Visages de l’histoire russe : Ivan Chichkine

© Portrait de Chichkine par Ivan KramskoïVisages de l’histoire russe : Ivan Chichkine
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Le peintre Ivan Chichkine est un « chantre » inspiré de la nature russe. Ses toiles sont toujours admirées tant par les visiteurs des musées que par les participants des ventes aux enchères Sotheby’s.

Les meilleurs bonbons en URSS avaient pour nom « L’Ours à la pate tordue » et leur papillote s’ornait d'une reproduction du tableau de Chichkine « Un matin dans la forêt de pins ».

Chichkine est né en 1832 dans la petite ville de Ielabouga sur la Kama. Sa maison a été préservée et abrite aujourd’hui le musée du peintre. C’est dès l’enfance que le jeune Ivan s’est passionné pour la peinture au détriment des études qu’il a abandonnées après 4 ans de collège. Son père, un riche marchand, essayait en vain d’initier son fils au commerce. Ivan préférait le pinceau et les couleurs aux arcanes du métier de commerçant. « Un simple d’esprit », ricanaient les voisins mais le père avait compris la véritable vocation de son fils : il lui achetait des albums de peintures et quand Ivan a eu 20 ans, il lui permit d’aller à Moscou pour étudier dans une école de peinture.

L’éclat de la vie de la capitale a bouleversé le jeune provincial sans le détourner pour autant de la cause de sa vie. « Se consacrer à la peinture signifie renoncer aux futilités », disait l’artiste. Chichkine vivait difficilement et le peu d’argent qu’il recevait de son père suffisait tout juste à louer un appartement et à s’acheter les toiles et les peintures. Il était souvent obligé de se contenter d’un repas frugal.

L’artiste travaillait avec abnégation en préférant la peinture des paysages forestiers. La forêt russe telle qu’elle apparaissait sous le pinceau de Chichkine avait un bon accueil du public et des critiques. Ses tableaux étaient pénétrés d’une étonnante harmonie interne parce que Chichkine sentait la nature russe comme aucun de ses collègues peintres.

Il aimait follement la Russie et les stages en Europe ont été une frustration pour lui. Chichkine n’avait aucune affinité avec les maîtres occidentaux contemporains. Il ne parlait que le russe et tout lui paraissait étranger. Pour l’artiste en mal de Russie, le Zurich bourgeois était « une ville maudite » et Paris frivole était « n’importe quoi ». Chichkine se désintéressait de leur nature et n’avait personne à qui parler « d’âme à âme ». Sa forêt bien-aimée lui manquait terriblement. C’est précisément à l’étranger qu’il a compris que l’art russe devait suivre son chemin original. Il continuait cependant à travailler en se faisant violence. Les Européens achetaient pourtant volontiers ses tableaux et le considéraient comme le meilleur dessinateur russe.

De retour en Russie, Chichkine s’est marié et bientôt sa femme lui a donné un fils. Tout semblait aller pour le mieux. Il était un artiste dans le vent et ses tableaux recevaient des médailles d’or et d’argent de l’Académie des Beaux-arts de Saint-Pétersbourg. En 1873, Chichkine se voit attribuer le titre de professeur de l’Académie de Saint-Pétersbourg et s’entoure de disciples. Les peintres l’appelaient en plaisantant « roi de la forêt » mais Chichkine le prenait avec sa bonhomie habituelle. Ce géant barbu d’aspect rébarbatif était en réalité un homme bon et une belle âme.

Une succession de malheurs s’abat en 1874 sur l’artiste : la mort emporte son père, puis son petit-fils et bientôt sa femme qu’il aimait passionnément. Chichkine noyait sa douleur dans le vin et dédaignait le pinceau même en été bien qu’il répétât souvent à ses élèves : « Les dessins et les études d’été sont obligatoires pour tous et seule une maladie peut justifier leur absence ». D’ailleurs, il était malade lui-même mais l’habitude du travail l’a finalement emporté et il a peint en 1878 son tableau « Le champ de seigle » devenu un grand événement dans la vie artistique russe. Il commence peu à peu à reprendre goût à la vie, aidé en cela par son élève de talent Olga Lagoda devenue sa femme peu de temps après. Le couple a eu une fille, Ksenia, mais le bonheur n’a pas duré longtemps car Olga est morte peu de temps après. Chichkine était écrasé par la douleur et seul le travail l’a sauvé du vin et de la dépression.

L’empereur Alexandre III s’est intéressé à l’œuvre de Chichkine. Il lui a commandé un tableau du massif de Bialoveza, une forêt relique en Biélorussie. Chichkine était accompagné d’un fonctionnaire qui l’assommait avec ses conseils parfois rocambolesques. Aussi, ayant vu un jour le croquis du futur tableau, il suppliait l’artiste d’en retirer l’image d’un arbre séché sous prétexte que le souverain allait le punir pour sa négligence.

La réussite et la renommée contrebalancent en partie le vide laissé par la mort de sa femme. Les journalistes courent après le maître et lui posent un tas de questions. « Comment voudriez-vous mourir? », a demandé l’un d’eux. « Sans douleur, en toute quiétude et instantanément », a répondu le peintre.

Chichkine termine en 1898 son tableau « Le bosquet de marine » qui a un succès extraordinaire et est acquis par l’empereur en personne. Le matin du 8 mars, l’artiste commence un nouveau tableau mais tombe soudain devant le chevalet, foudroyé par une crise cardiaque. Ainsi s’est accompli le désir du maître âgé de 66 ans au zénith de sa gloire : il est mort instantanémentet sans douleur. /N

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