Affaire Hervé Gourdel. Le dessous des cartes

Affaire Hervé Gourdel. Le dessous des cartes
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Enlevé le 21 septembre dans le massif de Djurdjura (Kabylie), Hervé Gourdel, quinquagénaire, guide de montagne aimant les reliefs accidentés autant que la photo, a été décapité quelques jours plus tard.

Horrible, défiant une fois de plus le sens commun – quoiqu’on aura tout vu, à savoir des images de fillettes décapitées par le Daesh en Irak – l’affaire Hervé Gourdel suscite néanmoins des questions. Voici préalablement une brève remise en contexte.

Il était parti en randonnée avec cinq amis algériens qui, curieusement, ont tous été relâchés par les ravisseurs, des membres de Jund al-Khalifa, un mouvement dissident d’Al-Qaïda. Quelques instants avant de mourir, Hervé Gourdel s’est adressé à François Hollande en dénonçant son suivisme par rapport à Obama. Cette sorte d’apostrophe ritualisée n’étonne plus, on en a fait l’expérience en visualisant les vidéos macabres relatant les derniers instants de James Foley en Irak et des trois autres Occidentaux qui ont subi le même sort. Même calme, même aisance d’expression, un certain nombre de détails plutôt suspects qui ont déjà fait couler des litres d’encre. Ceci dit, au risque de multiplier des considérations conspirologiques dénuées de sens et ne serait-ce qu’en mémoire du supplicié, je ne crois pas qu’il faille s’attarder plus longtemps là-dessus. Ce qui importe à l’heure qu’il est, ce sont, primo, les circonstances en effet étranges dans lesquelles Hervé Gourdel a été kidnappé, secundo, la visée réelle de cette exécution. N’est-il pas assez curieux que quelques heures avant le kidnapping, l’EI avait appelé à « tuer les sales Français de n’importe quelle manière » ? Pourquoi les Français en particulier et non pas les Britanniques ou, mieux encore, les Américains qu’on pourrait considérer comme étant les principaux instigateurs des opérations aériennes ?

L’exécution barbare d’Hervé Gourdel est une tragédie sans nom. De même que l’exécution de n’importe quel Syrien ou Irakien. Il n’empêche qu’il reste encore à faire toute la lumière sur le contexte assez complexe dans lequel cette tragédie devint possible. Je donne la parole à M. Ali Zaoui, expert en questions sécuritaires et lutte anti-terroriste.

La Voix de la Russie. « Vous vous êtes interrogé sur les circonstances de l’enlèvement et de l’exécution d’Hervé Gourdel en Kabylie. Qu’est-ce qui vous a paru suspect ?

Ali Zaoui. Premièrement, nous condamnons cet acte horrible. Quelles que soient la nationalité ou la confession de la victime, c’est un acte terroriste. Une question néanmoins s’impose : comment Hervé Gourdel s’est permis de venir à cet endroit sans se faire signaler auprès des services concernés ? Il n’a pas loué le chalet à son nom ce qui pourrait faire penser qu’il était venu dans le cadre d’une mission spécifique. M. Gourdel n’avait pas respecté le règlement, c’est-à-dire les conditions dictées par les services de sécurité. Il n’a pas tenu compte des mises en garde faites par la France. Nous avons constaté qu’il avait été enlevé dans un endroit dont la réputation laisse à désirer puisqu’il est marqué par la présence d’éléments marginaux et terroristes. En l’occurrence, Hervé Gourdel est tombé sur une faction des radicaux séparatistes. En principe, la victime devait donc se présenter aux services de sécurité et louer le chalet où il avait passé son dernier séjour à son nom. Il y a toujours une brigade spécialisée pour la surveillance et la protection des étrangers.

Une question majeure se pose donc mais plusieurs réponses sont possibles.

Quel fut le véritable rôle de Gourdel ? Etait-il sur le terrain dans le cadre d’une mission spécifique ? N’est-ce pas un caméléon qui a terminé son trajet à Tikjda ? Or, Tikjda est le fief du groupe terroriste de la région. Attention, malgré ce que certains s’obstinent à prétendre, il ne s’agit pas du Daesh qui n’a jamais franchi la frontière algérienne. C’est une faction qui s’est détachée de l’AQMI en voulant se donner une importance plus grande que celle dont elle jouit jusqu’ici. Pour ce faire, elle devait, d’une manière ou d’une autre, se faire remarquer des médias aussi bien à l’échelle nationale qu’internationale en faisant croire que l’EI avait déjà gagné le territoire algérien. L’Algérie est déjà un Etat islamique sa religion d’Etat étant l’islam. Comment peut-il y avoir un Etat islamique dans un Etat islamique ? Ces gens-là se sont fait passer pour des membres de l’EI pour tenter d’avoir de nouveaux recrus. Après les frappes et l’élimination du chef leader des terroristes présent en Algérie, il y a un net recul de recrutement d’ailleurs renforcé par Qunun Ar Rahma [Concorde civil ou loi de grâce amnistiante adoptée le 8.07.1999, NDLR], l’adoption de mesures favorisant l’emploi des jeunes, l’accélération du développement économique, etc.

Si on comptabilise le nombre de radicaux ayant rejoint durant ces trois dernières années la Syrie, on s’aperçoit que ce chiffre ne dépasse pas la centaine, ce qui est bien peu par rapport à la Tunisie, au Maroc et à d’autres pays. D’ailleurs, pendant deux ans et demi, c’est surtout par l’Italie qu’est passée la majeure partie des djihadistes se rendant en Syrie et c’est toujours par l’Italie, carrefour stratégique, qu’ils sont rentrés dans leurs pays respectifs, pas par les pays du Maghreb.

En résumé : les gens que l’on voit sur la vidéo ne sont pas des mercenaires, ils n’ont jamais été ni en Irak ni en Syrie. Ce sont des Algériens qui sont au total près d’une quinzaine et qui sont connus des services de sécurité. Malheureusement, ce groupuscule terroriste qui est encore actif en Kabylie jouit d’un soutien logistique et financier. Sans ce soutien il n’aurait jamais pu s’installer et agir là où il agit. On le sait bien, le soutien du terrorisme est en soi plus dangereux que le terrorisme. On l’avait dit à maintes reprises et je le confirme, le terrorisme en Kabylie est encore une réalité ces terroristes ayant la bénédiction des radicaux séparatistes. Hervé Gourdel a été victime d’un complot dont le but n’était autre que de faire pression sur l’Algérie pour qu’elle abandonne, de un, la Kabylie, de deux, pour l’entraîner dans une guerre contre l’EI qui n’est pas la sienne dans la mesure où il n’y a aucun membre de cet Emirat autoproclamé sur son territoire.

La VdlR. Pensez-vous que le gouvernement algérien puisse finir par céder à ces provocations ?

Ali Zaoui. L’Algérie ne cédera jamais à ses provocations simplement parce qu’il n’est question que de provocations. Le terrorisme en Algérie connait un franc recul, notamment grâce à la « réconciliation nationale ». Il y a une méga reddition des groupes terroristes, il y en a d’autres qui attendent leur reddition, même à l’extrême-sud de l’Algérie où des groupuscules entendent se rendre aux autorités algériennes.

On peut donc parler d’une véritable victoire dans la lutte anti-terroriste en Algérie. Ceci dit, nul n’est en mesure d’éradiquer le terrorisme dans le monde.

La VdlR. Permettez-moi cette dernière question qui dépasse largement le cadre de notre entretien. Estimez-vous que le Daesh qui commence à sortir (relativement) de sous le contrôle occidental constitue une véritable menace pour les pays de l’UE ou il s’agit d’une exagération ?

Ali Zaoui. Si nous faisons une analyse globale de la situation, nous verrons que c’est le MAK qui a donné naissance à Al-Qaïda en Afghanistan. Or, la plupart des djihadistes d’Al-Qaïda sont issus des pays arabes. Ils ont été ensuite réexportés vers d’autres pays. On avait demandé à l’Occident de cesser de cautionner l’opposition syrienne parce qu’elle va tôt ou tard se transformer en organisation terroriste qui va menacer le monde entier. Au stade où nous en sommes, on constate que le Daesh est extrêmement composite puisqu’il regroupe toutes les mouvances djihadistes du monde. Nous estimons qu’il y a 1000 Français partis en Syrie et qui vont rentrer auxquels s’ajoutent 1500 binationaux. La menace que cela représente est donc réelle. Il y a déjà eu une attaque perpétrée contre une église à Bruxelles par un binational venu d’Afrique. D’ailleurs, cette menace s’est considérablement accrue suite à l’assassinat de Kadhafi. Nous avions pourtant mis en garde ceux qui étaient derrière en arguant de fortes répercussions sur le Mali et, partant de là, sur l’ensemble du Moyen-Orient.

Le retour des djihadistes n’augure rien de bon. L’Europe est cette fois directement menacée. Pourtant, nous l’avions prévu déjà en 2010, nous l’avions répété en 2012 : il ne fallait pas s’ingérer dans les conflits internes qui secouent des pays souverains, quelle que soit la nature de ces conflits. Ce constat valait notamment pour la Lybie qui géostratégiquement est plus proche du Vieux Continent ».

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