L'Europe malade de l'euro

© REUTERS / Tony GentileA one Euro coin is seen in this file photo illustration taken in Rome, Italy July 9, 2015
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La crise grecque est désormais une crise de l'Union européenne. Quelle que soit son issue, les fondements mêmes de l'UE sont aujourd'hui durablement ébranlés.

La prolongation de la réunion de l'Eurogroupe, qui était censée se terminer samedi 11 juillet et qui a été étendue au dimanche 12, suivie de l'annulation du sommet européen des chefs d'Etats et de gouvernements, sont des signes évidents de l'ampleur et de la profondeur de cette crise.

Elle n'aura probablement pas de vainqueur, à moins que l'on en passe par les conditions exorbitantes posées par l'Allemagne, mais les vaincus seront nombreux. Et au premier plan de ces vaincus, il faudra compter les fanatiques de la construction européenne et les talibans de l'Euro.

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Car, la cause réelle, la cause évidente de cette crise ce n'est pas le problème de l'endettement de la Grèce, mais c'est le fonctionnement de la zone Euro, qui dresse les peuples les uns contre les autres et qui ranime les pires des souvenirs de l'histoire européenne, ceux d'août 1914 et ceux de septembre 1939. Si l'Union européenne et l'Europe sont deux choses différentes, aujourd'hui, ce qui se joue à Bruxelles n'est plus seulement la Grèce ou l'Euro, c'est l'avenir de l'Europe et l'existence même de l'Union européenne.

La responsabilité de l'euro

Il est désormais évident pour l'ensemble des observateurs que la cause profonde de cette crise est à chercher dans le fonctionnement de la zone euro. On l'a déjà écrit à de multiples reprises dans ce carnet. Le projet de création d'une monnaie unique, sans assurer dans le même temps les conditions tant économiques qu'institutionnelles de la viabilité de cette monnaie, ne pouvait qu'entraîner un désastre. Il fallait se résoudre à une « union de transfert ». On ne l'a jamais fait. Si dans des pays fédéraux comme l'Inde, l'Allemagne ou les Etats-Unis une même monnaie fonctionne en dépit des divergences parfois extrêmes qui existent entre les territoires composant ces pays c'est avant tout parce qu'existent des flux de transfert importants qui sont assurés par les impôts fédéraux. Ceci n'a pu être mis en place au sein de la zone Euro, en raison de l'opposition de nombreux pays mais, par-dessus tout, en raison de l'opposition totale de l'Allemagne.

Beaucoup de ceux qui écrivent en faveur de l'Euro se lamentent alors sur ce qu'ils appellent « l'égoïsme allemand » (1). Ils ne prennent jamais la peine de chercher à mesurer ce que coûterait à l'Allemagne le financement de ces flux de transfert. Le calcul en a été présenté en novembre 2012 (2). Il se montait alors autour de 260 milliards d'euros par an, sur une période de dix ans, et ce uniquement pour aider les 4 pays du « Sud » de la zone que sont l'Espagne, l'Italie, le Portugal et la Grèce. Sur cette somme, on peut penser qu'environ 85% à 90% serait fournis par l'Allemagne. On aboutit alors à un prélèvement sur la richesse produite en Allemagne compris entre 8% et 9% du PIB. Une autre source estimait même ce prélèvement à 12% (3). Il est clair qu'imposer un tel prélèvement à l'Allemagne détruirait son économie. La question donc n'est pas que l'Allemagne ne veuille pas (ce qui est un autre problème) mais avant tout qu'elle ne peut pas supporter de tels prélèvements.

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Confrontés à l'impossibilité de mettre en place une union de transfert, les gouvernements de la zone Euro ont cru trouver leur salut dans une combinaison de cures d'austérité dont les effets récessifs ont fragilisé les économies européennes, et de politique monétaire relativement expansionniste, telle qu'elle a été menée par la Banque Centrale Européenne. Mais cette politique monétaire, si elle a permis de faire baisser les taux d'intérêts, n'a pas résolu le problème. C'est comme de vouloir soigner une pneumonie avec de l'aspirine. L'aspirine, assurément, produit un effet bénéfique en permettant à la fièvre de baisser, ce que fit la politique de la BCE à partir de septembre 2012 en pesant à la baisse sur les taux d'intérêts; mais elle ne soigne pas.

Dès lors, l'Euro a entraîné les économies des pays membres de la zone dans une logique de divergence de plus en plus forte. Cette logique a conduit à des plans d'austérité de plus en plus violents, qui exaspèrent les populations et qui dressent celles des pays ayant moins de problèmes contre celles des pays souffrant le plus. Loin d'être un facteur d'unité et de solidarité, l'Euro entraîne le déchaînement des égoïsmes des uns et des autres et la montée des tensions politiques au sein de l'Union européenne. L'Euro, de par son existence même, est bien la source de la crise dont les péripéties bruxelloises de cette fin-de-semaine sont l'illustration.

La responsabilité des politiques

Si la responsabilité première de cette crise incombe à l'Euro et au système institutionnel que l'on a construit pour le faire perdurer, cela ne vaut pas non-lieu pour le personnel politique. Au contraire, leur comportement a tendu à exacerber cette crise en provoquant une perte massive de confiance des peuples de l'Union européenne dans cette dite union.

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Il est de bon ton de se déchaîner à présent contre Mme Merkel et M. Schäuble. Leur responsabilité est immédiatement engagée. Le plan présenté par M. Schäuble samedi 11 juin, et qui prévoit soit l'expulsion de la Grèce soit la mise en gage d'une partie du patrimoine industriel de ce pays, est parfaitement scandaleux. Ces deux dirigeants se comportent comme des petites frappes cherchant à terroriser le quartier. Mais, il faut ici dire qu'ils ne sont sans doute pas les pires. De plus, il faut reconnaître à M. Schäuble une certaine cohérence dans sa position. De fait, il admet que l'on pourrait aller mieux hors de l'Euro que dedans. C'est un aveu capital. Il ébranle tout l'édifice de la monnaie unique.

Parmi ceux dont les responsabilités sont certainement plus importantes il faut citer le président de l'Eurogroupe, M. Dijsselbloem. Ce triste personnage a ainsi exercé des menaces et un véritable chantage sur le ministre grec des Finances, M. Yanis Varoufakis. Ce dernier l'a décrit de manière très explicite (4). Il montre que ces détestables pratiques ne sont pas le produit de la crise (ce qui sans les justifier le moins du moins du monde pourrait les expliquer) mais ont commencé dès les premières réunions datant du mois de février 2015. Ces pratiques, ainsi que celles de M. Jean-Claude Juncker, le Président de la Commission européenne, témoignent d'un esprit profondément anti-démocratique qui règne dans les instances de l'Union européenne. Les pratiques de ces dirigeants, et avant eux de personnes comme M. Barroso, ont largement contribué à la perte de crédibilité des peuples dans ces institutions. En novembre 2012, un sondage réalisé sur l'ensemble des pays européens montrait que le pourcentage de personnes disant ne pas faire confiance dans l'Union européenne était de 42% en Pologne, de 53% en Italie, de 56% en France, de 59% en Allemagne et de 72% en Espagne (5).

Mais, les bons apôtres de la construction européenne, comme M. François Hollande, ne peuvent — eux non plus — espérer sortir indemne de cette crise. Leur responsabilité est en réalité tout autant engagée que celle des autres politiciens. Si M. Hollande avait été fidèle à ses engagements de la campane présidentielle du printemps 2012, il aurait affronté immédiatement et directement la chancelière allemande. Au lieu de cela, il a accepté d'entrer dans la logique austéritaire qu'elle proposait et il a cédé, en tout ou partie, à ce qu'elle exigeait. Il est alors logique que Mme Merkel se soit sentie confortée dans ses choix et les ait poussés jusqu'au bout de leur absurde et funeste logique concernant la Grèce. M. Hollande cherche depuis quelques jours à faire entendre une musique différente. Mais, il n'est que trop visible que l'homme est déjà en campagne pour sa réélection. Sur le fond, il est un bon représentant de ces fanatiques de la construction européenne, de ces « eurobéats », dont l'attitude va aboutir à faire éclater l'Union européenne.

Il faut agir

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Au point où nous sommes dans cette crise, il importe de prendre ses responsabilités. Ce qui est en jeu n'est pas seulement le sort de 11 millions de personnes, ce qui est déjà beaucoup. C'est en réalité le sort des 510 millions d'habitants de l'Union européenne qui est aujourd'hui jeté dans la balance. Derrière le sort de la Grèce, que l'on laisse seule, sans aucune mesure de solidarité, pour gérer un flux de réfugiés de 1000 personnes/jour, c'est la réalité de l'Union européenne qui est en jeu.

Il faut aujourd'hui admettre que l'Euro n'est pas viable dans le cadre actuel, et que changer de cadre, passer au « fédéralisme » comme l'invoquent certains, est impossible. Dès lors, on doit en tirer les conséquences et procéder à un démontage coordonné de la zone Euro. Réfléchissons-y bien. Ce démontage, s'il est réalisé de manière coordonnée, restera un acte d'union, une démarche européenne. Il n'y a aucune honte à reconnaître que les conditions nécessaires n'ayant pas été remplies, la monnaie unique ne peut être viable. Il n'y a aucune honte à cela, sauf à faire de l'euro un fétiche, une nouvelle idole, une religion. Et c'est bien ce qui est inquiétant. Pour de nombreux dirigeants dans les pays de l'Union européenne, et en particulier pour les dirigeants français qu'il s'agisse de François Hollande, de Pierre Moscovici ou d'Alain Juppé et de Nicolas Sarkozy, l'Euro n'est pas un instrument. C'est une religion, avec ses grands prêtres, ses excommunications son inquisition et ses bûchers. Car, l'alternative à cela, c'est le « Grexit », soit en réalité l'expulsion de la Grèce hors de la zone Euro, acte inouï de violence, mais dont tout le monde comprendra qu'il n'est que le début d'un processus. Une fois la Grèce mise dehors, les regards se porteront sur le prochain, puis sur le suivant. On aboutira alors à une lente implosion de la zone Euro, dans un vacarme de récriminations et d'accusations réciproques, dont l'Eurogroupe du samedi 11 aura été une timide annonciation. L'Union européenne, il faut le savoir, ne résistera pas à cela. Elle pourrait certainement résister au démontage coordonné, sous le contrôle du Conseil européen, et avec la participation des institutions européennes. Mais, il en ira tout autrement si on s'abandonne à la facilité et si l'on laisse la zone Euro se déliter à la suite d'une expulsion de la Grèce.

Aujourd'hui, le temps presse. Les dirigeants de l'Union européenne peuvent faire le choix salvateur d'une solution coordonnée. S'ils reconnaissent que la zone Euro n'est pas viable, tout est possible. Si, par contre, ils s'enferrent, que ce soit par idéologie ou par intérêt de court terme, dans des tentatives désespérées pour tenter de faire survivre cette zone Euro, en y sacrifiant un pays, puis un second, puis un troisième, ils mettront en marche la machine infernale de l'explosion de l'Union européenne, et ils porteront devant l'Histoire la responsabilité de futures affrontements intereuropéens. L'Union européenne peut périr ou se transformer. L'important est de sauver l'esprit européen, un esprit de fraternité et de solidarité. C'est cela que menace désormais l'existence de l'Euro.

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1) Voir Michel Aglietta, Zone Euro: éclatement ou fédération, Michalon, Paris, 2012.

2) Voir Sapir J., « Le coût du fédéralisme dans la zone Euro », note publiée sur le carnet RussEurope, 10 novembre 2012

3) Patrick Artus, « La solidarité avec les autres pays de la zone euro est-elle incompatible avec la stratégie fondamentale de l'Allemagne: rester compétitive au niveau mondial? La réponse est oui », NATIXIS, Flash-Économie, n°508, 17 juillet 2012.

4) VAROUFAKIS: POURQUOI L'Allemagne REFUSE D'ALLÉGER LA DETTE DE LA GRÈCE

5) Sondage EUROBAROMETER

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