Vers un retour du totalitarisme judiciaire en France ?

Vers un retour du totalitarisme judiciaire en France ?
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Héritière par excellence des Lumières, internationalement perçue comme le pays des Droits de l’Homme, la France d’aujourd’hui, cette France hélas plus socialiste de nom que de fait, accumule des mesures coercitives qui laissent volontiers croire à la résurrection du délit d’opinion.

Curieusement, la résurgence supposée du délit d’opinion se superpose à l’élaboration d’une nouvelle stratégie de lutte anti-terroriste que l’on estimerait plus efficace car plus adaptée au contexte de mise. Or, s’il est normal que les dispositifs anti-terroristes soient renforcés dans le cadre d’une menace djihadiste prétendant forcer sous peu les portes de l’UE, il semble plutôt suspect que lesdits dispositifs interviennent au moment où la France continue à soutenir une opposition dite « modérée » en Syrie après avoir diabolisé jusqu’à l’absurde, trois ans durant, Bachar el-Assad. Se serait-on réveillé avec l’Irak ou l’objectif fixé par le pouvoir actuel est tout autre ? Les mesures préventives anti-islamistes, ne seraient-elles pas au fond un remarquable écran de fumée destiné à occulter le totalitarisme judiciaire dont on perçoit déjà les prémisses les plus éloquents ? 

Voici l’entretien que j’ai eu sur ce sujet avec Me Damien Viguier, avocat au barreau de l’Ain et de Genève, docteur en droit privé et sciences criminelles.

La Voix de la Russie. « Quelle est votre appréciation du projet de loi appelé à renforcer les dispositions relatives à la lutte anti-terroriste ? Craindriez-vous des abus ?

Me Damien Viguier. Ce projet n’est pas encore adopté puisque le texte vient juste d’être transmis au Sénat. Il a été renvoyé pour étude à la commission du Sénat dont la composition vient tout juste de changer puisque le gouvernement actuel n’y a plus la majorité … ce qui ne devrait pas changer grand-chose puisque visiblement il y a une sorte d’unanimité autour de ce texte, ce que je trouve très étonnant. Il y a essentiellement deux critiques qu’on peut porter à ce projet de loi. On soutient qu’il est nécessaire pour lutter contre le terrorisme d’adopter une nouvelle loi. En réalité, toutes les règles du Code pénal étaient déjà largement suffisantes pour exercer une répression de taille. On a des règles qui concernent la complicité pour les gens qui se contentent d’aider, de provoquer, d’assister, d’encourager à des actes de destruction, de meurtre, de violence, etc. Les règles de la tentative permettent même d’arrêter les gens quand ils n’en sont qu’au stade de la préparation. Le droit français permet de réprimer des actes commis à l’étranger par un Français, donc, contrairement à ce que nous soutiennent les parlementaires et le gouvernement, le Code pénal permet absolument d’exercer cette répression.

Deuxièmement, il est vrai que les dispositions adoptées assouplissent extraordinairement la procédure. En réalité, la police voit ses pouvoirs renforcés. Il y a des moyens d’enquête assez exorbitants. On peut infiltrer les réseaux, on peut poursuivre les gens pour, vaguement, de la provocation au terrorisme, etc. Cela devient beaucoup plus flou et, de fait, assez inquiétant.

La VdlR. Dans un récent article intitulé "Les incendiaires", vous dites qu'il est "peut-être déjà trop tard" les djihadistes revenant en France. Parallèlement, vous constatez que l'arsenal juridique français est "suffisant pour lutter efficacement contre le "terrorisme". Doit-on en déduire que l'adoption ou la non-adoption de nouvelles lois anti-terroristes n'auront aucun impact sur la quantité de départs pour la Syrie et l'Irak (ainsi que de retours) ?

Me Damien Viguier. Tout en écrivant cet article, je me suis interrogé d’une manière aussi sincère que naïve, sur la question suivante : comment se fait-il que depuis 2011 les médias français font l’apologie de la rébellion en Syrie et galvanisent les populations françaises pour les pousser à partir, promettant même de les aider, de leur livrer des armes, etc. Il se trouve donc que depuis 2011, c’est-à-dire ce que l’on a appelé le « Printemps arabe », tant les médias que le gouvernement sont dans l’apologie du terrorisme et dans l’aide au terrorisme. J’ai par conséquent trouvé bien étrange ce soudain revirement qui passe par une loi que l’on nous dit être nécessaire alors qu’en réalité elle ne l’est pas.

Je crois que j’ai trouvé une réponse possible à cette énigme. Elle passe par un principe du Droit pénal qui est très important : celui de la non-rétroactivité. Quand vous posez une loi pénale, vous interdisez des actes sous la menace d’une sanction, par exemple l’emprisonnement. Ceci dit, cette interdiction ne vaut que pour l’avenir. Je me demande donc si ce projet de loi n’aurait pas pour objectif de faire croire que toutes les manipulations auxquelles se sont livrés les médias français et le gouvernement français, dans le passé, n’étaient pas répréhensibles dans la mesure où il n’y avait pas de texte pour les incriminer. Il faudrait donc supposer, dans une logique assez tordue, que l’encouragement au terrorisme n’était pas répréhensible, ce qui est strictement faux. Or, en l’occurrence, ce n’est qu’à partir de la loi à venir que des actes dans le futur seront punissables. C’est en réalité une sorte d’amnistie pour les trois ans que nous venons de vivre d’encouragement au terrorisme sur le sol syrien.

La VdlR. Qu'en est-il à l'heure actuelle de la répression politique en France? Est-elle plus dure qu'elle ne l'était sous Sarkozy?

Me Damien Viguier. De Sarkozy à Hollande, on a conservé les mêmes équipes. C’est le même système, le même état d’esprit. Mais il faut avouer que du point de vue des libertés publiques, il y a des ruptures, des signes qui témoignent d’un net changement du régime des libertés publiques en France. Inutile de rentrer dans des formules très générales, il vaut mieux citer des cas concrets. Il est curieux de voir, à ce titre, que la répression relève quasiment du caprice.

Lorsque le ministre de l’Intérieur, M. Valls, avait décidé de s’en prendre à l’artiste Dieudonné – alors qu’il n’y avait aucun risque pour l’ordre public dans ses spectacles – on est allé jusqu’à invoquer l’atteinte à la dignité de la personne humaine pour interdire son spectacle, alors qu’il s’agit d’une notion absolument flou ! Personne ne sait à quoi est-ce qu’elle pourrait bien correspondre. Autre exemple : vous aviez une politique menée et encouragée par le ministre des Droits des femmes, Mme Najat Vallaud-Belkacem, qui consistait, si on schématise, à apprendre dans les écoles aux petits garçons à jouer à la poupée et aux petites filles à jouer aux voitures. Vous avez une militante courageuse qui s’appelle Farida Belghoul et qui s’est dressée contre cette pratique en lançant une mobilisation. Que fait Mme Najat Vallaud-Belkacem dès lors qu’elle est nommée ministre de l’Education nationale ? Elle se sert du fait que la militante est professeur dans un lycée professionnel pour demander sa révocation.

Vous voyez donc, il s’agit d’une lutte de tous les instants où tous les moyens sont bons. Il y a d’autres exemples. Celui de Thomas Verlet, également militant, ne fait pas exception. Il a été pénalement condamné non pas pour des faits qu’il a commis mais simplement parce que le ministère de l’Intérieur a transmis aux magistrats une note dans laquelle il est simplement mentionné que cette personne-là est connue de nos services. Il suffit donc d’être connu par les services de nos jours, en France, pour faire l’objet d’une condamnation pénale.

Encore un exemple ! Kémi Séba qui jusqu’à présent était en liberté et plus ou moins toléré sur le sol français. Voilà qu’il fait la promotion de son nouveau livre. Il est aussitôt arrêté manu militari et emprisonné. On pourrait multiplier les exemples …

Effectivement, il y a une montée très inquiétante de la répression et dans ce contexte-là l’adoption de lois aussi floues et aussi dangereuses que le projet de loi de lutte contre le terrorisme semble très préoccupante ».

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