S’achemine-t-on vers une guerre nucléaire ?

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« [Les funestes banquiers de Wall Street], auront-ils assez de bunkers anti-nucléaires où se blottir le jour venu ? ».

Cette question est la conclusion d’un article de M. Alfredo Jalife-Rahme, géopoliticien mexicain publiant entre autres sur le Réseau Voltaire. Selon ce dernier, une paix entre Obama et Poutine serait impossible dans la mesure où les véritables tireurs de ficelle sont à chercher côté City et Wall Street et n’ont pas l’intention d’en démordre. Pour autant, devrait-on épouser l’eschatologisme éventuel de l’auteur ?

Il est d’un côté vrai que l’OTAN, fidèle à la fameuse containment theory de George F. Kennan reprise et exacerbée par le clan des néo-conservateurs, entend réduire le potentiel nucléaire de la Russie en construisant un immense bouclier nucléaire à la frontière russe. Le but poursuivi, certes surréaliste bien que mentionné par certains experts comme objectivement existant, serait d’empêcher son principal adversaire d’opérer une première frappe. Ce scénario correspondrait en réalité aux aspirations mégalomaniques des Brzezinski et confrères le concept de dissuasion réciproque n’ayant guère perdu de son actualité. Mais il est néanmoins un bémol digne d’attention si l’on part du constat que l’impérialisme anglo-saxon est défaillant, incapable de vivre selon ses moyens, asservi à un monde où la matière et l’Idée ne font qu’un. Nous ne sommes pas très loin de ce qu’était le III Reich à ses heures crépusculaires. Qui sait ce qu’il aurait fait s’il avait eu la bombe atomique vers 1945 ? L’aurait-il utilisé en désespoir de cause ? Nous retrouvons aujourd’hui le même mode de pensée hystérique dans les milieux financiers internationaux gavés d’atlantisme. La fin sublime excuse les moyens horribles, disait Raymond Aron dans l’Opium des intellectuels. Bien que le contexte soit différent, cette reprise poétisée de Machiavel s’applique plus que jamais à nos amis de l’Etat profond américain ainsi qu’aux oligarchies mondialistes de la City. Iraient-ils jusqu’au bout de leurs délires pourvu de ne pas avoir à essuyer une défaite définitive ? On ne saurait l’exclure et en ce sens c’est un peu la pensée que véhicule Diana Johnstone en analysant dans un récent article les raisons de l’ingérence indirecte des States en Ukraine.

Néanmoins, si on ne déborde pas de la théorie bien connue des probabilités, il semblerait bien plus logique que Washington pousse à travers l’OTAN ses ambitions expansionnistes aussi loin que possible avant de se retirer, confronté à un échec cuisant, de l’autre côté de l’Atlantique. En ce cas, c’est l’UE qui aura à payer les pots cassés, l’Allemagne en premier lieu. Et ce sont Messieurs Heugsen et Cooper, entre autres – les bienfaiteurs ne manquent pas – qu’il conviendrait de remercier, eux qui ont élaboré la plus grande ineptie que l’Europe ait jamais adopté. Il s’agit de la Stratégie européenne de sécurité (SES) qui a été mise sur pied fin 2003. Son principe est aussi simple qu’antinomique par substance :

- Ladite stratégie engage les pays membres de l’UE à des interventions dites préventives dans un sens rappelant comme par miracle les interventions humanitaires si chères aux coeurs humanistes des Sieurs Bettati et Kouchner. Ces interventions sont jugées nécessaires si la démocratie – une notion aussi abstraite que les magnifiques abstractions de la scolastique thomiste – est bafouée dans n’importe quel coin du monde et plus particulièrement, le hasard l’aurait voulu, dans les pays situés à l’« est de l’UE » et ne répondant pas aux critères de « bonne gouvernance » made in Bruxelles. On a vu ce que ce modèle impérialiste « libéral » a donné en Irak, en Lybie, en Syrie et, d’une façon encore plus radicale sur le plan étatique, en ex-Yougoslavie. On a vu s’allumer de ses feux les plus infernaux l’Ukraine, un pays d’abord leurré, ensuite déstabilisé par un ramassis d’éléments radicaux et d’oligarques tiraillés entre la carotte unioniste et la nécessité qu’ils subissent encore de tromper un peuple prenant conscience de l’imposture qu’on leur a fait avaler à travers le Maïdan. Maintenant, si j’étais M. Karimov ou M. Nazarbaev je m’intéresserais de plus près aux mouvements protestataires de mon pays, la Maison-Blanche venant d’exprimer elle aussi un vif intérêt vis-à-vis de l’Ouzbekistan et du Kazakhstan. Comme le hasard et les abstractions continuent à gouverner ce bas monde, il se fait que les deux pays cités regorgent de pétrole. Le Kazakhstan est un maillon important de l’Union eurasiatique. L’Ouzbekistan peut se vanter d’être le pays le plus militarisé d’Asie centale. Renverser Karimov, sorti de sous le contrôle étasunien en 2007, installer un énième gouvernement fantoche comme à Kiev, reviendrait à évacuer l’Ouzbekistan de la sphère d’influence russe, un projet soutenu pendant des lustres par l’auteur du Grand Echiquier et qui semble enfin avoir conquis les esprits insatiables de certains. L’UE va encore devoir s’enliser dans une épopée qui ne lui rapportera strictement rien sinon le chaos en Europe de l’Est, donc, tout bonnement, le chaos en Europe tout court.

Mais voici que se profile une éminente et surtout imminente bombe à retardement ...

Curieusement, celle-ci est décrite dans une déclaration adoptée à Bruxelles fin 2013 et dont le titre, Une Europe sûre dans un monde meilleur, en dit très long. Citons : « Même à l’air de la mondialisation, la géographie garde toute son importance. Il est dans l’intérêt de l’Europeque les pays situés à ses frontières soient bien gouvernés. Les voisins engagés dans des conflits violents, les Etats faibles où la criminalité organisée se répand, les sociétés défaillantes ou une croissance démographique explosive aux frontières de l’Europe constituent pour elle autant de problèmes ».

Deux conclusions s’imposent d’emblée :

- Ce bien et ce monde meilleur n’est bon et n’est meilleur que dans la mesure où il arrange l’Europe occidentale. Voici donc un bel exemple d’européocentrisme à tendance expansionniste.

- La mise en garde formulée fin 2013 semble annoncer le début de la fin de l’Ukraine. On sait ce qu’il en est aujourd’hui. Par ailleurs, pas un seul pays ayant subi les critères de bonne gouvernance prescrits par l’impérialisme washingtonien n’est actuellement en forme. Comme par hasard.

On mettra en relief une stratégie aux prises avec une contradiction lancinante : soit l’Europe occidentale participe à mettre le monde à feu et à sang au nom d’une course aux ressources explicable – 50% de son énergie est importée – mais maladroite dans ses principes puisque mettant en péril sa sécurité, soit elle se défait des pressions américaines, révise ses alliances conformément à ses véritables intérêts et se résigne à vivre selon ses moyens en abandonnant ses vieux démons colonisateurs.

Il n’est plus question de se mettre « au service du bien dans le monde » – le système de châtiment nucléaire Périmètre russe étant assez peu sensible à cet étrange « bien » de type hollywoodien – mais de secouer la raison en se disant que le grand perdant, en fin des fins, ce sera bien la veille Europe avec ses simulacres de valeurs et les 25% de la puissance de l’OTAN qui restent sur son territoire.

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