L’insalubrité de la réforme de santé en France

© AFP 2023 JOEL SAGET Medical workers, medical students, hospital interns, nurses and doctors protest protest against the new public healthcare bill by the French Health minister on March 15, 2015 in Paris.
Medical workers, medical students, hospital interns, nurses and doctors protest protest against the new public healthcare bill by the French Health minister on March 15, 2015 in Paris. - Sputnik Afrique
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Qui dit Français - dit gréviste, qui dit médecin - se tait. Exception : la récente manifestation intergénérationnelle à Paris qui a réuni 50.000 blouses blanches contre la réforme de santé.

Ce n'est pas que les médecins ont renoué avec leur passé « innocent » mais qu'ils sont touchés à vif par une réforme qui manque de concertation et de réflexion. Nous avons recueilli le témoignage de deux experts qui ont non seulement participé à la manifestation, mais l'avaient organisée.

Mélanie Marquet, présidente de l'InterSyndicat national des internes (ISNI), et Jacques-Olivier Dauberton, président du Regroupement autonome des généralistes ReAGIR, sont unanimes: l'objectif de la manifestation était de montrer que « les médecins étaient là », qu'ils voulaient, en tant que « responsables de la santé en France », « exercer dans de bonnes conditions ».

« Paradoxalement, la loi telle qu'elle est présentée aujourd'hui ne réforme pas le système pour permettre de répondre aux défis auxquels nous sommes confrontés en tant que médecins dans le cadre de la formation, de l'installation, de l'exercice, met en avant Jacques-Olivier Dauberton. Elle est issue de la stratégie nationale de santé qui était une grande consultation nationale pour faire avancer les soins et pour effectuer un virage ambulatoire. Là, certainement, on retrouve une mesure d'ampleur qui est celle du tiers payant généralisé. Cela veut dire que n'importe quel patient peut intervenir avec sa carte vitale et ne pas avancer les frais, car c'est la sécurité sociale qui nous paierait a posteriori. Même si c'est un plus pour l'accès aux soins pour les patients dans certains endroits, c'est un souci pour nous du point de vue administratif: nous aurions beaucoup plus de temps à faire de la paperasse qu'à soigner les patients. A part ça, le projet de loi de santé ne change pas grand-chose: il y a des petites mesures, comme le numéro unique pour les urgences dans toutes les régions, le médecin-traitant pour les enfants de moins de 16 ans, etc. »

L'introduction du tiers payant généralisé, qui est d'ailleurs largement pratiqué dans les pharmacies, risque de faire dévaloriser la médecine. La raison en est simple: on ne respecte pas ce qui est gratuit. Ne plus avancer les paiements signifie rendre les patients moins responsables et plus dispendieux. La surconsommation des « mauvais malades » creusera les déficits budgétaires, alors que le gouvernement projetait de réduire les dépenses de l'assurance maladie de 10 milliards d'euros sur trois ans.

« En plus, il y a des attaques sur nos débouchés professionnels à l'hôpital public avec la création du statut de praticien hospitalier remplaçant, continue Mélanie Marquet. Nous ne voulons pas d'un statut précaire comme entrée en carrière, d'un statut à l'hôpital public qui maintient une désorganisation des services. Nous, du côté des jeunes, nous disons qu'il faut réfléchir à des moyens de distance d'avance de frais pour le patient. Ce qu'annonce la ministre, c'est purement incantatoire. Pour le moment, du point de vue technique, elle est dans l'incapacité de le promettre. Pour les jeunes, la question du tiers payant généralisé — c'est l'arbre qui cache la forêt. Derrière, c'est la gestion du tiers payant généralisé par les organismes complémentaires. Notre point d'inquiétude majeur est vers le cadeau aux complémentaires privés, vers les dérives, vers les mutuelles qui vont avoir la main sur la gestion de ce tiers payant généralisé obligatoire, alors que le coût des assurances augmente tous les trimestres pour les patients. La mesure présentée comme sociale ne remplit pas son objectif, selon nous. »

Ces « dérives vers les mutuelles » marqueront le début de la privatisation de la santé et la perte de l'indépendance professionnelle des blouses blanches. Désormais, ce sont les mutuelles qui choisiront les médecins de leurs patients, et non plus le patient qui choisira son médecin.

En poursuivant dans la logique anti-libérale de la réforme, les médecins ne pourront plus prescrire ce qu'ils veulent, que ce soit des médicaments, des arrêts de travail, des hospitalisations, des indications observatoires. Des observatoires nationaux vont surveiller et sanctionner ceux qui prescrivent trop ou trop cher.

Bref, c'est une loi qui porte atteinte à la liberté professionnelle des médecins et porte préjudice à leur exercice (par l'introduction du tiers payant généralisé). En ce qui concerne les principaux « bénéficiaires » de la réforme, les patients, les prétendues « facilité » et « accessibilité » du service sont illusoires.

Tant que l'Assemblée nationale examine le projet de loi, les blouses blanches continuent à battre le tambour pour se faire entendre et, dans l'idéal, pour modifier les dispositifs de la réforme de santé qui, pour le moment, est insalubre, voire nuisible à la société française.

 

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.

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