Drôle de ménage politique

Drôle de ménage politique
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La famille politique française est de nouveau en proie à des querelles intestines qui, comme par hasard, s’échauffent à la veille des élections internes au parti d’opposition. Mais le scandale actuel est tout de même particulier car il implique des représentants de haut niveau des deux partis dits principaux de la France l’UMP et le PS et vise donc non seulement les concurrents au sein du parti d’opposition mais aussi l’Elysée qui aurait sans doute du mal à bien s’en sortir.

Mais ces intrigues qui amusent tant les médias ne font qu’éloigner encore plus les élites politiques des citoyens. Tellement préoccupées par la lutte politique, elles oublient qu’elles sont là dans un premier temps pour résoudre les problèmes de l’Etat dont celui-là regorge. Alexandre Michaud-Zeppa, membre de l’UMP, décortique l’affaire Fillon-Jouyet et rend compte de l’effet qu’elle pourrait avoir sur la sphère politique française.

LVdlR. A qui peut profiter, selon vous, ce scandale provoqué par le livre des journalistes du Monde qui sort au moment où l’UMP s’apprête à aborder la dernière ligne droite avant les élections internes ?

Alexandre M.-Z. A court terme, cela profite à Nicolas Sarkozy parce qu’il va pouvoir se victimiser. En revanche, je pense que sur une période un peu plus longue, ça va finir par lui revenir comme le boomerang. D’une manière générale, cela dessert la droite, cela dessert la classe politique, cela décrédibilise complétement le gouvernement, l’Elysée, parce que là on parle du personnage le plus important de l’Elysée après le président de la République, à savoir le secrétaire général Jean-Pierre Jouyet. Je crois que ça dessert à peu près tout le monde sauf Nicolas Sarkozy et également Marine Le Pen parce que cela confirme son discours de L’UMPS.

LVdlR. Dans cette histoire tout n’est pas clair, même rien n’est clair : l’enregistrement qui servait de source pour les auteurs du livre n’est pas pour le moment accessible. Pourquoi ne le diffuse-t-on pas ?

A.M.-Z. Il me semble que François Fillon a demandé à ce qu’on rende ces enregistrements publics. Cela ferait évidemment une bonne nouvelle parce que cela permettrait de mettre un point final à cette histoire. On aurait la discussion enregistrée. Il me semble qu’il y a une heure de discussion enregistrée. On risquerait d’entendre des choses assez surprenantes, peut-être voire dérangeantes, peut-être même des choses qui toucheraient au sommet de l’Etat.

LVdlR. Peut-être même la voix de F. Hollande…

A.M.-Z. Bon, je vous laisse dire de nom François Hollande. Mais évidemment que derrière tout cela c’est l’enjeu. Parce que si ces enregistrements révélaient l’hypothèse que vous avez soulevée, on passerait d’un scandale politique à une affaire d’Etat touchant directement le Président de la République et décrédibilisant toute son action et le reste de son mandat.

LVdlR. Il est quand même surprenant que J.-P. Jouyet ait décidé de parler de la sorte parce qu’il occupe un poste très important à l’Elysée et doit mieux que personne répondre de ses actes.

A.M.-Z. Je crois qu’il faut remettre les choses dans leur contexte. En réalité, J.-P. Jouyet est le bras droit de F. Hollande. Quand on entend parler J.-P. Jouyet, c’est la voix de son maître. Et je pense que tout ce qui peut affaiblir l’opposition, l’UMP en l’occurrence, car c’est quand même le principal parti d’opposition qui a vocation à amener l’alternance lors des prochaines élections, qu’elles soient intermédiaires (je pense aux départementales, régionales) ou nationales (les présidentielles et les législatives), tout ce qui est de nature à affaiblir la droite est bon pour François Hollande. Je pense que s’il y a une stratégie du parti socialiste actuel qui croit que la seule chance de conserver le pouvoir, d’être élu, c’est d’affronter Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle, cette stratégie est dangereuse et vicieuse et elle se retournera contre lui. Et pour cela il faut éliminer Sarkozy ou en tous cas les candidats de la droite classique qui pourraient remporter l’élection.

LVdlR. Quelles répercussions ce scandale pourrait-il avoir sur la sphère politique française et notamment sur l’UMP?

A.M.-Z. A mon avis, une répercussion terrible parce que c’est une histoire mais une histoire qu’il ne faut pas prendre séparément. Cela vient après l’élection de 2012 à l’UMP qui était un scandale démocratique, cela vient après l’affaire Bygmalion, cela vient après que l’UMP a dû donner 18 millions d’euros pour combler le déficit de la campagne de 2012. Donc je crois que c’est vraiment catastrophique en termes d’image pour l’UMP. C’est le premier point. Le deuxième point où il y a une image qui va être vraiment écornée, mais là je pense que c’est quand même plus transversal à l’ensemble de la classe française, ça met en lumière J.-P. Jouyet qui a été ministre sous Sarkozy, qui était ministre de François Fillon de 2007 à 2009 parce que c’était F. Fillon qui était le chef du gouvernement en 2007-2012. Et cela donne une image terrible de quelqu’un qui était dans un gouvernement de droite et qui dans le gouvernement suivant qui se trouve être un gouvernement socialiste est le numéro deux de l’Elysée. On se demande : qu’est-ce qui différencie le PS de l’UMP dans ces cas-là ? Je pense que c’est un vrai problème pour l’UMP parce que les gens en ont marre du Parti socialiste, ils veulent du changement mais ils ont de plus en plus de mal à voir en quoi l’UMP se différencie du PS.

LVdlR. Dans son article consacré à cette affaire, Jacques Sapir, expert français réputé, qualifie ce qui se passe maintenant de preuve de la décomposition de la sphère politique en France ainsi que journalistique, d’ailleurs. Qu’en dites-vous ?

A.M.-Z. J. Sapir reprend la thèse de Marine Le Pen. En revanche, quand on regarde les faits, il faut également être capable de prendre du recul et de voir en quoi quelque chose ne tourne pas rond dans la classe politique française classique, à savoir l’UMP et le PS. On a aujourd’hui au sommet de l’Etat la mainmise d’une promotion, la promotion Voltaire celle de F. Hollande à l’ENA qui occupe tous les postes stratégiques : Président de la République, secrétaire général de l’Elysée, ministre de l’économie, ministre de l’environnement et j’en passe. Je crois qu’il y a en effet une difficulté pour ces gens-là qui se sont connus adolescents, qui ont grandi dans les mêmes beaux quartiers parisiens, qui ont fréquenté les mêmes écoles et suivi les mêmes études, donc ça peut être un peu difficile de les différencier. Il y a un vrai effort à faire et il faut changer des choses dans cette classe politique actuelle parce qu’il y a parfois des collisions qui rendent assez difficile la lecture entre la gauche et la droite. Et de plus en plus de gens les mettent dans le même panier et ça amène à la montée du FN.

Il faut bien rappeler que l’UMP et le PS ce n’est pas la même chose. Il faut que l’UMP retrouve son allant, sa capacité d’être force de proposition, qu’on marque à nouveau notre territoire, nos différences avec le PS sur l’économie, sur l’immigration, sur l’éducation, sur les questions de société. Et il ne faut surtout pas unir l’UMP et le PS, même si l’UMP change de nom. Et je pense que la deuxième chose qui est aujourd’hui indispensable, c’est de faire rentrer de nouvelles personnes dans la sphère publique. On a besoin de gens qui travaillent dans le privé, de gens qui n’ont pas fait des mêmes écoles, qui viennent d’endroits différents et qui du coup ont une capacité peut-être à réfléchir un peu en dehors du moule.

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