Intégration : l’hypothétique retour d’un service national relève du vœu pieux

© AP Photo / Lionel CironneauFrench soldiers guard the building of a Jewish community center in Nice
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Sidération ou agitation frénétique sont parmi les postures les plus fréquentes des individus en proie à un stress intense et soudain. Les sociétés obéissent aux mêmes lois en contexte de crise, oscillant entre stupeur et foisonnement désordonné d'idées.

Cela se vérifie en France. Le moment de mobilisation passé, les attentats de début janvier suscitent deux réactions dans la population. En premier lieu un silence prudent, car les thématiques associées aux évènements sont politiquement sensibles et l'autocensure de règle chez nombre de nos concitoyens. En second lieu une cacophonie oscillant entre polémiques et appels à l'unité. C'est ce dernier cadre le plus aisément déchiffrable et le plus révélateur du malaise de la société française, laquelle ose enfin admettre qu'elle évolue depuis bien trop longtemps dans une crise d'identité, entre perte de valeurs traditionnelles et refus d'adhérer aux idéaux de substitution qu'on lui propose.

Un fait, notamment, ne trompe pas. La proposition, fréquemment exprimée dans les médias comme dans les conversations privées, de restaurer le service national. Tous les arguments sont valables pour porter aux nues une institution qu'il était de bon ton de dénigrer jusqu'à la fin de la conscription, en 2001.

Le service national, estime-t-on, c'était le brassage social. Là, pas de Français de souche et d'immigrés, de musulmans et d'impies. L'ordinaire avait des menus adaptés à tout le monde et chacun tolérait que l'autre, assis à sa table, soit ou non adepte du Hallal ou, au foyer, de la bière. Les jeunes de tous les milieux se retrouvaient, sur un pied d'égalité, sous le même uniforme. Pour les éléments turbulents ou paresseux, c'était l'apprentissage de l'autorité: lits au carré, propreté exigée, réveil à l'aube, obéissance aux ordres…C'était aussi une forme d'ascenseur social, de session de rattrapage pour ceux qui étaient mal partis dans la vie: l'armée, souvent, c'était l'occasion pour des jeunes à la limite de l'analphabétisme d'apprendre à lire, à écrire. Certains gamins, arrivés à la caserne cannabis dans les chaussettes et cheveux longs, avec un niveau CAP, repartaient au bout de deux ans de service (les volontariats service long étaient fréquents, appât d'une meilleure solde oblige) avec en poche de nouveaux atouts. Pour ceux qui étaient allés en Bosnie, c'était sur la poitrine deux médailles, celle des Nations Unies et celle de la Défense Nationale. Une fierté légitime qui les métamorphosait visiblement. Dans le train qui les ramenait une fois pour toutes vers le monde civil, ils ramenaient souvent un permis de conduire, un permis poids lourds, une formation, de quoi commencer un métier, pour les meilleurs une lettre de félicitations qui constituait un premier sésame pour un employeur. Tous ces arguments ont beau tenir de l'image d'Epinal, ils n'en sont pas moins ancrés dans bien des esprits.

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Ce qu'oublient ceux qui exaltent le service militaire et qui, bien souvent, ne l'ont pas fait eux-mêmes, c'est précisément qu'au grand rassemblement de l'égalité il y avait des absents: Les filles, bien sûr. Mais aussi les éléments les plus diplômés et ceux disposant du meilleur réseau. Bref les enfants de la bourgeoisie et ceux des profs. Eux, entre classes prépas, grandes écoles, ou flemme de fils à papa contestataires, avaient la possibilité " d'esquiver ".

Ce qu'ils oublient, aussi, c'est qu'une armée sert à faire la guerre. Or les appelés n'étaient, par décision politique, pas déployables en opérations autrement que sur la base du volontariat. En conséquence nous avions dû racler les fonds de tiroir de tous les régiments professionnels pour envoyer 11 000 hommes dans le Golfe Persique en 1990 lorsque l'armée britannique en envoyait le triple, professionnalisme oblige… Un cœur de métier, le combat, cela signifie clairement que les militaires n'ont pas vocation à jouer les assistantes sociales. Certes, depuis Liautey, on aime à évoquer " le rôle social de l'officier ". C'est oublier que la société française de 2015 n'est plus celle du fameux maréchal, que les valeurs traditionnelles, patriotisme, goût de l'effort, discipline, respect des autorités civiles religieuses et militaires, ont été balayées, tournées en dérision par mai 68, par cette génération de baby-boomers qui aujourd'hui, déboussolée, est la première — avec la bourgeoisie — à appeler les armées au secours. A les appeler en vain.

Car il est sans doute trop tard. 

D'abord parce qu'une classe d'âge, c'est 800 000 jeunes. Nous n'avons pas besoin d'une telle masse d'appelés. A l'heure de la sélection les inégalités se renouvelleraient. La fracture communautaire s'est aussi sensiblement accrue depuis une vingtaine d'années. Il n'est pas certain que juifs, chrétiens, athées et musulmans accepteraient encore de voisiner en bonne intelligence, une " Kro " dans la main pour les uns, un Coca pour les autres.

Par ailleurs nous serions bien en mal d'équiper, nourrir, loger tous ces jeunes: les casernes ont été vendues et nous ne disposons pas d'assez d'hommes en mesure d'encadrer une telle foule. Car l'armée du service national, c'était aussi une force dont le corps des officiers et sous-officiers était proportionnel à celui des appelés. Nous n'en sommes plus là. Nos troupes sont aujourd'hui tellement en sous-effectifs qu'elles ne sont pas en mesure d'assurer toutes leurs missions. Ce ne sont pas elles qui pourront se substituer aux carences de l'éducation nationale.

Ce ne sont pas nos soldats non plus qui pourront redonner aux jeunes les valeurs qui leur manquent alors que ceux-ci se délectent depuis trente ans de " l'esprit Canal ", cette posture conjuguant impertinence, détestation de soi et nihilisme, se voulant rebelle et frondeuse, mais suintant surtout le conformisme et la bien-pensance. Mission impossible. D'autant plus impossible que le lien armées-nation, bien des soldats l'admettent, est rompu. Pour le renouer il faudrait que la société civile et la société militaire y aspirent. C'est loin, de part et d'autre, d'être évident. Les principes qui manquent aujourd'hui c'est à la société civile, aux parents, à l'école, de se les réapproprier et de les ré-inculquer.

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.

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