Le « problème kurde » - pierre d’achoppement de la Turquie

Le « problème kurde » - pierre d’achoppement de la Turquie
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Les combattants kurdes qui auront réussi malgré l'opposition d'Ankara à passer la frontière turco-syrienne découvrent l'horreur et la désolation des quartiers repris à Daech. Fuir la mort et trouver une paix sur le territoire de la Turquie ne fait pas oublier qu’il ne s’agit que d’une station de passage, le calme n’est que trop fragile et la reconquête est encore loin d'être une réalité.

Nous avons invité à débattre cette question la Présidente du mouvement politique « Breizh Europa », Caroline Ollivro. Et elle en sait quelque chose, puisque le combat pour la plus grande autonomie de Bretagne est un combat qui, comme celui des kurdes de Turquie, est long de plusieurs décennies, voir les siècles.

Caroline Ollivro. Je pense que le problématique kurde est quelque chose qui ait une résonnance particulière dans bien de pays en Europe y compris en France. En Bretagne, à Rennes, il y a une association « Amitiés kurdes de Bretagne » et qui milite pour la reconnaissance du Kurdistan, tout au moins pour la reconnaissance culturelle et politique des kurdes en Turquie, par rapport à ce qui se passe ne Moyen-Orient actuellement. Et elle mène une action en Turquie pour aider les combattants kurdes contre le djihadisme. C’est vrai, que c’est directement lié à la situation des kurdes en Turquie qui militent pour l’autonomie et la reconnaissance culturelle. Par exemple, il y a toujours en vigueur la loi turque qui interdit de porter le nom kurde, a un moment donne la langue kurde a été interdite dans l’espace public. Même si aujourd’hui quelques petites concessions ont été réalisées : les émissions de radio qui peuvent être diffusées en kurde, 60 min par jours, mais pas plus que 5 heures par semaine.

Nous avons quand même une nation sans Etat dont la particularité est d’être éclatée entre quatre pays : la Turquie, l’Iran, l’Irak et la Syrie. En Irak, le Kurdistan est une province autonome, ce qui n’est pas le cas en Turquie. La, arrivent aussi les velléités d’indépendance, portées par la voix de Monsieur Barzani qui dit de comprendre totalement que la Turquie ne soit pas prête de reconnaitre culturellement et politiquement les kurdes. Mais la crainte serait pour la Turquie, et pour les autres pays, voir apparaitre un Etat Kurdistan. Il s’agit de la population très importante, 44 million de personnes. On voit les spécificités particulières selon la tache territoriale. Leurs revendications sont très anciennes.

La problématique de la constitution d’un Etat indépendant kurde revient sur le devant de la scène avec ce qui se passe au Moyen-Orient et le courage des combattants kurdes face aux djihadistes. La question est la suivante : la reconnaissance de l’Etat kurde serait-elle la meilleure arme, la meilleure possibilité pour « pacifier » le Moyen-Orient et lutter contre le djihadisme ? Je trouverai plus acceptable que la Turquie réglant le problème kurde accède à leurs désirs parce que c’est naturel de reconnaitre un peuple qui a une langue, qui est installé là depuis longtemps, plutôt qu’accéder à la volonté du peuple kurde d’être reconnu juste pour une question de politique internationale.

La Voix de la Russie.Vous avez cité deux dates cruciales: 1920 – le Traité de Sèvres qui prévoyait la création de l’Etat Kurde sur les restes de l’Empire Ottoman, et 1923 – le Traité de Lausanne. A cette époque-là, le créateur de l’État Turque, Moustafa Kemal Atatürk a interdit la langue et les noms de famille kurdes, même on appelait les kurdes les « turques des montagnes » Ils n’avaient pas du tout de reconnaissance.

Caroline Ollivro. La République turque a acté une centralisation excessive du pays et la répression à l’égard des spécificités régionales de la Turquie. Il est intéressant de se dire qu’après la Première Guerre mondiale, avec le traité du 1920, la reconnaissance possible de cet État (kurde) avait été envisagée. Cela signifie que depuis des siècles existe bien un peuple kurde qui a aussi une culture extrêmement riche. Ce n’est pas par hasard que les alliés ont proposé en 1920 la constitution d’un État.

La Voix de la Russie. Depuis les persécutions, infligées aux minorités par Mustafa Kemal Atatürk, les arméniens ont obtenu la reconnaissance et presque les excuses de la part de l’Ankara officielle. Autre exemple, les Tcherkesses, une minorité musulmane chassée de l’autre côté de la frontière et reconnue à l’époque par le Tsar russe, troisième minorité du pays, sont reconnus par les Turques. Pourquoi cette réticence à reconnaitre les kurdes ?

Caroline Ollivro. J’y vois des raisons dans les années 1980-90, quand il y a eu une lutte extrêmement sanglante entre la Turquie et PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan). Difficile d’effacer ces années de la « guerre civile »

Il y a, à mon sens, aussi une raison économique, la crainte de voir se constituer un État Kurdistan, à cheval sur les frontières des quatre pays : la manne économique. Par exemple, la manne pétrolière. Que pourra-t-il se passer si les Kurdes constituaient leur propre État, quid de la gestion du pétrole ? Un tas de raisons économiques commandent souvent des décisions politiques. Il y a aussi le problème de l’eau. Et je n’ai pas fait le tour des réponses…

Il y a aussi un lien avec la Bretagne. Si ce traitement imposé aux Kurdes, est diffèrent du celui imposé aux autres habitants de la Turquie, c’est parce que le peuple kurde incarne le désir d’autonomie. L’Etat turque est un état très centralisateur, coté kurdes les revendications politiques portent sur une décentralisation locale, pour monter les pouvoirs des collectivités locales en Turquie. Là, je vois la similitude entre la Bretagne, surtout entre les Bretons, et les Kurdes, dans le fait que la Bretagne incarne le vent de modernité dans le XXIème siècle. Même si ces revendications sont présentées bien avant, en Bretagne, nous souhaitons une décentralisation, l’autonomie de gestion au niveau de la région, les moyens plus importants pour développer la langue bretonne. La langue n’est plus interdite sur le sol breton mais elle l’a été au début du XX siècle.

L’autonomie des régions, en Europe, concerne plus de 80% d’états et on considère aujourd’hui (quand je dis « on », je sous-entends « citoyens », mais également des économistes et politologues à travers le monde) que les États centralisateurs sont les États arriérés. Beaucoup de maux économiques et sociaux proviennent de ce carcan imposé aux régions qui les font étouffer. Il faut libérer les énergies.

Le point commun entre les Kurdes et les Bretons (mais nous avons également beaucoup de différences, même si les Bretons se considèrent mal traités par l’Etat jacobin français, nous ne subissons pas de répressions physiques, ni de tortures) c’est le sentiment de l’irrespect de la démocratie. A partir du moment où un peuple s’exprime tous les ans - par exemple, en Bretagne on s’exprime sur la réunification de la Bretagne - nous avons à souffrir de l’arbitraire, mais nous n’avons pas à souffrir de persécution intolérable.

Un dernier point commun avec les Kurdes en Turquie - l’interdiction d’avoir un nom kurde. Nous avons connu ça avec les prénoms bretons. C’est fini maintenant, mais jusqu’à des années 1960-70 on ne pouvait pas enregistrer dans les Mairies, en état civile, son enfant sous un prénom breton.

Commentaire. Le leadeur du mouvement « Breizh Europa » est fermement convainque que l'Europe « doit soutenir toute action qui puisse aider le peuple kurde et agir pour faire cesser le double jeu d'Erdogan, l'adhésion officielle à la coalition internationale d'un côté et la non intervention face aux djihadistes de l'autre ».

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