Reprise sanglante dans le Donbass. Témoignage

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Les discours conciliateurs tenus il y a peu par l’ambassadeur de France en Russie, M. Jean-Maurice Ripert, s’inscrivent dans la ligne assez vague et en réalité très peu productive des rencontres consacrées au dossier ukrainien qui ont précédemment eu lieu entre le chef de la diplomatie russe et ses homologues occidentaux.

Les voies de l’enfer sont pavées, dit-on, de bonnes intentions. Que dire si ces intentions sont iniatialement dénaturées et que l’antichambre du paradis européen promis à une partie de l’Ukraine est l’enfer dans lequel la mainmise étasunienne a plongé le Donbass ?

Mon premier voyage à Donetsk a eu lieu début décembre, quelques jours avant la dite « trêve » du 9.12. Celle-ci devrait être toujours de vigueur jusqu’à nouvel ordre. Or, comme j’ai pu le constater lors de mon deuxième voyage – entre le 9 et le 13 janvier – non seulement cette trêve n’était nullement respectée mais, bien au contraire, l’intensité des opérations répressives lancées surpassait tout ce que j’ai pu voir le mois dernier et tout ce que mes collègues ont pu voir depuis le début de la guerre. L’artillerie lourde ukrainienne se défoulait sur Donetsk comme s’il s’agissait d’un immense champ de bataille et que les civils étaient une armée à décimer.

Contexte militaire. Escalade des hostilités

Dans la nuit du 11.01 au 12.01 une pluie de roquettes (de type BM-21 Grad) et d’obus inonda la ville. Les quartiers les plus exposés – Kievsky, Koujbishevsky, Kirovsky et Petrovsky – sont immédiatement revenus aux heures sanglantes de l’été 2014. Dans la ville même, parmi les civils, le bilan oscille entre 10 et 14 morts en trois jours (sur la période du 11-13 janvier), dans l’ensemble, il faut y ajouter la tragédie de Volnovakha où un bus arrêté à un chekpoint ukrainien a été pris pour cible. 12 personnes ont été tuées sur le coup. On ignore pour le moment s’il s’agissait d’une roquette Grad envoyée depuis les positions de la Résistance, de tirs de mitrailleuse et/ou de mitraillettes à une cinquantaine de mètres du checkpoint ou encore, selon une version plus récente et plus documentée, d’une mine à fragmentation guidée. Une enquête trilatérale a été lancée.

Ce qui préalablement met la puce à l’oreille, c’est la spécificité des orifices perforant les vitres ainsi que l’état général du bus. Il suffit de voir l’état plus que piteux des immeubles touchés par des lance-roquettes multiples pour comprendre que du bus il ne devait rester qu’une carcasse fumante et pas un seul rescapé. Serait-on derechef dans une logique de provocation ou de false flag ? Rien ne permet de l’exclure sachant que, primo, la tragédie a eu lieu lors de la session plénière du Parlement européen au cours de laquelle, sans surprise, M. Porochenko a demandé à Martin Schulz d’inscrire la RPD et la RPL dans la liste des organisations terroristes, secundo, une récupération quasi-immédiate intervint aux USA où Marie Harf, porte-parole adjointe au département d’Etat US, pointa du doigt la responsabilité, avérée selon elle avant toute enquête, des insurgés « pro-russes », donc, de la Russie qui ne tiendrait pas les engagements de Minsk. Peu après, inspiré du précédént parisien, le slogan Je suis Volnovakha gagna les réseaux sociaux ukrainiens, on pouvait entre autres l’apercevoir collé sur l’ordinateur d’un présentateur du journal d’information sur une chaîne ukrainienne. Après les accolades du Président ukrainien avec son homologue français, on voit bien comment la boucle a finalement été bouclée.

Entre-temps, les combats pour la reprise de l’aéroport reprenaient de plus belle. Dynamique favorable à la Résistance malgré la poursuite d’une stratégie à laquelle Alexandrer Zakartchenko, chef de la RPD, entendait renoncer avec l’exacerbation des hostilités. Il s’agit de la rotation plus ou moins régulière des troupes ukrainiennes garantissant leur retrait via un couloir humanitaire ouvert par les forces d’autodéfense. Bien des experts se montrent de plus en plus critiques de cette tactique certes magnanime mais contraire aux intérêts de l’insurrection.

Il semble bien difficile d’expliquer ces rotations salutaires pour l’armée ukrainienne à moins de retenir deux hypothèses, la première étant que la Résistance ménage autant que possible ses effectifs en privilégiant quand l’occasion se présente l’option diplomatique, la deuxième consistant à reconnaître que malgré la destruction systématique de son infrastructure et les souffrances endurées, le Donbass persiste à garder une perception fraternelle de l’agresseur ce qui n’a rien de réciproque. Les exactions tant cruelles qu’inutiles perpétrées contre les civils dans les zones contrôlées par l’armée et surtout les bataillons dits punitifs en sont la démonstration flagrante. Slaviansk et Marioupol où de très jeunes filles sont la première proie des groupes bandéristes terrorisant les villes occupées ne font pas exception. Toute personne véhiculant une opinion jugée contraire à l’idéologie radicale imposée est passible de mort.

Il faut donc se mettre à l’évidence :

- L’escalade prématurée du conflit – on s’attendait à ce que la cocotte-minute saute vers le printemps - tient sans doute au fait que Kiev est dans l’impasse. En tant que telle, la trêve n’a aucun sens dans la mesure où aucune mesure géopolitique concrète ne l’encadre. Fédéraliser ? Ce genre de discours a perdu de son actualité suite à la violation récurrente des accords de Minsk. Laisser « partir » le Donbass en lui accordant l’indépendance étatique revendiquée ? Cela ne correspond ni aux intérêts économiques d’une Ukraine très peu industrialisée, ni aux attentes de l’Etat profond américain et de son banquier, le FMI, qui n’ont pas payé le putsch de février pour se contenter de voir des Ukrainiens s’entretuer dans le cadre d’une confrontation formellement civile. Or, une rupture de plus en plus sensible est à relever entre les plans titanesques mais irréalistes des clans oligarchiques dispersés à travers leurs fiefs, avachis sur leurs avoirs, pour certains loyaux à Kiev pour d’autres non comme c’est le cas de Kolomoïski et les aspirations d’un peuple qui dans sa majorité n’a aucunement envie d’aller mourir au Donbass.

D’une façon générale, très peu d’Ukrainiens sont prêts à mourir pour récupérer le Sud-Est comme le montrent si bien des statistiques faisant état d’un nombre croissant de déserteurs et de conscrits potentiels préférant la prison au champ de bataille. Sachant qu’aucun Européen n’est prêt à mourir pour l’Ukraine unie – même les mercenaires présents sur place préférent lancer en première ligne « les petits jeunes » nouvellement débarqués – on se demande qui va finalement se battre pour un pays maladivement désintégré avec un gouvernement qui selon la juste formulation de DSK « [n’a rien donné] à l’exception de la colère et de la haine ». Pour demander, en effet, il faut donner. Le demandeur est allé trop loin dans ses demandes, c’est aussi un peu le sens caché du message sous-entendu par l’ancien patron du FMI qui parle en bien meilleure conaissance de cause que n’importe qui d’autre.

- Il n’y a pas de fumée sans feu. Il y a quelques jours, un groupe de diversion ukrainien aurait gagné Donetsk via l’aéroport. On ignore ce qu’il devint. Si cette percée a véritablement eu lieu, elle s’inscrit dans le cadre des opérations de purge frappant le pourtour de la ville dans le but de forcer le cordon de la Résistance. Ce plan, si Kiev le trouve réalisable, suppose une opération éclair reposant en grande partie sur l’effet de surprise.

- Enfin, n’oublions pas que la Rada suprême avait adopté un projet de loi signifiant la sortie du statut hors-blocs de l’Ukraine. Une intégration du pays à l’OTAN devrait à terme s’en suivre. Dans la logique d’un proverbe bien connu selon lequel il faut battre le fer pendant qu’il est chaud, les autorités ukrainiennes entendent récupérer le Donbass au plus vite. Là encore, qui sait si Washington n’a pas fixé des délais précis.

Contexte humain

J’ai eu la chance de m’entretenir avec des gens très différents. Des passants, des chauffeurs de taxi, des vendeuses, des journalistes, des résistants, des personnes très âgées dont un certain Ivan Kharitonovitch, 93 ans, ancien mineur qui aujourd’hui, intrépide, balaie la neige sous les obus. Il ne semble plus les remarquer. Pour lui, le Donbass tiendra. J’ai côtoyé des mères de famille dont certaines ont rejoint les forces de la RPD parce qu’elles ne voulaient pas que leurs enfants apprennent à encenser Bandera dès l’école primaire. J’ai croisé des passants qui s’empressaient de rentrer chez eux avant que la nuit ne tombe et qui, à la question de savoir ce qu’ils pensaient de Porochenko, avaient le plus grand mal à maîtriser leurs émotions. J’ai eu la chance aussi – car la guerre dévoile ce qu’il y a de meilleur et de pire en l’homme ce qui constitue une importante expérience existentielle – de passer la nuit dans une vieille maison villageoise avec une collègue et des résistants. Sur une dizaine de personnes, il n’y avait qu’un seul volontaire russe de Volgograd. Il y avait également deux ressortissants d’Odessa qui n’ont pas pu pardonner le massacre du 2 mai dans la maison des syndicats. Plus qu’un sentiment de vengeance, c’était l’Idée de renverser un régime ultra-violent minée par une idéologie malsaine qui les guidait. Ils n’avaient vraiment pas froid aux yeux.

Ce courage à toute épreuve, je l’ai entrevu dans les yeux de tout petits enfants qui jouaient dans les cours enneigées. Un tir d’artillerie retentit après une longue période de silence tombal que nous savourions ma collègue et moi depuis un bon quart d’heures. Je frissonnai. La petite fille qui jouait à ma droite n’avait même pas sourcillé. Elle continuait, parfaitement indifférente au bruit, à décorer son bonhomme de neige. La même indifférence (on s’habitue à tout) se lisait sur le visage de sa maman. Ailleurs, une grand-mère nous salua avec beaucoup de bonté en demandant au passage, l’air fatigué, quand est-ce que ce cauchemar allait enfin cesser. Cette question, bien entendu rhétorique, courait littéralement les rues. Je l’ai entendu plus d’une fois. Aux stations de bus, dans les magazins, dans les cours. Je revois aussi ce vieil homme du village Kirovskoye, très pauvrement habillé, qui nous tendit un sac de mandarines et des petits pains en demandant de partager avec les résistants. Si donc je devais résumer ce contexte humain tellement immense, tellement incernable et beau en trois mots je dirais « courage », « bonté », « solidarité ». Il y a beau avoir deux Républiques en gestation au lieu d’une – ce qui en bien des points est critiquable – les gens sont clairement unis dans la malheur mais aussi et surtout dans l’espoir.

Si les combats dureront encore bien longtemps, il semblerait que janvier, février au plus tard soient des mois décisifs pour l’avenir de la Novorossia. Le peuple le sent bien. Il se recueille.

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Ce qu'on voit en face s'appelle "Ostraya Mogila", un mont situé à environ 3 km de l'endroit où nous nous trouvions. Il est visible au niveau de la bande noire qui s'étend au loin et au niveau de laquelle se trouve un checkpoint ukrainien. Petite nuance! L'armée ukrainienne l'a quitté depuis belle lurette. Il est contrôlé par des gars du bataillon Azov et une poignée de mercenaires polonais. Les villageois retrouvent souvent leurs traces dans la zone verte qui borde les habitations.
Ce qu'on voit en face s'appelle Ostraya Mogila, un mont situé à environ 3 km de l'endroit où nous nous trouvions. Il est visible au niveau de la bande noire qui s'étend au loin et au niveau de laquelle se trouve un checkpoint ukrainien. Petite nuance! L'armée ukrainienne l'a quitté depuis belle lurette. Il est contrôlé par des gars du bataillon Azov et une poignée de mercenaires polonais. Les villageois retrouvent souvent leurs traces dans la zone verte qui borde les habitations. - Sputnik Afrique
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