C'est vite oublier pourquoi la SDN, elle aussi truffée de nobles intentions, fut dissoute. C'est vite oublier que les USA qui fondèrent en juin 1945 l'ONU arrivèrent à balancer deux mois plus tard deux bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki. Mais c'est aussi fermer les yeux sur ce que devint le Moyen-Orient après l'étrange attentat du 9/11. On peut disserter tant qu'on veut sur le bien-fondé du programme de base, c'est aux fruits que l'on reconnaît l'arbre.
Vous m'excuserez cette référence sulfureuse, mais lorsque Mussolini avait remarqué que la SDN était très efficace quand les moineaux criaient mais pas du tout quand les aigles attaquaient, il avait raison. Les circonstances dans lesquelles la II GM précédée de la guerre civile espagnole éclata l'ont remarquablement prouvé. Sautons maintenant les sept décennies qui nous séparent de la mutation de l'impuissante SDN en Organisation des Nations Unies, et on ne saurait être que terrifié par ses multiples silences complices face aux dérapages, tant verbaux que pratiques, de grandes figures politiques qui au nom d'une vision du monde profondément perverse encouragent des ingérences relevant directement et du crime de guerre (par exemple, bombardements otaniens de la Serbie et de la Lybie) et, indirectement, du crime contre l'humanité.
L'analyse que proposait en son temps Emile Garaud, juriste et membre de la SDN puis de l'ONU, explique bien des choses. Plutôt qu'une analyse, il s'agirait en fait d'une remise en question des fondements de l'ONU. Premièrement, comment faire si un désaccord majeur divise les grandes puissances? Comment faire en cas d'agression commise par l'une d'elles? Deuxièmement, au vu de la conjoncture internationale — constat déjà valable il y a plus de cinquante ans! — en quoi l'ONU aurait-elle intérêt à faire jouer le principe de sécurité collective? Dans un monde meurtri par une forme d'unipolarité prédatrice, la question se pose avec encore plus de force. Voici, dans la lignée de cette entrée en matière, le compte-rendu de Me Damien Viguier, juriste, avocat au barreau de l'Ain et de Genève, de l'Intervention prononcée à Genève le 16 mars 2015 pour la conférence organisée par l'Union des Juristes Arabes, dans le cadre de la XXXVIIIème Session du Conseil des Droits de l'Homme (ONU).
Nos conférences portent sur la complicité des États dans l'agression terroriste dont la Syrie est victime.
Je partirai de cas judiciaires dont j'ai eu à connaître pour illustrer la complicité du gouvernement français, en particulier, avant d'ouvrir en manière de synthèse de nos différents travaux quelques pistes de réflexions sur les liens entre État et terrorisme.
Il suffit d'observer le contraste entre l'indulgence des tribunaux français vis-à-vis de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, lequel encourage au moins verbalement les terroristes, et l'attitude de la Justice à l'égard des opposants authentiques au susdit terrorisme. Le premier est absout, les seconds, prouesse juridique non moins admirable, sont condamnés pour apologie de terrorisme.
Actions contre Laurent Fabius
D'un côté les magistrats membres de la Commission de la Cour de Justice de la République ont rejeté, comme ils en ont le pouvoir discrétionnaire, toutes les plaintes adressées par les personnes physiques — des civils syriens — victimes indirectes du soutien de Laurent Fabius, qui avait par exemple déclaré trivialement du Front Al-Nosra qu'il « faisait du bon boulot ».
L'action en réparation que ces victimes ont décidé d'exercer contre l'État français, responsable des fautes personnelles commises par son ministre, a été également rejetée. Le Tribunal administratif de Paris a jugé que les actions de Laurent Fabius (nous venons de citer l'apologie des crimes du Front Al-Nosra, ce à quoi il faut ajouter les promesses de livraisons d'armes aux terroristes ou encore l'appel à une intervention armée directe de la France) relevaient de la politique étrangère de la France. Dès lors ce ne serait pas M. Laurent Fabius le coupable, mais l'État français, et en ce domaine politique la juridiction administrative se déclare non compétente pour condamner l'État à réparation. Les victimes ont cependant décidé de faire appel de cette décision.
Laurent Fabius n'est donc pas inquiété pour le moment.
Poursuites contre « ceux qui ne sont pas Charlie »
Faut-il s'étonner de ce qu'un État comme la France siégeant au Conseil de sécurité, puisse se rendre complice d'une agression terroriste? Oui et non.
En fait cette complicité a des raisons juridiques sur lesquelles il est bon de revenir plus en détail. Ceci afin de préciser aussi en quoi il est étrange de prononcer les mots que nous avons prononcés durant cette conférence, ici, au sein des Nations Unies.
Au sujet des relations des Etats et du terrorisme il existe un paradoxe.
État et terrorisme
Il faut rappeler que, pour le Droit, État et terrorisme sont antinomiques. Parce que la raison d'être de l'État c'est le droit de la guerre, laquelle en principe n'est pas dirigée contre les civils, mais a lieu d'État à État, entre militaires. Le terrorisme est aussi peu compatible avec l'État que l'embargo, les sanctions économiques ou le bombardement des villes et des villages (comme cela a eu lieu au Japon, au Viet Nam, en Irak plus récemment, et en France et en Allemagne de 1943 à 1945).
Cela tient à la mission historique de l'État, qui est non seulement l'établissement et le maintien de l'ordre public à l'intérieur de ses frontières, mais aussi le respect de l'ordre établi à l'extérieur de ses frontières: c'est le sens de l'interdiction de toute ingérence dans les Affaires intérieures des autres État, et certaines autres dispositions du droit international telle l'occupatio bellica ou encore la reconnaissance d'un nouvel État par les neutres.
Complicité de l'ONU dans le terrorisme
Or ne méritent plus le nom d'Etat les organisations politiques qui mènent des politiques d'agression indirectes en se livrant plus ou moins ouvertement au terrorisme, en orchestrant des sanctions économiques, l'assassinat de civils, et cætera. Ils se servent néanmoins encore du nom d'État, qu'ils usurpent dans ce cas.
C'est le phénomène dit du tiers intéressé. On l'observe en tous cas: que ce soit pour une opération d'agression impérialiste qui joue au plan mondial ou que ce soit même pour le soutien d'une résistance autochtone enracinée.
Il n'est pas non plus surprenant que l'ONU se montre complice d'États qui agressent plus ou moins ouvertement la Syrie. C'est dans la logique de cette institution ambigüe, qui est composée d'Etats, mais qui est d'abord et avant tout dirigée contre la souveraineté des États, et contre le droit de la guerre.
Notre espoir c'est que le chaos actuel, qui remonte maintenant à plus d'un siècle, ne soit finalement que les douleurs d'un enfantement. Nous formons le vœu d'une dislocation de l'ONU, d'où émergera enfin le nouveau nomos de la terre, un ordre non plus européocentrique comme jadis, mais où l'Asie et l'Afrique, et aussi l'Amérique latine pourront prendre leur place »
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