Auschwitz ou du révisionnisme à la carte

Auschwitz ou du révisionnisme à la carte
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Ou de l’abyssale misère du révisionnisme folklorique, aimerais-je rajouter. Le monde commémore aujourd’hui le 70ème anniversaire de la libération d’Auschwitz. L’heure est au recueillement mais aussi pour certains, comme nous avons pu le constater il y a à peine quelques jours, au mensonge. Selon Grzegorz Schetyna, ministre des Affaires étrangères polonais, Auschwitz aurait été libéré par les Ukrainiens au motif qu’il avait été libéré par le « premier front ukrainien ».

M. Schetyna, historien de formation, aurait-il séché ses cours ? Contrairement à ce que laissent entendre les médias français qui se sont penchés sur la question, le problème ne réside pas seulement dans l’exacerbation des tensions entre Varsovie et Moscou suite à l’insolubilité apparente du conflit ukrainien. Dans la mesure où ce dernier est téléguidé de l’extérieur comme le sont toutes les guerres par procuration avec, en l’occurence, une genèse marquée par la parrainage de la CIA, la réécriture de l’Histoire par des personnalités comme M. Iatseniouk ou M. Schetyna ne relève pas de l’envie anodine d’irriter le Kremlin. Le plan est d’un autre niveau. Il obéit à une double logique propre à toute manoeuvre révisionniste :

Politique. On nargue la Russie en la poussant à des réactions émotionnelles qui le temps venu se retourneront contre elle. On essaye d’inventer un précédent ultérieurement exploitable. Selon le Premier ministre ukrainien, la Russie (l’URSS) aurait agressé l’Allemagne nazie. Qu’est-ce qui l’empêcherait de récidiver avec l’Ukraine en la précipitant dans les bras salutaires de l’OTAN ? J’ai pu voir ce dernier argument dans certains commentaires comme nous avons pu entendre dire des volontaires d’origine finlandaise ou estonienne qu’ils se battaient aux côtés des cyborgues ukrainiens « parce que leurs pays étaient frontaliers de la Russie et qu’ils avaient peur ». Le révisionnisme politique tient à deux procédés fondamentaux : inversion de la relation de cause à effet et/ou traitement partial donc partiel des faits. Il est ainsi vrai que la section de l’Armée rouge qui a libéré Auschwitz était commandée par Anatoly Shapiro, un Ukrainien d’origine juive. Doit-on ceci dit en déduire que le camp de la mort fut libéré par DES Ukrainiens et non pas par ceux qui composaient le Front de Voronej (ou premier front ukrainien), c’est-à-dire des Russes, des Ukrainiens, des Géorgiens et des Tchétchènes ?

Idéologie. Il s’agit à long ou moyen terme de discréditer les vainqueurs en redorant le blason des vaincus. Les déclarations de M. Iatseniouk et de M. Schetyna visent à semer le doute en fragilisant des faits immuables. Le fait que Poutine n’ait pas été invité à la célébration du 70ème anniversaire de la libération d’Auschwitz-Birkenau dilue les repères historiques que nous avions jusqu’ici. Le fait que l’on reconnaisse à la chancelière allemande le courage d’avoir évoqué le rôle déterminant de l’Armée rouge dans la libération du camp d’extermination est du même ressort. L’Allemagne n’a jamais nié ce rôle. En quoi est-ce que la « reconnaissance » de Mme Merkel serait extraordinaire ?

Cette entrée en matière est l’occasion de reprendre, traduit du russe par Mme Olga Swinzow, le raisonnement aussi rigoureux que factuellement complet de Mme Marie Zakharova, chef adjoint du Département de presse et d’information du Ministère des Affaires étrangères de Russie.

« A peine avions-nous repris notre souffle après les époustouflantes déclarations de Iatseniouk sur l'invasion de l'Allemagne et de l'Ukraine par la Russie que le ministre des Affaires étrangères polonais, M. Schetyna, reprenait le relais de la course au vandalisme historique.

Commentant la question de l'invitation de la partie russe au 70-ème anniversaire de la libération du camp d'Auschwitz, il a littéralement dit ceci: «Il vaut mieux dire que c'est le front ukrainien, le premier front ukrainien et les Ukrainiens qui ont libéré Auschwitz parce que ce jour-là, en janvier, c'était les soldats ukrainiens qui y étaient et qui ont ouvert les portes du camp en le libérant».

En principe, on ne peut reprocher un manque de logique infernale ni à Yatseniouk, ni à Schetyn. Tout concorde: la Russie a attaqué la pacifique Allemagne et l'Ukraine indépendante. Le front ukrainien qui combattait l'occupation soviétique a libéré Auschwitz, peu importe de qui il l'a libéré.

Vous savez, ce féérique marasme ne l'est que de prime abord. Si l'on continue cette chaîne logique, cela risque de faire mal à d'autres que la Russie. Jugez-en par vous-mêmes. Si, comme l'affirme Schetyna, Auschwitz a été libéré par les Ukrainiens, puisqu'il s'agissait du front ukrainien, alors les pays Baltes ont été libérés par les Baltes, par leurs fronts baltes. En conséquence de quoi, l'occupation de ces pays par les troupes soviétiques, ce sur quoi ils ont construit leur concept de lutte historique, n'a jamais eu lieu: ils se sont libérés eux-mêmes, puis ils se sont occupés eux-mêmes.

Poursuivons. Le drapeau au-dessus du Reichstag a été hissé par qui? Par Kantaria, Egorov et Berest. Donc la responsabilité «pour l'occupation de l'Allemagne» (dixit Iatseniouk) doit être assumée non seulement par la Russie, mais également par la Géorgie et l'Ukraine.

Qu'y a-t-il ensuite? Oui! Le totalitarisme soviétique, les répressions, le Goulag, que l'on incrimine précisément à la Russie. Nous le saurons dès à présent: toutes les questions en la matière sont à adresser à Tbilissi et en partie à Soukhoumi. La Russie, dans cette logique est solidement protégée par Mikhaïl Ivanovitch Kalinine.

Et bien sûr les services spéciaux soviétiques érigés en épouvantails bons à terroriser les enfants. Monsieur Schetyna, ne voudriez-vous pas répondre pour Félix Edmundovitch [Dzerjinski]?

Soyons sérieux. Il n'y a rien de pire que de jouer à ce genre de jeux sur les plaies encore saignates de l’Histoire et de danser au son de tambourins nationaux. C'est bien comme cela que l'autoconscience nationale dégénère en nationalisme et, de mutation en mutation, finit par aboutir au nazisme. C'est bien avec ce genre de propos que commence la chute irréversible de l'individu dans l'abîme du nationalisme, un sentiment confortable qui explique tout.

Quoiqu’il soit étrange d’avoir à le rappeler, le rappel semble néanmoins imminent :

1. Auschwitz a été libéré par les unités de l'Armée rouge.

2. Les unités de l'Armée rouge n'étaient pas constituées en fonction du critère de nationalité.

3. Le premier front ukrainien a été formé le 20 octobre 1943, en changeant le nom du Front de Voronej (j'espère que M. Schetyna sait où se trouve la ville de Voronej). Le Second front ukrainien a été organisé le 20 octobre 1943, en changeant le nom du Front de la steppe, une nationalité carrément inexistante. Une réserve: inexistante jusqu'à présent, car qui sait ce qu'il nous sera encore donné d'entendre. Le Troisième front ukrainien a été créé le 20 octobre 1943 en rebaptisant le Front du Sud-Ouest. Enfin, le Quatrième front ukrainien a été organisé en rebaptisant le Front du Sud.

4. L'inexistence d'un premier front russe et d'un septième front géorgien ne signifie pas que les Russes et les Géorgiens n'aient pas participé aux combats de la Grande guerre patriotique.

5. Les soldats de l'Armée rouge étaient de nationalités différentes. Nous ne divisons par la Victoire selon qu’elle russe, biélorusse, arménienne, ukrainienne, juive, géorgienne, tatare, ossète, etc. Comme dans la chanson, cette victoire est une victoire commune à tous parce que nous avons payé le même prix.

6. Personne n'est en droit de manipuler la mémoire des soldas de l'Armée rouge, profitant de ce que la majorité d'entre eux n'est déjà plus en mesure de mettre un coup de poing dans la figure des auteurs de ce genre de propos.

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