terme, de constituer une carte de pression contre l’Iran, contre la Russie et contre les monarchies du Golfe. C’est une sorte d’épouvantail qu’on agite pour vendre des armes, pour montrer au royaume saoudite et au Qatar qu’ils ne peuvent vivre sans les USA et leur aide. Il n’est donc pas dans l’intérêt d’Obama d’extirper et d’extirper rapidement l’EI. Au contraire ! Il faudrait, à petit feu, l’entretenir mais tout en l’empêchant de renverser les monarchies du Golfe. Voilà donc le gros projet de cette coalition. Cela arrange autant les USA – ou du moins c’est ce qu’ils croient – que la France ! Celle-ci, ayant des contrats avec cette région du monde, cherche également à préserver les pétromonarchies tout en nous chantant la chanson de la démocratie, de la nature dictatoriale du gouvernement d’Assad, sans voir que les dictatures les plus sévères se situent plutôt dans le Golfe arabo-persique que du côté de Damas. Néanmoins, ils ne veulent pas en parler parce qu’il s’agit d’encaisser trois milliards pour armer l’armée libanaise … et là, permettez-moi une remarque ! En fournissant armes et munitions aux Kurdes, aux islamistes par la Turquie, au Liban, on ne fait que nourrir une poudrière. Qui nous dit que ces trois milliards dépensés pour les armements de l’armée libanaise ne vont pas servir un jour à une guerre civile au Liban pour le détruire de nouveau ?

Cette vente d’armes excessive, ce surarmement, comme je l’ai toujours dit, c’est en fat le combustible de cette croisade que mène l’Occident pour la destruction du monde arabo-musulman de l’intérieur et, en même temps, un défi lancé à la Russie de Poutine, à l’Iran de Rohani après, évidemment, la révolution de Khomeiny ! Tout ce printemps arabe n’est qu’une mascarade où les Américains ont déjà détruit plusieurs pays, à commencer par la Lybie. Il faudra encore des décennies pour que ce pays se stabilise !

Reste une dernière question : pourquoi est-ce que le royaume saoudite et les pays du Golfe ont dit oui à cette coalition et, après avoir aidé les islamistes, se retournent contre eux ? Il ne s’agit pas de faire en sorte, tout simplement, que l’EI ne revendique pas uniquement le Sham, c’est-à-dire le Levant et l’Irak, mais tout le monde musulman ! Qui dit Califat, dit pouvoir spirituel et temporel.

Tant que ces djihadistes islamistes étaient au service des monarchies du Golfe pour casser l’allié de l’Iran et de la Russie qui est la Syrie d’Assad, on les bénissait, on les aidait, on dépensait des milliards à les armer. Par exemple, je vous rappelle que le Qatar a dépêché des avions pour transporter des milliers de djihadistes de Tunisie vers la Syrie. Avec des salaires.

La Turquie s’est quant à elle chargée de faire les virements bancaires des salaires de ces djihadistes. Il en est de même pour l’armement transité par la Lybie avec un fret aérien qatari. Tout cela était bien beau, on applaudissait et tout le monde croyait à la chute imminente d’Assad. Néanmoins, je l’avais dit au tout début, c’était très difficile parce qu’Assad a toutes les minorités et le sunnisme modéré de Syrie qui le défendent. Il se bat « le dos à la mer » ! Il a des alliés puissants qui sont la Russie, l’Iran, évidemment le Hezbollah qui n’est pas un Etat mais qui a fait ses preuves contre Israël et sur le terrain en Syrie.

Maintenant, ce qui s’est produit, au niveau religieux, c’est qu’en proclamant un Califat, c’est que ce Baghdadi, nouveau Calife entre guillemets, se place religieusement et temporellement au-dessus de tous les rois du monde arabe, de tous les descendants du Prophète. Il se place aussi au-dessus des Séoudes et de la famille Al-Thani du Qatar, au-dessus d’Al-Azhar, la grande université du Caire, au-dessus du roi du Maroc … A mon sens, c’est là que, stratégiquement parlant, Baghdadi commet une grave erreur ! Il pouvait continuer à faire sa « guéguerre » et à massacrer tout en gardant ce rôle modeste de chef d’Etat islamique mais pas de Calife. Or, s’il dit être Calife, il se met automatiquement dans la lignée des successeurs du prophète fondateur de l’islam. C’est ainsi qu’il s’est attiré les foudres de tous les leaders, de tous les imams, des ayatollahs, du monde entier, etc.

Comme on sait, les USA et l’Occident sont les alliés objectifs des monarchies pourries dictatoriales et viennent à leur secours. Mais à une condition : il ne faut pas que le régime de Baghdâd tombe! Jusqu’à maintenant, on croit que le nouveau gouvernement à Baghdâd va se retourner contre Assad. Personnellement, je ne le pense pas. L’Irak avec une majorité chiite ne permettra jamais au gouvernement de Baghdâd de s’opposer à Assad et de le renverser. Cette alerte qui pousse les Américains à intervenir sans l’autorisation de l’ONU va poser un problème de légalité. On ne peut pas dire qu’Assad ne peut jamais réacquérir la légitimité alors que toutes les actions promises par Obama se trouvent dans l’illégalité. Tant qu’il n’y a pas eu de résolution, comment est-ce qu’Obama s’octroie le droit de frapper ? Pour l’Irak va encore puisque le gouvernement le lui a demandé. Mais la Syrie ? Il en va de sa souveraineté ! ».

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