La russophobie des ignares ou du syndrome Tolstoïevsky

La russophobie des ignares ou du syndrome Tolstoïevsky
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"Je pense que les nations d’Europe occidentale on une double hypothèque qui pèse sur elles."

Le syndrome Tolstoïevsky entrave les relations de la Russie avec le monde occidental. Ce n’est pas moi qui le dit, c’est l’écrivain suisse d’origine serbe, M. Slobodan Despot, qui a publié sur son blog un article très dense, très poétique même pour certains passages, commençant ainsi : « Le problème, avec l’approche occidentale de la Russie, n’est pas tant dans le manque de volonté de comprendre que dans l’excès de ne rien savoir ».

L’homme occidental, serait-il la mesure de toutes choses ? Croirait-on sérieusement « contenir » - puisqu’on continue à jouer à la logique du containment de Mackinder – la Russie en lui infligeant des sanctions dignes d’une cour de récréation ?

M. Despot a tendance à penser que l’ignorance imbue d’elle-même de la civilisation helléno-romano-occidentale dont il semble aujourd’hui ne rester que le 3ème membre est à l’origine de ses embêtements avec la Russie actuelle, sortie de sous la chape de plomb qui l’écrasait pendant les années transitoires de la période postsoviétique. Voici son analyse.

La Voix de la Russie.«Pourriez-nous expliquer ce que vous entendez par le « syndrome Tolstoïevsky », récemment mentionné dans l’un de vos derniers articles qui a par ailleurs toutes les caractéristiques d’un bref essai ?

Slobodan Despot . Je ne dirais pas que c’est un essai, ça serait beaucoup dire ! C’est un texte, certes assez long, mais que j’ai écrit dans l’urgence et dans la réaction face à cet aveuglement délibéré qu’on relève en Occident dès lors que l’on parle de la Russie. Qu’est-ce que le syndrome Tolstoïevsky ? Il y a beaucoup de gens, même très cultivés, dans les pays d’Occident, en France en particulier, qui confondent les deux grands écrivains russes. Ils font un amalgame entre les deux noms sans savoir véritablement de qui ils parlent et cela leur suffit comme connaissance de base de la civilisation russe. Je caricature, bien évidemment, mais fondamentalement la réalité n’en change pas pour autant. Alors que la Russie a intégré la culture européenne dans la sienne propre, notamment en adoptant aux XVIII-XIXèmes siècles le français comme langue parlée par l’élite, l’Europe s’est efforcée de ne pas intégrer la Russie. Je ne dis pas qu’elle n’a pas fait suffisamment d’efforts pour intégrer la présence culturelle russe dans sa propre culture, je dis qu’elle a fait un effort pour ne pas l’intégrer.

LVdlR. Revenons à notre triste modernité. Est-ce que les sanctions dont on ne cesse de débattre avec tant de zèle ne découlent pas, au fond, d’une piètre compréhension de la politique internationale russe ?

Slobodan Despot. L’Occident s’est octroyé comme mission de régenter la planète. Depuis son expansion, notamment au temps des grandes conquêtes coloniales, il a marginalisé et complètement dévalorisé tous les modèles de développement qui ne correspondaient pas au sien. Je pense aux cas de l’Inde, de la Chine, de la civilisation japonaise, etc. Tous ont été brisés et alignés sur un modèle sociétal purement occidental, cela conformément aux besoins occidentaux et les valeurs sur lesquelles ceux-ci se fondent. Or, il se trouve qu’on assiste aujourd’hui, d’une manière quasi-providentielle, à une renaissance de l’entité russe, de l’Empire russe, de l’idée russe, d’un mode de pensée et d’une conception de la vie et du monde qui sont spécifiques de la Russie, un peu comme si nous voyions renaître un Empire enterré depuis 1917. Cette renaissance ne convient absolument pas aux ambitions hégémoniques de l’Occident qui la combat non pas seulement sur le plan économique avec les sanctions ou sur le plan militaire en provoquant des guerres sur le pourtour de la Russie mais aussi sur un plan « intérieur » en Occident, faisant en sorte que l’influence russe ne pénètre pas plus dans la conscience des populations occidentales.

LVdlR. Croyez-vous que la mise en œuvre du rêve gaulliste qui est une Europe de Lisbonne à Vladivostok soit encore envisageable malgré l’intensification des tensions entre le monde dit atlantiste et le continent eurasiatique ?

Slobodan Despot. Si on m’avait demandé il y a encore 10-15 ans s’il était envisageable que la Russie se redresse, j’aurais dit que, selon la raison humaine, cela ne pouvait être le cas. Je ne vais donc pas faire de pronostics pessimistes sur la question que vous m’avez posée. Je pense que les nations d’Europe occidentale on une double hypothèque qui pèse sur elles.

J’entends, premièrement, l’existence de l’UE qui les prive de leur souveraineté, donc de leur capacité naturelle à régenter leurs propres sociétés, leurs propres économies ainsi qu’à réguler leurs flux migratoires en les obligeant à accueillir une immigration incontrôlée.

Deuxièmement, ils sont ligotés par l’Alliance atlantique qui oriente leurs décisions stratégiques selon le bon-vouloir strictement pragmatique des USA et au détriment des intérêts des nations d’Europe. Je pense que si l’on permettait – et un jour cela se produira nécessairement – aux représentants européens de soumettre leurs engagements à l’avis des peuples, les aspirations naturelles de ces derniers ainsi que leur lucidité, du Portugal à la Scandinavie, iraient vers une intégration européenne/eurasienne, c’est-à-dire une intégration du continent européen. Il faut bien comprendre que la division qui existe aujourd’hui est artificiellement maintenue par une pression constante du mouvement atlantiste mû par le néo-impérialisme américain. Elle n’est pas naturelle aux peuples d’Europe ».

Commentaire de l’auteur. « Vous leur en voulez de tout ce que vous avez manqué d’être ! ». Cette phrase cinglante et lapidaire que je mettrais bien en exergue aiguise davantage encore la réflexion de M. Despot. La Russie a en effet lancé ce processus de multipolarisation qui inquiète tant la vieille pieuvre tentaculaire de l’Outre-Atlantique. On ne saurait lui reprocher ses inquiétudes car, après tout, sa perception de l’Histoire, de la Vie et des relations diplomatiques, dans un sens plus strict, est foncièrement différente de la perception européenne. Même plus ! Elle lui est génétiquement étrangère.

En revanche, l’Europe occidentale semble éprouver quelque chose qui rappelle des douleurs fantômes, comme si une partie fondamentale de son héritage avait été déracinée pour être replantée ailleurs, sur le continent eurasiatique. La France de Péguy ou la France de Dorgelès, combattive, pleine de foi, a aujourd’hui toute sa place dans une Russie bicéphale aussi riche de ses liens avec l’Asie que de cette âme européenne qui attire tant d’amoureux de la France en particulier et d’une Europe souveraine en général. Le Temps, dit-on, a raison de tout. Ainsi de l’Histoire. Ainsi du syndrome Tolstoïevsky, un malaise passager.

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