La consommation, où l'idéologie de la dégénérescence de l'"occidentalisme"

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Pavel Rodkine, membre du Club Zinoviev, analyse le phénomène de consommation qui reste pour lui une valeur absolue incontournable de la société russe.
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La consommation moderne, non-productive, est un phénomène observable non seulement en économie mais aussi dans les sphères culturelle, politique et sociale. Le contexte idéologique — voire géopolitique — de la consommation a été illustré au niveau social par la guerre de sanctions entre l'Occident et la Russie. La consommation demeure toujours une idéologie, un élément de ce qu'Alexandre Zinoviev avait défini comme l'"occidentalisme".

Les fonctions idéologiques de la consommation au XXe siècle

Même si les sanctions réciproques russes et occidentales restent limitées à l'espace strictement économique, la partie libérale de la société russe ne les interprète que d'un point de vue idéologique. L'analyse économique de la nécessité et des répercussions des sanctions de rétorsion a été vulgarisée de manière extrême et réduite à l'hystérie par la classe créative et les intellectuels — au sujet du jambon et du parmesan qui sont désormais symboliques et ont déjà épuisé tout le monde.

Les réseaux sociaux et certains médias ont développé le thème de la "famine", qui se réduisait toujours à la même chose: toute limitation des produits occidentaux ou leur substitution par n'importe quel autre aliment est impensable et impossible même en théorie. En réalité, cette situation résulte de certaines tendances objectives dans les domaines politique et social.

La croissance et l'évolution de la consommation moderne a eu lieu à l'époque de la confrontation idéologique entre l'URSS et l'Occident. La consommation, dans la deuxième moitié du XXe siècle, assurait non seulement l'objectif purement économique d'obtenir un profit — voire un superprofit au rythme du développement des technologies humanitaires et de communication — mais remplissait aussi des fonctions idéologiques, faisant de fait étalage du système occidental.

L'idéologie de la consommation, bien que très primitive, a été un outil universel de globalisation ou d'"occidentalisation" si l'on reprend le terme de Zinoviev, ce qui lui a permis de garder ses fonctions idéologiques après la chute de l'URSS, qui a privé d'actualité les contradictions apparentes entre les deux systèmes.

D'après la journaliste canadienne Naomi Klein, "quand la guerre froide a pris fin ce rideau idéologique a été déchiré, faisant s'évaporer le sens sacral du shopping. Sans idéologie, le shopping n'était que ce qu'il était. (…) Quand les hommes politiques américains appellent leurs concitoyens à combattre le terrorisme grâce au shopping, il ne s'agit pas que de soutenir une économie malade. Il s'agit de mystifier une chose tout à fait quotidienne…"

Mais cette consommation qui prend des formes de plus en plus démesurées et caricaturales aux États-Unis, jouit d'une adoration servile en Russie malgré le fait qu'elle a été un des facteurs de la destruction fondamentale et pénible de tout l'ordre social du pays.

La dialectique de consommation au XXIe siècle

La consommation reste toujours une valeur absolue de la société moderne et a repoussé tout le reste hors de la vie sociale. Aujourd'hui, elle est un critère du bien-être social et du développement de la civilisation. C'est notamment sa fonction dans la conscience sociale.

Le phénomène de consommation est examiné et imposé hors de toute dialectique, car cette dernière est l'ennemie de l'idéologie de consommation.

La consommation n'a aucun aspect négatif dans le cadre du discours néolibéral — c'est-à-dire dans la logique de conflit idéologique de la guerre froide. Selon ce point de vue, la consommation ne peut s'opposer qu'à l'image collective des régimes totalitaires, alors que toute réduction ou limitation de la consommation constitue un retour en arrière vers cette URSS si méprisée.

L'image idéologique de la consommation cache sa partie obscure, c'est-à-dire la déshumanisation, la déqualification du travail, la croissance de l'exploitation et du clivage social, la substitution d'éléments sociaux de base dans l'éducation accessible, la santé publique, le logement et le développement intellectuel. La consommation gaspille trop les ressources intellectuelles et humaines dont on aurait pu se servir pour assurer le progrès social, technologique et humanitaire.

La société de consommation impose un schéma très simplifié de système social. Ce n'est donc pas par hasard que tous les débats autour de la consommation se réduisent à la sphère privée voire ménagère, alors que la situation générale reste hors de la compréhension de l'individu.

Échanger son pays contre ce petit bonheur consommateur représente pour nous une décision naturelle ou même avantageuse dans le cadre de la logique occidentaliste. Car la présence des fast-foods est tout à fait sincèrement considérée comme l'appartenance au monde civilisé.

Le paradoxe de la consommation russe réside dans le fait que les objets de consommation, bien qu'ordinaires et accessibles aujourd'hui, restent néanmoins désirés et constituent une valeur absolue. Ainsi, la consommation se transforme en phénomène — et problème — intérieur, bien qu'elle ait été apportée de l'extérieur dans sa forme actuelle.

La nationalisation de la consommation

En effet la consommation occidentale est la seule à être considérée comme juste, voire possible. C'est pourquoi aucun argument rationnel — notamment sur l'effet bénéfique des contre-sanctions pour les agriculteurs russes — n'est en mesure d'affecter les porteurs d'occidentalisme.

Mais il est également évident que la Russie moderne ne veut plus renoncer à la consommation, qui est déjà passée du tabou à la norme. Comment peut-on donc résoudre le problème de la consommation moderne, qui reste l'un des éléments centraux de l'économie réelle ou virtuelle?

La consommation est aujourd'hui une partie et une prolongation de la politique globale, ou constitue elle-même une politique. Cela signifie que le développement de l'économie et de la politique nationales est directement lié à la nécessité de nationaliser la consommation.

Sans consommation nationale qui comprend non seulement une composante économique — le pouvoir d'achat de la population — mais aussi un élément humanitaire sous forme d'idéologie, il est impossible de développer la production nationale. Pour atteindre cet objectif il faut démystifier la consommation occidentale non seulement pour les élites, mais aussi pour la population.

Si l'on veut maintenir la consommation au niveau occidental et notamment américain, il faut atteindre le même niveau d'abrutissement de la population. La Russie n'est toujours pas à ce degré de manque de la liberté sociale. Ainsi, la "fatigue" de la consommation pourrait atteindre dans le pays un niveau conscient.

Sinon, la Russie se vendra encore une fois aux jeans déchirés et autres fast-food. D'autant plus que la tradition coloniale occidentale a une expérience séculaire d'échanges de perles en verre contre les territoires des peuples autochtones… 

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