Les choix difficiles d’Hillary Clinton. Qu’en est-il du Daesh ?

Les choix difficiles d’Hillary Clinton. Qu’en est-il du Daesh ?
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Faut-il s’étonner de ce que fut le véritable rôle des USA dans la formation et le soutien multilatéral des islamistes de tout poil qui ont fini par organiser un Etat autoproclamé ?

Tenant l’Occident pour responsable du surgissement de l’EI (voir AFP, 29.09, « L’Occident a enfanté l’EI selon Villepin »), Dominique de Villepin ne pensait peut-être pas si bien dire. Si cette responsabilité est pour lui aussi nette que néanmoins indirecte car découlant des « erreurs commises en Irak », le fait même de l’évoquer montre bien qu’il y a, au sein des élites politiques françaises, une prise de conscience dépassant le cadre contre-productif du tabou médiatique. Cette diatribe bien villepinesque intervient au moment où ce que j’appellerais un demi-faux commence à envahir la toile : Hillary Clinton aurait reconnu dans son livre paru début juin, Hard Choices, que l’establishment américain aurait crée l’EI. D’où viendrait donc ce demi-faux ? Tardera-t-on à dire « B » en ayant déjà osé dire « A » ?

Malheureusement, concernant le passage sur la création du Daesh par les USA, les points de vue divergent. La presse anglophone contourne obstinément le sujet en dénonçant, dans le meilleur des cas, un « faux », la presse russe ne semble même pas en avoir entendu parler alors donc que les médias de langue arabe, repris par certaines sources françaises, affirment que Mme Clinton aurait bel et bien expliqué les sources US du Daesh par la nécessité de remodeler la carte du Moyen-Orient en rééquilibrant les zones d’influence et en redistribuant, ipso facto, les hydrocarbures.

Rien de surprenant, en somme, si ce n’était deux détails ahurissants : comment est-ce que Washington entendait remettre une partie de l’EI « entre les mains du Hamas et une partie à Israël pour le protéger » ? En l’occurrence, je suis même davantage choquée par le fait que la Maison-Blanche ait pu miser sur l’éventualité d’une accointance entre l’EI et le Hamas en considérant que les liens originels de ce dernier avec la galaxie des Frères musulmans constituaient une garantie suffisante. De surcroît, il est à se demander en vertu de quoi est-ce que l’Europe « reconnait[rait] » l’EI qui n’a jamais – en tout cas à l’image du rôle que jouèrent ses leaders lors de la campagne libyenne – caché sa face ô combien modérée !

En attendant donc d’avoir accès à l’original, posons-nous deux questions cruciales :

- La reprise réalisée par les médias maghrébins, arabes et français, même fausse, est-elle sans fondement ?

- Dominique de Villepin dont la prise de position inspire le plus grand respect, a-t-il raison d’évoquer une somme d’erreurs stratégiques ?

Raisonnons par analogie, des faits saillants à l’appui.

Dans une interview accordée en janvier 1998 au Nouvel Observateur, Zbigniew Brzezinski avoue que les services secrets américains ont commencé à aider les moudjahidines afghans 6 mois avant l’intervention soviétique (une information que l’on retrouve initialement dans les Mémoires de Robert Gates, ancien directeur de la CIA). Le motif évoqué est d’une simplicité en même temps que d’un cynisme déconcertants : « Qu’est-ce qui est le plus important au regard de l’histoire du monde ? Les talibans ou la chute de l’empire soviétique ? Quelques excités islamistes ou la libération de l’Europe centrale et la fin de la guerre froide ? ».

La symétrie est frappante ! Que voit-on aujourd’hui ? Les USA entendent « protéger » les pays membres de l’OTAN des appétits expansionnistes de la Russie. La façon dont ils s’y prennent est pour le peu singulière. Entre-temps, cette même Europe profite pleinement de ce que l’on pourrait appeler les dégâts collatéraux des guéguerres dites secrètes américaines avec une menace qui à ce stade vient tant de l’extérieur que du plus profond des cités françaises radicalisées comme jamais. Qui plus est, ce processus de « libération » semble se poursuivre dans la mesure où les principaux sponsors de l’EI étaient et restent les alliés arabo-persiques privilégiés des USA. Mais puisque c’est le général Martin E. Dempsey qui l’a reconnu fin septembre devant le Congrès ! Comment ne pas lui faire confiance …

Voici une autre symétrie non moins flagrante. Toujours dans cet interview, Brzezinski reconnait que l’opération clandestine lancée par les USA en Afghanistan visait à provoquer les Soviétiques pour les obliger à intervenir. C’est en sophiste chevronné qu’il prononce cette phrase tout à fait révélatrice : « Nous n’avons pas poussé les Russes à intervenir, mais nous avons sciemment augmenté la possibilité qu’ils le fassent ». Le distinguo est tellement intéressant, tellement typique, qu’il nous vient l’irrésistible envie de l’appliquer à la stratégie américaine en Ukraine et en Syrie.

En effet, qu’apprend-on ? La Russie a déjà envoyé des S-300 en Syrie qui est, de un, son fidèle allié et où elle a, de deux, des intérêts géostratégiques à ne pas négliger (base permanente de la Flotte maritime militaire russe à Tartous). Comme les raids aériens étasuniens visent avant tout le système de défense anti-aérien syrien, la préoccupation du Kremlin est tout à fait compréhensible. Il devait envoyer des contingents en Ukraine ce qu’il n’a pas fait. Pourquoi ne pas essayer de le piéger en Syrie ? Voici, brièvement, la parfaite transposition du principe d’incitation à l’ingérence dans la réalité d’aujourd’hui.

Faut-il donc s’étonner, pour en revenir aux révélations plus ou moins supposées de Mme Clinton, de ce que fut le véritable rôle des USA dans la formation et le soutien multilatéral des islamistes de tout poil qui ont fini par organiser un Etat autoproclamé ? Je ne pense pas. A en juger par l’expérience des années passées, il faudra attendre encore une décennie pour qu’une Clinton, un Dempsey ou encore un Brezinski, s’il est encore de ce monde d’ici là, nous avouent haut et fort avoir crée le Daesh. Le temps que les passions moyen-orientales refroidissent.

Seulement voilà : pris entre sa volonté d’en finir au plus vite avec le croissant chiite dont la Syrie est le symbole, de déstabiliser et donc d’affaiblir une Russie non-alignée qui risquerait de donner un mauvais exemple aux BRICS mais aussi à l’Europe, de resserrer sur l’UE un étau de dépendance totale, enfin, de semer le trouble en Chine (penser aux manifs de Hong-Kong), les USA ne sont pas prêts à amoindrir leurs appétits qu’ils essayent, en vertu du principe d’accusation en miroir, d’attribuer à la Russie.

Ces appétits grandioses non assouvis, verra-t-on Mme Clinton s’attarder plus longtemps sur les racines du Daesh, un instrument de domination comme un autre ?

A moins que, si bien sûr la lecture de l’original indique le contraire, les USA, voyant leur déclin en tant qu’hyperpuissance plus proche que jamais et n’ayant plus rien à perdre, fassent tomber les masques restants. En ce cas, il n’est pas exclu que l’écrivain Israël Adam Shamir ait tout à fait raison dans son diagnostic : « La Syrie et l’Ukraine sont deux champs de bataille en perspective où l’affrontement des volontés précède la bataille d’acier ». Dont le Daesh, évoqué ou pas par Mme Clinton, n’est qu’une cartouche, si je puis me permettre cet humble ajout.

Les opinions exprimées dans cet article n'engagent que la responsabilité de l'auteur.

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