L’Europe est assise entre deux chaises

L’Europe est assise entre deux chaises
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Au moment où Bruxelles doit approuver le budget européen 2015, ce dernier semble craquer. Sa fonction principale de financer la politique de l’Union européenne, dont l’aide aux régions pauvres, ne réduit que trop les écarts entre les économies fortes et faibles. La balance économique et financière hyper exagérée ferait les pays développés à économie de marché s’affaler au niveau de leurs voisins pauvres.

Rappelons que le budget européen est formé à 76 % par les contributions des Etats membres calculées en fonction de leur revenu national brut. Le quart restant provient des droits de douane sur les importations en provenance de l’extérieur de l'Union européenne, des cotisations « sucre » et d'une faible partie de la TVA.

Aujourd’hui, les pays-contributeurs paient plus qu’ils reçoivent de la part de l’Union européenne. Ainsi, d’après les statistiques du Centre européen d’information pour l’année 2012, la France a perdu -8.297,5 millions d’euros en 2012. Pire, les pertes des contributeurs numéro un et deux (l’Allemagne et le Royaume-Uni respectivement) s’élèvent à près de 12.000 millions d’euros.

Dans ce contexte, les puissances européennes s’interrogent sur les enjeux de la « balance » pays-contributeur/bénéficiaire et, plus loin, sur la politique budgétaire de l’Union européenne en 2015. Nous avons discuté ce sujet d’actualité avec Jean-Pierre Thomas, fondateur de « Vendôme Investments », chargé de mission auprès de Nicolas Sarkozy pour le développement des relations économiques entre la France et la Russie.

Spoutnik. Tous les Etats membres de l’Union européenne sont économiquement interdépendants : les pays-contributeurs aident financièrement les pays bénéficiaires. Comment pourriez-vous commenter ce phénomène politique européen dans le contexte actuel ?

Jean-Pierre Thomas. La construction européenne telle qu’elle a été bâtie en 1951, à l’époque, c’était la Communauté européenne du charbon et de l’acier. En 1957, avec la Communauté économique, le fameux traité de Rome – c’était la mutualisation et la coopération. L’objectif de la construction européenne des pères-fondateurs Robert Schuman, Jean Monnet était d’éviter une nouvelle guerre. Donc, on a obligé les ennemis d’hier à travailler ensemble, d’où cette idée de coopération et de mutualisation. La Communauté européenne a plus de 60 ans aujourd’hui. Elle a été commencée essentiellement avec la politique agricole commune qui était une sorte de contrepartie offerte à la France, premier pays agricole de l’Europe. Puis, avec les élargissements successifs, le budget européen s’est énormément accru. Une partie des crédits est affectée au développement régional pour réduire les inégalités, par exemple, les régions du Sud de l’Europe, l’Espagne, la Grèce, le Portugal, puis avec l’adhésion des nouveaux pays à l’Est. Et au nom d’un certain saupoudrage des régions en difficultés, les pays-fondateurs ont été légibles de ce qu’on appelle le « fédère ». En France, on a eu la Corse, la Lorraine, le nord de la France. Cette péréquation s’est mise à fonctionner sur la réduction des inégalités entre les régions. Puis, le montant puissant du budget européen, la question des investissements s’est posée. Par définition, certains pays sont contributeurs nets. D’autre part, il y a une inégalité parce que les pays comme l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni versent plus qu’ils ne reçoivent. C’est vrai que la monnaie unie devait déboucher sur le renforcement des solidarités et, notamment, l’élargissement à l’Est. Le traité constitutionnel, en 2005, a échoué, les crises de 2008 et de 2009 ont complètement arrêté ce processus qui renforçait l’Union européenne et cette idée de mutualisation. Aujourd’hui, l’Europe est en crise et, notamment, ce problème des contributions est complètement remis en cause, ce que montrent les derniers votes aux élections européennes. Aujourd’hui, le budget européen est de 146 milliards d’euros. C’est, quand-même, une goutte d’eau en matière de dépenses publiques, c’est 1% du PIB, c’est la moitié du budget de l’Etat français.

Spoutnik. Est-ce que cette « balance » pays-contributeurs/pays-bénéficiaires s’inscrit dans le projet de budget européen de 2015 ? Car les pays-contributeurs déploient de l’argent au mépris de leurs intérêts nationaux, c’est-à-dire, ils dépensent plus au profit de l’Union européenne qu’ils n’en reçoivent.

Jean-Pierre Thomas. La réponse est clairement « non ». Cette balance apparaît dans les documents budgétaires d’exécution. En revanche, ces calculs sont utilisés pour rétablir la compensation versée, par exemple, au Royaume-Uni. C’est intéressant. Par exemple, en 1984, il y a eu l’accord de Fontainebleau : le Royaume-Uni bénéficie d’un mécanisme de correction dont est susceptible de bénéficier tout Etat membre qui supporte une charge budgétaire excessive à l’égard de sa prospérité (exactement votre question). Et le calcul de la correction britannique repose sur la différence constatée entre la part du Royaume-Uni dans les dépenses réparties, c’est-à-dire, les dépenses engagées par l’Union européenne sur le sol britannique, et sa part dans le total des paiements, outil des ressources versées. Au fond, aujourd’hui, la charge représentée par la correction britannique est répartie entre les autres Etats membres. Et cela, au prorata de leur poids assez compliqué au sein de l’Union européenne. Vous avez les pays fortement contributeurs : l’Allemagne, l’Autriche, les Pays-Bas, la Suède, - qui bénéficient depuis 2000 de ce fameux rabais et leur contribution réelle est réduite de 25% de ce qu’ils devraient, en théorie, donner. Et donc, je le répète encore une fois, cette charge est répartie entre tous les Etats membres pour atteindre leur part dans le revenu de l’Union européenne. C’est un bon exemple qui montre bien comment ça fonctionne, un exemple précis pour parler de la France. La contribution française au budget communautaire est près de 20 milliards d’euros, soit environ 8% des recettes fiscales de France.

Spoutnik. Y a-t-il un lien entre la division des pays en contributeurs/bénéficiaires et les crises des économies nationales ?

Jean-Pierre Thomas. Recevoir des contributions européennes est-ce que cela signifierait la mauvaise gestion et la facilité ? C’est une vraie question et certains peuvent le penser. La Grèce, l’Espagne en seraient les meilleures preuves. Etre contributeur net, signifierait-il que l’Etat est en bonne santé ? Non, comme le prouve la France en ce moment. La France et l’Italie rencontrent des difficultés tout en étant des contributeurs nets. La Grèce est en situation de bénéficiaire net tout en étant dans une crise sans précédent. Les contributions et les dotations sont fixées en fonction du critère indépendant de la situation conjoncturelle. A mon avis, on ne peut pas faire de lien direct.

Spoutnik. Peut-on sacrifier les économies fortes au profit des faibles en prônant l’idée de balance, d’égalité et d’aide mutuelle au sein de l’Union européenne ?

Jean-Pierre Thomas. Honnêtement, une Europe qui se cherche, qui n’est pas très bien organisée, qui est en crise, bref, l’Europe telle qu’elle fonctionne aujourd’hui n’est pas viable. Bien que je sois très Européen, le discours européen est schizophrène. D’un côté, il faut venir en aide aux pays les plus faibles, de l’autre - les moyens sont comptés. La tendance est un repli sur soi. L’égoïsme au sein de l’Union européenne, la montée au cours des dernières élections européennes en juin 2014, le vote de l’extrême droite très anti-européen en est la manifestation. Le retour n’était pas direct, mais indirect. Dès les années 1960 aux années 1990, les Etats-contributeurs nets bénéficiaient de l’augmentation du niveau de vie des pays aidés. Les entreprises allemandes et françaises ont bénéficié du développement de l’Espagne et du Portugal. C’est vrai que la France a longtemps tiré profit de l’Europe, notamment, en matière agricole. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Ce donnant-donnant a disparu. La concurrence intra-européenne n’est plus créatrice, mais, malheureusement, dans la plupart des cas destructrice. C’est la libre prestation des services qui est un des points fondamentaux de l’Europe, la libre circulation des personnes, des biens et des capitaux aboutit quelques fois à des pratiques commerciales difficiles à expliquer. Aujourd’hui, on voit très bien que la générosité qui est une belle idée a ses propres limites. Car au fond, les pays les plus forts demandent des contreparties aux aides, la mise en œuvre de la réforme structurelle, les plans d’assainissement. Vous voyez bien que c’est un processus équilibré. L’aide est conditionnée. Néanmoins, les pays les plus riches ont décidé de prendre en charge une partie de la dette grecque, l’Irlande, le Portugal. D’un autre côté, l’Union européenne a prêté aux pays en difficulté à des taux très élevés. Alors, c’est très contrasté. On peut dire que les mécanismes de solidarité sont indispensables. On voit aujourd’hui dans les grands pays, comme la Russie, parce que c’est vous qui m’interviewez, mais aussi aux Etats-Unis, en France, en Allemagne, les régions riches et les régions pauvres. Et les Etats prennent des mesures pour atténuer les écarts. Mais toute l’idée en économie c’est d’éviter les chocs asymétriques. Est-ce que l’Europe s’est dotée des outils pour éviter les chocs asymétriques ? Très honnêtement, non. Car on n’est pas assez loin en politique de coopération à l’intégration européenne. Je crois qu’aujourd’hui, l’Europe n’étant pas assez loin parce qu’on a une monnaie unique commune mais on n’a pas vraiment de politique économique commune, ce n’est pas vraiment une confédération. Donc, je pense que l’Europe est assise entre deux chaises qui sont en train de s’écarter. Pour contrer ce problème d’actualité, je pense qu’il faut accélérer la construction de l’Europe au risque de la faire exploser si on ne le fait pas, parce qu’évidemment les centrifuges l’emporteront. D’autre part, c’est un autre débat, j’ai fait un rapport là-dessus, l’intégrer dans une vaste zone économique de libre-échange euro-russe. Vous allez me dire que ce n’est pas le sens d’actualité aujourd’hui, mais comme la réalité d’aujourd’hui est un contresens de l’histoire, j’espère qu’on reviendra dans le bon sens de l’histoire. Néanmoins, c’est ce qu’il faut faire, car l’Europe aujourd’hui est en pleins errements. Je souhaite vraiment que l’Europe revienne dans les normes de construction européenne avec un espace économique plus vaste autour d’elle.

Commentaire. A l’époque où sont conclus les accords de libre-échange les plus « exotiques » entre l’Union européenne et l’Inde, la Chine et la Nouvelle Zélande, les Etats-Unis et la Corée du Sud, etc. ; à l’époque où les bellicistes américains plongent l’Europe dans leurs délires antirusses ; à l’époque où les Etats-Unis veulent établir leur hégémonie mondiale ; à l’époque où l’Union européenne n’est plus le premier partenaire économique et commercial de la Russie depuis l’écroulement de l’URSS ; à l’époque où l’organisme européen est grièvement blessé par le ricochet de ses fluctuations entre l’american dreamet l’attrait de l’âme mystérieuse russe ; celui qui court deux lièvres est plongé dans une crise profonde. On le voit partout dans le monde : du conflit ukrainien jusqu’aux conflits arabes prolongés, en passant par l’Union européenne. Cette dernière semble être battue sur tous les fronts, surtout, économique.

Face à la conjoncture qui menace de faire couler l’Europe, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a exhorté à se soustraire à l’influence d’outre-Atlantique et à revitaliser les relations, dont économiques et commerciales, avec la Russie. Sans parler des avantages pour tous les pays concernés, cela permettra, à terme, de stabiliser la situation en Ukraine. Plus précisément, si la zone de libre-échange Union européenne – Union économique eurasiatique est créée, l’Ukraine ou tout autre pays du Partenariat oriental sera épargné de signer des accords avec l’Europe parce qu’ils pourraient intégrer la zone de libre-échange organisée sous l’égide de la Russie.

Cependant, même en germe, cette initiative est très concurrencée. En l’occurrence, les Etats-Unis prônent la création d’une zone de libre-échange euro-atlantique : NAFTA (Etats-Unis, Canada, Mexique) plus l’Union européenne. Il ne faut non plus retrancher du compte la Chine, un des principaux agents commerciaux sur la scène internationale.

Quoi qu’il en soit, l’éventuel accord de libre-échange peut être discuté uniquement comme un projet à long terme. Il est évident qu’aujourd’hui, la Russie, l’Union européenne et les Etats-Unis ont d’autres chats à fouetter.

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