La substitution aux importations, un an après

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Le thème de la substitution aux importations avait été mis au premier rang des priorités gouvernementales par le Président V. Poutine au mois de mai 2014.

Ce dernier avait insisté alors sur la dépendance excessive de l'économie russe aux importations. Un an après que cette nouvelle priorité ait été définie, on peut tenter d'en tirer un premier bilan.

A cet égard, il apparaît désormais clairement qu'il ne s'agit pas d'une priorité conjoncturelle mais bien d'un nouveau paradigme devant structurer dans la durée le modèle de développement de la Russie. En un sens, la crise ukrainienne et les sanctions prises par les pays de l'OTAN auront créé un nouveau contexte qui aura permis ce basculement de politique économique vers des programmes de diversification et de modernisation.

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Où en est la Russie en mai 2015?
Il faut savoir que l'économie russe est une économie largement ouverte aux échanges internationaux. Les exportations sont largement le fait de matières premières (qu'il s'agisse des hydrocarbures ou d'autres produits, incluant les matières premières agricoles) avec cependant un petit bloc d'exportations de biens manufacturés pour lesquels la Russie semble conserver un avantage comparatif évident. Les importations, elles, sont composées à 42% de biens d'équipements et de transports, à 27% d'autres produits manufacturés (incluant les biens de consommation), à 13 % de biens agricoles et de produits alimentaires et à 12% de produits chimiques et pharmaceutiques. L'objectif de réaliser une substitution, même partielle, à ces importations constituait donc un défi ambitieux pour l'économie russe.

La situation au début de 2015

On peut ici estimer que la mise en place d'une stratégie de substitution aux importations réussie dépend dans une large mesure de l'ampleur de la dépréciation de la monnaie et de la durabilité de cette dite dépréciation. Cela implique la mise en place d'institutions monétaires particulières qui assurent alors la cohérence de la politique de change avec les autres instruments de politique industrielle et économique. C'est dans ce contexte qu'il faut envisager le développement des stratégies de substitution aux importations en Russie. De ce point de vue, plusieurs faits sont évidents:

1. Il y a eu un mécanisme de substitution, réel mais modéré, qui a touché l'industrie mécanique et la métallurgie. La production de tubes et tuyaux pour les gazoducs, oléoducs, et divers systèmes de transport de liquides, a bien augmenté, entraînant avec elle une partie de l'activité métallurgique.

2. Des mouvements du même ordre semblent affecter l'industrie automobile où la part des composants importés se réduits et où certaines fabrications ont été transférées en Russie. Le fait que la région de Kalouga, où sont installés de nombreux équipementiers, connaisse une forte dynamique positive témoigne de ce phénomène. A contrario, l'exportation vers la Russie de véhicules est devenue de plus en plus difficile.

3. On signale des montées en production dans les industries optiques, optroniques et électroniques, ceci correspondant à une substitution forcée de produits frappés par les sanctions occidentales dans un certain nombre de cas, mais aussi à un avantage de coût, à la suite de la forte dépréciation du rouble dans d'autres. Les informations sur la part des composants importés sont ici très fragmentaires. Il semble que l'on ait assisté à la fois à une substitution des importateurs (des firmes allemandes ou américaines ayant été remplacées par des firmes chinoises et taiwanaises) mais aussi, dans certains cas, une réelle substitution aux importations avec le développement de composants produits par l'industrie russe.

4. La substitution aux importations a été relativement faible dans le domaine agro-alimentaire. Dans ce secteur, le point de comparaison était fourni par ce qui s'était produit en 1998-1999 à la suite de l'ample dépréciation qui avait accompagnée la crise financière d'août 1998. Or, on constate qu'en dépit d'une dépréciation importante du rouble, surtout à partir de novembre 2014, et de l'effet des sanctions russes touchant les importations de produits en provenance des pays de l'UE, la substitution aux importations a été relativement faible. On a assisté essentiellement à une substitution des importateurs. Les importations en provenance des pays de l'UE ont été remplacées par des importations en provenance des pays d'Amérique Latine (Argentine et Brésil), de la Turquie, des pays d'Asie Centrale, voire de la Chine.

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Le phénomène de la substitution aux importations a donc été réel. Il explique tant le rebond de la production industrielle à partir d'avril 2014 que la résilience de l'industrie dans la crise. Mais ce phénomène reste relativement modéré, surtout si on le compare aux ambitions du gouvernement russe. Il faut donc tenter de comprendre quels sont les obstacles à la mise en œuvre d'une substitution aux importations bien plus élargies.

Les limites du processus

On peut considérer que trois facteurs ont eu tendance à limiter les effets de la stratégie de substitutions aux importations.
Le premier de ces facteurs se révèle dans la comparaison avec 1999-2000. Ce qui frappe aujourd'hui, surtout si l'on compare ce qui se passe avec ce qui s'était produit en 1999 et 2000, tient au fait que l'industrie russe travaille désormais à proximité de ses capacités techniques de production. Le taux d'utilisation des capacités de production est souvent supérieur à 80%. La différence est ici massive avec 1999. L'industrie souffre d'une pénurie de main d'œuvre qualifiée, qui correspond au « trou » dans l'enseignement supérieur provoqué par les années 1990-2000 et leurs conséquences. Il y a aujourd'hui peu de capacités industrielles « dormantes » en Russie qui pourraient être réactivées par la forte dépréciation du Rouble.

Le deuxième facteur vient du manque d'investissement. Dans une situation où les capacités dites « dormantes » sont faibles, il faut développer un fort investissement qui permette non seulement de se hisser au niveau technique des production à substituer, mais aussi d'atteindre des conditions de rentabilité suffisante. Ici se pace le débat sur le niveau optimal de dépréciation. Plus l'investissement sera fort et moins la dépréciation nécessaire sera importante. L'investissement a donc été insuffisant, et cela se voit en particulier dans l'industrie agro-alimentaire. Les taux d'intérêts pratiqués par la Banque Centrale sont un obstacle en ce qui concerne l'investissement des grands groupes. Pour les entreprises de taille moyenne, il est clair qu'il faut attendre qu'elles accumulent des profits pour encore une certaine période avant de pouvoir relancer l'investissement par l'autofinancement. L'inadaptation du système bancaire au financement des entreprises de taille moyenne est aussi un facteur qui contribue à maintenir l'investissement au-dessous de son niveau optimal. Ici, une stratégie plus agressive de la part de l'Etat pourrait permettre de faire le relais entre la situation présente et le possible retour en force de l'investissement privé.

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La solidité de la Russie
Le troisième facteur qui limite aujourd'hui le mouvement de développement d'une substitution aux importations apparaît dans les coûts salariaux. Compte tenu de la pénurie relative de travailleurs qualifiés, du moins dans certains domaines, cette hausse des coûts salariaux obère les capacités des entreprises à réaliser des profits leur permettant d'investir. Une solution pourrait être trouvée dans les gains de productivité. Mais, ces gains ont déjà été importants ces dernières années. La question de la profitabilité des entreprises apparaît donc comme critique au succès durable d'une stratégie de substitution aux importations. Elle devrait inciter le gouvernement à accepter un niveau du taux de change nominal qui corresponde à une dépréciation forte du taux de change réel (taux de change/différence des taux d'inflation).

Quel bilan?

Globalement, l'orientation générale de l'économie russe vers la reconquête de son marché intérieur est indéniable. On peut dire que les sanctions ont offert à la Russie une possibilité exemplaire de réorienter son économie sur la production manufacturière et sur l'innovation. L'engagement du gouvernement russe dans cette stratégie a aussi d'autres avantages qu'économiques. Cela lui ouvre aussi la possibilité de renouer le dialogue avec une partie des jeunes scientifiques, en offrant à ces derniers des perspectives crédibles de matérialisation de leurs projets. Mais cette restructuration implique aussi une sérieuse réforme du système, qu'il s'agisse de la mise e place des institution garantissant la pérennité de droits de propriété sur l'innovation et ses produits ou des institutions spécialisées dans le financement des entreprises. Il faudra à cet égard que la politique du gouvernement fasse preuve d'une continuité dans l'action. 

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