« Eliminer l’Etat islamique ne veut pas dire qu’on n’aura pas 50 Etats islamiques derrière »

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La radicalisation n’a pas de frontières. Que ce soit en Italie, en France ou ailleurs, les efforts des gouvernements occidentaux semblent ridicules face à la montée de l’Etat islamique.

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En quatre ans, le nombre de mosquées ou de lieux de culte passés aux mains des salafistes a plus que doublé en France. Les statistiques sont alarmantes: s'agit de 89 cas en 2014 contre 44 en 2010! Les salafistes eux-mêmes seraient au nombre de 5.000 sur le territoire, soit dix fois plus qu'il y a dix ans. Serait-ce une nouvelle tendance dans les sociétés occidentales? Pourquoi l'Etat islamique prend de l'ampleur sous une pluie de bombes américaines et égyptiennes? Comment peut-on contrarier l'offensive des radicaux? Myriam Benraad, spécialiste du Proche-Orient et de l'Irak, chercheuse à Sciences Po Paris, nous a partagé ses idées.

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« Il faut savoir qu'il y a une évolution dans les processus et mécanismes de radicalisation en France. Cela a commencé à travers un certain nombre de petites mosquées salafistes dont certaines étaient clandestines. On observait déjà ce phénomène dans les années 1990, du temps de la guerre civile en Algérie et du djihad algérien, et aussi à partir de la guerre d'Irak, en 2003, comme l'a montré l'exemple de la radicalisation des frères Kouachi en France qui sont passés par une mosquée salafiste. Le processus de radicalisation n'est pas le même du monde musulman à l'Occident. La radicalisation islamiste est plus ancienne dans les sociétés arabes et remonte aux années 1920 avec l'apparition des Frères musulmans. Si l'on prend le cas de l'Occident, plus précisément de la France, ces mosquées salafistes radicales sont apparues à partir des années 1990 et elles ont officié jusque dans les années 2000. Après la guerre d'Irak avec la montée de l'anti-américanisme et de l'anti-occidentalisme dans le monde musulman, un certain nombre de communautés musulmanes en France ou ailleurs en Occident se sont trouvées face à une crise identitaire et religieuse du fait des problèmes concernant l'intégration de ces populations en France. Ces mosquées ont commencé à attirer un public de plus en plus large.

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Il y a aussi la question des convertis. On sait qu'un certain nombre de gens dans la société occidentale se convertissent aujourd'hui à l'islam radical. Ça se fait à travers cette minorité de mosquées qui sont aujourd'hui traquées par les services de police et de renseignement qui font un travail contre la radicalisation. La grande évolution c'est Internet parce que depuis le début des années 2000, il y a aussi une montée de l'islam radical salafiste à travers Internet qui permet de se radicaliser de manière individuelle directement à travers des sites Internet, à travers des prêches sur les réseaux sociaux ou des sites comme Youtube. Aujourd'hui, les mosquées ne sont plus seulement les lieux de radicalisation. Ceci dit, Internet est devenu le premier outil, le premier lieu de radicalisation islamiste. La prison est également un lieu de radicalisation en France et ailleurs. C'était déjà le cas des pays arabes du temps où on emprisonnait des islamistes dans l'Egypte de Nasser, c'est le cas aussi en Occident. S'y ajoutent les bandes qui se forment autour de ces jeunes qui se radicalisent à la mosquée ou sur Internet. Ces bandes ont donné un impact beaucoup plus fort au phénomène, par exemple, des départs dans la Syrie, dans l'Irak et vers d'autres terrains du djihad. Si on remonte dans l'histoire, on peut prendre le cas du djihad en Afghanistan contre les Soviétiques à la fin des années 1980, il y avait là quelques Occidentaux qui avaient joué un rôle important. »

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Les salafistes présentent une sorte de un bras droit de l'Etat islamique en France. Sachant qu'il serait illégal d'appeler ouvertement au djihad, leurs prêches poussent indirectement au radicalisme. La note relève par exemple des incitations à « quitter la terre des mécréants ». « Les salafistes ne se déclarent pas hostiles au djihad, précise notre expert réputé. Il y a deux tendances dans le salafisme. La première ce sont des salafistes quiétistes qui sont dans une logique de retour à l'islam des origines qu'ils considèrent comme l'islam pur. C'est, plus précisément, l'exemple des compagnons du Prophète Mahomet qu'on appelle les « salafs » (d'où le nom « salafistes »). C'est si vous voulez l'orthodoxie de l'islam ou plutôt l'ultra-orthodoxie de l'islam, une pratique très rigoriste. Et il y a le salafisme-djihadisme qui est tourné vers la guerre sainte contre tout ce qui n'est pas musulman. Cela remonte, comme je vous l'ai dit, au djihad afghan, puis on l'a vu en Algérie, en Bosnie et, évidemment, aujourd'hui en Irak et en Syrie. Le djihad de ce type a repris dans le Sinaï, en Egypte et en Libye qui va, certainement, devenir la grande terre du djihad en Afrique du Nord. Là, on est dans une logique de guerre pour l'islam, contre les mécréants, contre tous ceux qui sont considérés comme des apostats. Certains ne sont que pour la lutte armée. D'autres sont dans une logique politique de constitution d'un Etat. On l'a vu en Irak avec l'Etat islamique et le rétablissement du califat par Abou Bakr al-Baghdadi à Mossoul en juin 2014. Il s'agit donc d'associer un projet politique à la lutte armée ».

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Le panorama n'en est que plus terrifiant. L'Etat islamique, réussit-il son but « ultime »? « Plus ou moins, répond Myriam Benraad. Il y a deux choses. On peut se battre tant qu'on veut contre ces gens. Leur discours a un impact et exerce un pouvoir d'attraction très fort aujourd'hui dans le monde auprès des musulmans dans les pays arabes et aussi auprès d'un certain nombre d'Occidentaux, d'Asiatiques, de Caucasiens qui décident de rejoindre les rangs de l'Etat islamique parce qu'ils considèrent que son combat est juste et que surtout c'est la nouvelle grande cause révolutionnaire. La bataille elle se joue sur le plan idéologique et sur le plan politique aussi, parce que tant qu'il n'y aura pas de normalisation politique dans les pays arabes, que ce soit l'Irak, la Syrie, même la Libye, tant qu'on n'aura pas de solutions et de dialogue politique, il n'y aura pas d'amélioration. En réalité, les Occidentaux ont très peu d'influence sur le processus politique dans ces pays. C'est d'autant plus le cas qu'il y a des opinions publiques qui sont hostiles à l'Etat islamique, mais sont aussi hostiles aux ingérences occidentales dans la région.

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C'est tout le paradoxe de l'engagement, aujourd'hui, des Américains et de leurs alliés au plan militaire: les populations sont partagées entre l'appel aux Etats-Unis et à leurs alliés pour intervenir et, en même temps, elles rejettent ce qui est considéré comme le néo-colonialisme. C'est la raison pour laquelle je pense que ce ne sont pas les Occidentaux qui vont régler les problèmes politiques de la région et qu'ils ont une influence très limitée et que la solution militaire sur le long terme ne viendra pas au bout du djihadisme, parce que le discours a encore beaucoup de poids. On peut défaire, supprimer, éliminer l'Etat islamique, cela ne veut pas dire qu'on n'aura pas 50 Etats islamiques derrière. On n'aura pas résolu la question politique dans ces pays, on n'aura pas résolu les questions socio-économiques, parce que c'est aussi la pauvreté, le dénuement qui fait que les gens s'engagent dans les rangs de ces groupes radicaux. En réalité, je le répète encore une fois, l'Occident a très peu de marge de manœuvre sur ces processus internes. »

La grande question reste de savoir comment on peut contrarier l'offensive des radicaux. On peut favoriser les forces qui se battent au plan local, comme on l'a fait avec les Kurdes à Kobané. Myriam Benraad propose en outre de faire en sorte que les pays de la région de l'Iran à l'Arabie Saoudite en passant par la Turquie « assument leur responsabilité et appuient beaucoup plus leur réaction contre le djihadisme ». Ceci dit, il est clair que c'est le monde musulman lui-même et, notamment, les sunnites, se réveille contre l'Etat islamique.

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France: les actes antimusulmans ont plus que doublé (médias)
Il ne faut pas négliger le rôle positif que peut jouer l'Occident, même s'il a peu de « marge de manœuvre au Proche-Orient ». Il suffit de voir les attaques terroristes à Paris puis à Copenhague pour prouver l'implication du Vieux Continent dans le conflit proche-oriental qui, avec cette dimension européenne, risque de se transformer de conflits internes du tel ou tel pays (Syrie, Irak ou Libye) en un conflit global, ce qui est, d'ailleurs, le cas aujourd'hui. Le monde occidental et le monde musulman (dans le sens des musulmans du Proche-Orient et de l'Afrique) doivent joindre les efforts dans cette lutte contre l'Etat islamique. Nota bene: une lutte pacifique et non antiterroriste « à la amériaine ».

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