L’EI a pactisé avec les rebelles « modérés » du Quai d’Orsay. La Syrie, tiendra-t-elle ?

L’EI a pactisé avec les rebelles « modérés » du Quai d’Orsay. La Syrie, tiendra-t-elle ?
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La vérité a une vertu assez fâcheuse pour ceux qui s’appliquent à la déguiser : elle finit toujours par se mettre à poil. Le tout récent accord de cessez-le-feu signé entre les individus de l’EI et les gentils rebelles syriens tant soutenus par le Quai d’Orsay met irrévocablement à nu tous les simulacres de vérités jusqu’ici déclinés par les démocraties européennes.

Oui, dans les faits, les modérés anti-Assad et les milices sanguinaires de l’EI ne font qu’un. Oui, leur véritable cible est le très gênant el-Assad. Oui, la photo représentant le sénateur McCain aux côtés d’Ibrahim al-Badri (actuel Abou Bakr al-Baghdadi qui semble être subitement tombé du ciel) et Salim Idriss, ancien chef d’état-major du Conseil militaire suprême de l’ASL, n’est pas un faux. Elle a été prise en mai 2013, alors donc que ce qui devait se transformer ultérieurement en EI, alors embryonnaire mais déjà bien garni en matière d’armements, était déjà bien connu suite à ses exactions en Lybie. 2013. Trois mois environ avant le massacre sous fausse bannière de la Ghoutta (21 août) et des frappes aériennes franco-américaines (31 août) annulées in extremis. Les dés avaient déjà été lancés, cela dans la logique du redécoupage du Moyen-Orient connu, dans son état actuel, depuis 13 ans, c’est-à-dire, date symbolique, depuis 2001.

L’ensemble de ces soi-disant coïncidences forment un puzzle très parlant montrant bien que l’EI n’est pas le fruit d’une erreur stratégique mais bien l’engeance « technique » d’une stratégie dont la pleine exécution était prévue pour 2013. Ayant mal digéré leur défaite en Crimée et leurs insuccès en Ukraine, les USA ne font rien d’autre maintenant que de se rattraper en projetant des scènes immondes de décapitations de journalistes et en brandissant, chemin faisant, la menace islamiste – certes réelle mais depuis ô combien de temps ! – en Europe.

Si l’objectif final est bien entendu la Syrie d’Assad, il faudrait quand même aussi préciser que Washington a su, de un, neutraliser le revirement sino-russe de Maliki, de deux, renforcer son éminente et incontournable présence sur le Vieux Continent en tant que seule entité capable de battre le monstre islamiste partout où il se manifeste, donc, de facto, réaffirmer la parfaite dépendance de l’Occident de la puissance militaire des USA pour qui les djihadistes sont et des alliés plus que fiables au Moyen-Orient et l’ennemi qu’ils auraient en commun avec l’Occident. Chapeau !

On pourrait également se poser quelques questions, certes cyniques mais avant tout réalistes, sur la nature des vidéos de décapitation. Jamais deux sans trois, dit-on. Si l’exorbitante imposture du 9/11 a pu être orchestrée avec autant d’audace et donner ce qu’elle a donné, si la dissémination du gaz sarin dans la banlieue damascène devait donner feu vert aux frappes otaniennes, pourquoi ne pas imaginer que les trois exécutions de journalistes occidentaux (la quatrième s’ajustant à l’attitude de Cameron vis-à-vis de l’EI), les unes plus louches que les autres, n’ont pas été montées de toutes pièces pour justifier une offensive musclée contre les nids islamistes de Mossoul et des grandes villes syriennes ? On peut se demander, qui plus est, quelle est la raison qui pousserait l’EI à massacrer des journalistes provenant de pays alliés puisque leur but est de renverser Assad. On peut aussi se demander si la vie des chrétiens, des musulmans modérés ou des yézidis vaut moins que celle des trois journalistes américains dont l’horrible mort aurait « enfin » suscité une intervention. Je vous laisse y répondre.

C’est en expert confirmé et en humaniste qu’Allain Jules, politologue et blogueur, nous a livré son analyse de la donne irako-syrienne.

La Voix de la Russie, Françoise Compoint. « Un accord de cessez-le-feu vient d’être signé entre les leaders de l’EI et les rebelles dits modérés et dits syriens tant soutenus par nos dignitaires du Quai d’Orsay. Croyez-vous que cet accord puisse à terme sonner le glas du pouvoir alaouite et surtout laïc d’Assad ?

Allain Jules. Je ne le pense pas sachant sur quels principes ces gens-là fonctionnent. C’est-à-dire qu’ils signent un accord dans telle ou telle région simplement pour sauver leurs intérêts. Par exemple, ça ne peut pas se passer de la même manière à Alep et à Homs. Ce qui se passe réellement, c’est que, malgré les apparences, ces gens-là étaient et restent des alliés, il est temps de le reconnaitre … parce qu’au fond, ils ne sont là où ils sont que pour gagner de l’argent. N’oubliez pas que ce sont des mercenaires et non pas, selon le leitmotiv de mise, des combattants de la liberté. Par conséquent, le pouvoir alaouite ne pourra vraisemblablement pas tomber, enfin, si on peut s’exprimer ainsi dans la mesure où il n’y a pas de pouvoir alaouite en Syrie comme on le dit vulgairement. Il s’agit d’un pouvoir plutôt laïc qui accepte les valeurs œcuméniques contrairement à cette horde de barbares qui font la loi en assassinant, en égorgeant, en crucifiant ceux qui ne pensent pas comme eux. On ne dit jamais assez que la femme de Bachar al-Assad est une sunnite ! Le gouvernement syrien compte plusieurs ministres sunnites. Idem pour l’armée où il y a plus de sunnites que d’alaouites ou de chiites. Malheureusement, le mainstream médiatique préfère le passer ces faits sous silence. Pourquoi ? Parce qu’elle a vendu un concept de guerre confessionnelle en Syrie ce qui est un mensonge. Comment expliquer, si ce n’est pas le cas, qu’au bout de trois ans, sachant que les sunnites sont bien plus nombreux en Syrie, ces gens-là n’ont toujours pas gagné la guerre ? En revanche, si le pays est encore en état de guerre, c’est parce que les brigades de l’ancien EIIL et Al-Nousra sont soutenus mordicus par Laurent Fabius et des figures politiques s’en tenant à la même stratégie que ce dernier. Ceux qui ont peur de dire la vérité sont aujourd’hui les premiers à raser les murs parce qu’ils auront à répondre, demain, des résultats de leur politique. J’ai pour ma part cette conviction que le Mal ne pourra pas vaincre le Bien comme le Mal a vaincu le Bien en Lybie pour ensuite, je pense, servir de leçon aux autres.

J’ai entendu ce matin sur BFM l’intervention d’Edwy Plenel qui était à l’avant-garde de la guerre contre feu Mouammar Kadhafi et qui a reconnu aujourd’hui que l’assassinat du chef de la grande Jamaria était une erreur la Lybie s’étant transformée en un sanctuaire terroriste ! Je crois donc que les gens commencent à se réveiller en prenant conscience de l’extrême gravité de la situation. D’ailleurs, il y a un député français socialiste qui a demandé le lancement d’une enquête parlementaire par rapport aux menées de la France en Lybie. Si donc on veut répéter le même scénario, aujourd’hui, en Syrie, on commettra une double erreur porteuse de conséquences similaires, voire bien plus lourdes.

LVdlR. Les Américains avaient renoncé in extremis à bombarder la Syrie le 31 août 2013 bien qu’ils pouvaient encore prétexter le massacre sous fausse bannière de la Ghouta. Comment expliquer qu’ils veuillent faire aujourd’hui ce qu’ils n’ont pas fait l’an dernier ? Serait-ce lié à la défaite US en Ukraine ?

Allain Jules. Oui, ils ont certainement très mal digéré l’échec ukrainien. Ceci dit, pour comprendre, il faut bien cerner la nature de la dichotomie qui tiraille ces gens-là. D’un côté, les citoyens américains et européens sont touchés par ceux qu’ils ont financés et armés. Je ne me lasse pas de le répéter : Al-Nousra de même que l’EI ont été armés et financés par l’Occidentet les monarchies du Golfe. D’un autre côté, quand on entend les prises de position de M. Fabius qui est la négation même de la diplomatie française, quand on voit ses échanges de politesse avec les Séoudes, on comprend que ceux qui sont à l’heure actuelle au gouvernail se moquent de nous. Grossièrement. Il y a donc ce conflit permanent entre l’avis public conforté par les expériences tragiques accumulées jusqu’ici et la stratégie déployée par les décideurs de Washington et Bruxelles.

LVdlR. Que pensez-vous des exécutions des trois journalistes américains ? Pourrait-on présumer, eu égard à l’attitude plus qu’étrange des suppliciés et l’identité de leur bourreau, qu’il s’agit d’une mise en scène comparable mais à un niveau local à celle du 9/11 ?

Allain Jules. Effectivement, nonobstant la couverture plus qu’univoque que fait la presse occidentale de ces exécutions, on ne saurait faire abstraction d’un certain nombre de réalités physiologiques qui rendent les images diffusées assez douteuses. Le cœur est un organe indépendant. Si on coupe la tête d’une personne, le sang doit littéralement gicler. Or, en regardant les vidéos en question, on ne voit pas le sang gicler. Qui plus, je trouve étonnant l’empressement avec lequel les services occidentaux valident et authentifient ces vidéos sans aller au fond des choses.

Pour tout vous dire, je doute fort qu’il s’agisse de véritables exécutions. Pourquoi exécuter les alliés objectifs de ceux qui veulent en finir, eux aussi, avec Assad ? En tout cas, à l’heure qu’il est, rien ne permet d’affirmer si ces journalistes sont morts. Par contre, le bourreau que l’on retrouve sur les trois vidéos, un certain John, fait partie d'un groupe dans lequel il y a des experts en informatique. Si donc ces gens-là sont morts, d’une façon ou d’une autre, ça reste abominable. Mais sont-ils morts égorgés par John ? Rien ne permet de donner une réponse définitive. Ni la quantité infime de sang répandu, ni l’incroyable sérénité de ces gens qui tiennent leur discours qu’on leur a dit de tenir comme si de rien n’était ».

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