Tsipras à Moscou

© REUTERS / Hannibal HanschkeGreek Prime Minister Alexis Tsipras
Greek Prime Minister Alexis Tsipras - Sputnik Afrique
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Le voyage à Moscou d'Alexis Tsipras représente potentiellement un moment historique. Celui du reflux des institutions européennes de l'UE au profit d'une avancée, certes timide, certes prudente, mais néanmoins réelle des puissances émergentes, comme la Russie et la Chine, dans le jeu européen.

Ainsi donc, Alexis Tsipras, le nouveau Premier Ministre de la Grèce sera-t-il le 8 avril à Moscou. Or, le 9 avril, la Grèce doit effectuer un paiement au Fond Monétaire International. Et, le 14 avril, la Grèce doit simultanément émettre pour 1,4 milliard d'Euros de bons du Trésor, renouvelant la dette à court terme et le gouvernement doit payer 1,7 milliard en pensions et salaires.

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Ceci alors que la Banque Centrale Européenne a « déconseillé » aux banques privées grecques d'accepter de nouveaux bons à court terme émis par l'Etat grec. On le voit, le calendrier est chargé et potentiellement explosif. On ne peut s'empêcher de penser qu'il y a alors une corrélation entre ces problèmes, ces paiements, et ce voyage. Cette visite d'Alexis Tsipras va donc bien au-delà de la traditionnelle amitié entre la Grèce et la Russie. Elle pourrait signifier l'amorce d'une bascule à l'échelle de l'Europe.

La Grèce face à l'Union européenne

La Grèce a conclu un accord de nature provisoire avec ses créanciers (l'Eurogroupe mais aussi le FMI). Aujourd'hui le pays fait face à des difficultés importantes de court comme la fuite des capitaux hors du système bancaire (12 milliards d'Euros pour le mois de février) ainsi que l'incertitude financière sur sa capacité à effectuer les remboursements de sa dette. Ces problèmes viennent s'ajouter à ceux, que l'on peut qualifier de tragiques, que le pays connaît depuis qu'il applique la politique décidée par la Banque Centrale Européenne, la Commission Européenne et le FMI, ce que l'on appelle la « troïka ». De ses problèmes il faut retenir la crise économique engendrée par cette politique, la chute du PIB, l'appauvrissement d'une large partie de la population et le problème du chômage, qui touche aujourd'hui plus de 26% de la population active (et plus de 50% des moins de trente ans) et de la fuite des cerveaux. Ce chômage constitue par ailleurs le risque de vider la Grèce de ses éléments les plus brillants et les plus prometteurs. Dans ces conditions, l'Eurogroupe (i.e. la réunion des Ministres des finances de la Zone Euro) a pris la responsabilité d'exercer des pressions politiques et économiques de plus en plus fortes sur le gouvernement grec. Mais, il est clair pour tous en Grèce qu'il est désormais impossible de revenir en arrière, au statu quo ante tel qu'il était avant les élections du 25 janvier qui ont porté au pouvoir le nouveau gouvernement. La crise entre la Grèce et les institutions européennes vient précisément de ce que ces dernières n'ont pas compris l'ampleur et la portée du changement qui était survenu lors des élections.

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Les politiques d'austérité sont en effet politiquement mortes non seulement en Grèce mais dans bien d'autres pays depuis ces élections. Il faut savoir que les effets destructeurs de ces politiques d'austérité, non seulement dans le cas de la Grèce mais aussi dans celui du Portugal, de l'Espagne et de l'Italie, sont aujourd'hui évidents et parfaitement avérés. D'un point de vue technique, on peut dire que le multiplicateur des dépenses fiscales, ce multiplicateur qui lie les mouvements du PIB et celui des dépenses budgétaires, a été grossièrement sous-estimé par les autorités de l'Union Européenne, et cela même après la publication de l'étude fameuse de Blanchard, réalisée au FMI, et datant de janvier 2013 (Blanchard O. et D. Leigh, « Growth Forecast Errors and Fiscal Multipliers », IMF Working Paper, n°13/1, janvier 2013).

Très clairement les politiques mises en œuvre sous le nom de « Mémorandum » ne fonctionnent pas et ont de plus des effets destructeurs très importants sur l'économie. Ces politiques, et il faut insister sur ce point, n'ont pas été mises sur pied pour « aider » la Grèce, mais bien uniquement pour permettre aux pays créditeurs d'être remboursés. Ceci a été reconnu dernièrement dans une note du FMI. Mais, sur ce point aussi, elles se révèlent contre-productives. En effet, il est clair que la Grèce, à la suite des divers Mémorandums, ne pourra pas rembourser sa dette. La politique mise en œuvre pour sortir ce pays de l'insolvabilité l'a, au contraire, plongé dans l'insolvabilité.

Le « nœud coulant » européen

Les relations du nouveau gouvernement grec, résultant d'une alliance entre le parti d'extrême-gauche Syriza et la droite souverainiste des « Grecs Indépendants » ou An.El. a vu se relations se dégrader régulièrement avec les institutions européennes, la BCE, mais aussi avec l'Allemagne. La visite à Berlin d'Alexis Tsipras du 23 mars 2015 n'avait pour but que de faire retomber l'émotion médiatique et le niveau des invectives réciproques dans la presse allemande et grecque. Sur le fond, Tsipras n'a rien cédé et Mme Merkel non plus. De fait, les institutions européennes établissent une politique qui cherche à étrangler la Grèce afin de la faire capituler.

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Ces politiques cherchent à faire imploser le système bancaire grec en coupant l'accès à la liquidité d'urgence qui a été mis en place par la BCE. Les dirigeants européens espèrent ainsi que la pression va être telle sur Alexis Tsipras que ce dernier sera contraint d'accepter les conditions de ses créanciers. Ces conditions sont en réalité politiques: c'est l'acceptation de « réformes » du marché du travail et des pensions qui ne sont pas urgentes sur le plan économique, mais qui permettent de montrer la capacité des institutions européennes « d'annuler » politiquement l'essentiel du programme et du message de Syriza. C'était là l'essentiel et il faut bien le comprendre. Les dirigeants européens veulent ainsi annuler le résultat des élections du 25 janvier, alors même qu'ils se prétendent de grands défenseurs de la démocratie. On a la démonstration ainsi irréfutable que « démocratie » n'est qu'un mot dans leur bouche et que, dans la réalité, ils n'ont de cesse que de nier cette dernière et de nier la souveraineté du peuple qui s'est exprimée dans ces élections. Dans cette stratégie, l'Eurogroupe n'a donc cessé de rejeter les propositions de réformes présentées par la Grèce, quatre à ce jour.

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Cette stratégie européenne se fondait sur la certitude que la Grèce refuserait de renverser la table en faisant défaut ou en envisageant la sortie de la zone euro. Mais, ce calcul faisait bon ménage de la légitimité du gouvernement grec. De plus, c'est ignorer le fait que, si on les pousse à la rupture, les Grecs ne seront pas seuls. Lors de la préparation de son voyage à Moscou, Alexis Tsipras a donné le ton le 31 mars en affirmant que les « sanctions contre la Russie ne mènent nulle part.» Cette déclaration était un désaveu très clair de la politique orientale de Bruxelles, en particulier au sujet de l'Ukraine, qui avait de quoi inquiéter la Commission européenne. Athènes pourrait bien se décider à défendre les positions russes au sein de l'UE, et ces en particulier si l'UE se montrait sévère avec la Grèce. Ce refus d'aller plus avant dans la confrontation avec la Russie, refus qui — il faut le savoir — est très largement partagé Grèce même par des forces politiques qui ne sont pas au gouvernement, pourrait faire sortir du bois d'autres pays qui partagent en réalités ces positions: Chypre, la Slovaquie ou la Hongrie, par exemple.

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Mais, aujourd'hui, l'enjeu de ce voyage est sans doute encore plus grand. Il est clair que le conflit entre la Zone Euro et la Grèce est inévitable, et que ce conflit peut provoquer une sortie de l'Euro de la part de la Grèce. Si elle doit se résoudre à cette mesure, une mesure qui aura des répercussions considérables sur l'Euro et sur l'Union Européenne, il faudra que la Grèce stabilise la « Nouvelle Drachme ». Pour cela, elle aura besoin d'un prêt afin que soit constitué un fond de stabilisation à la Banque Centrale. Le rôle de ce fond sera avant tout psychologique. La « Nouvelle Drachme » se dépréciera d'environ 20% à 25% et de cette dépréciation découlera un excédent commercial important pour la Grèce. De fait, les conditions d'une stabilité à moyen terme de la nouvelle monnaie grecque apparaissent comme bonnes. Ce fond de stabilisation pourrait être fourni par la Russie. Cet excédent commercial pourrait d'ailleurs être aussi accru par la levée des « contre-sanctions » prises par la Russie contre les productions agro-alimentaires des pays de l'UE, une levée qui pourrait dans un premier temps concerner la Grèce et la Hongrie.

On le voit, le voyage à Moscou d'Alexis Tsipras, mais aussi les relations étroites que son gouvernement est en train d'établir avec la Chine et plus généralement avec les pays des BRICS, représente potentiellement un moment historique. Celui du reflux des institutions européennes de l'UE au profit d'une avancée, certes timide, certes prudente, mais néanmoins réelle des puissances émergentes, comme la Russie et la Chine, dans le jeu européen. C'est pour cela qu'il y a bien plus dans ce voyage que ce que l'œil d'un observateur peut voir.

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