Pour un bouclier antimissile européen de Gibraltar à la Caspienne

© Photo Iraqi Ministry of DefenceСистема противоракетной обороны Панцирь-С1 в Ираке
Система противоракетной обороны Панцирь-С1 в Ираке - Sputnik Afrique
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Si un bouclier antimissile en Europe est inutile, compte tenu de l'accord iranien, il peut se concevoir avec la participation russe, face au sud. Car du Maghreb au Pakistan, la menace balistique augmente, pour tous les Européens. L'Analyse de Philippe Migault.

Ces derniers, qu'ils soient Français, Italiens, Grecs ou Russes…ont un ennemi commun, l'Islam radical sunnite. Celui-ci se manifeste pour l'heure par un catalogue de modes d'action redoutables, terrorisme, guérilla, offensives militaires classiques, suivant le cadre géographique où il s'exprime. Pourtant, pour aussi spectaculaires et écœurants soient-ils, les massacres commis jusqu'ici ne sont sans doute qu'un avant-goût de ce que l'Etat Islamique ou les autres groupes wahhabites nous réservent. Chacun a pu le vérifier à l'occasion de l'attaque au missile revendiquée par Daesh contre une vedette de l'armée égyptienne croisant au large de la péninsule du Sinaï: les terroristes salafistes disposent d'engins relativement sophistiqués et savent les mettre en œuvre avec précision. Ils ne s'arrêteront sans doute pas là. Dans la logique eschatologique qui est la leur, du combat final entre les impies et leur mouvance, ils chercheront sans nul doute à se doter d'armes de destruction massive, qu'elles soient radiologiques, bactériologiques et chimiques. Ces dernières, rappelons-le, ont déjà été employées par les rebelles dans les faubourgs de Damas…

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Les missiles balistiques, dans ce cadre, constituent bien évidemment un vecteur dont l'Etat islamique et les autres factions fondamentalistes désirent ardemment disposer. Ultime instrument de terreur, le missile porteur d'une tête chimique ou simplement explosive, permettrait aux fous d'Allah de démontrer leur puissance, leur capacité de nuisance, donc de recruter davantage.

Certes le scenario catastrophe d'un missile à portée intermédiaire, atteignant depuis la Syrie ou le Maghreb les rives sud de l'Europe, Marseille ou Sotchi, ne semble pas envisageable à court terme compte tenu des renseignements dont nous disposons sur les mouvements terroristes concernés. Mais on ne peut l'écarter à moyen terme.

D'une part, parce qu'il existe un certain nombre d'Etats proliférant en mesure d'aider les radicaux islamistes à se doter d'armes balistiques simples. Les services secrets pakistanais, qui se sont rendus coupables de complicité avec Al-Qaïda et les Talibans, pourraient apporter une assistance technique aux terroristes qu'ils soutiennent depuis des décennies, du Cachemire au Piandj. Fournir quelques missiles SCUD-C ou D, ou des armes plus sophistiquées, et les techniciens capables de les mettre en œuvre ne leur est guère difficile. D'autant qu'ils peuvent compter, en Afghanistan, Syrie, Irak, Libye, sur des terroristes connaissant le maniement de ce type d'armes pour les avoir utilisé au sein des troupes de Mohammed Najibullah, Saddam Hussein ou Mouammar Kadhafi.
D'autre part, parce que l'inquiétude monte en Europe vis-à-vis de la situation au Maghreb. L'économie tunisienne semble condamnée à moyen terme à la faillite, les attentats visant des vacanciers européens à Tunis et à Sousse ayant sans doute définitivement brisé la principale activité du pays, le tourisme.

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Mais la Tunisie n'est pas seule susceptible de basculer demain dans la guerre civile et l'anarchie. L'intolérance religieuse progresse chaque jour davantage au Maroc. Quant à l'Algérie, elle est pour la France la plus grande menace potentielle. Nicolas Sarkozy, qui a les qualités de ses défauts et, notamment, une certaine aptitude à appeler un chat un chat, l'a récemment rappelé lors d'une visite à Tunis. «La Tunisie est frontalière avec l'Algérie (et) la Libye. (…) L'Algérie, qu'en sera-t-il dans l'avenir? De son développement, de sa situation?», a souligné l'ex-Président de la République française, résumant les angoisses qui se manifestent, de part et d'autre de la Méditerranée, compte tenu de la crise de régime en cours à Alger. Car la lente dégradation de l'état de santé d'Abdelaziz Bouteflika n'est pas sans évoquer celui du maréchal Tito, dont le déclin, puis l'agonie prolongée, révélait l'angoisse de la crise de succession existant au sommet de l'Etat yougoslave. L'Algérie n'a cessé depuis une quinzaine d'années d'exprimer son inimitié pour la France. Le chef de l'Etat algérien a traité les citoyens français issus du mouvement d'immigration des Harkis de « collabos ». Il a affirmé que la France s'était rendue coupable de « génocide » en Algérie et estimé que l'ancienne puissance colonisatrice avait une dette morale «ineffaçable et imprescriptible». A l'aune de telles déclarations, qui ont provoqué l'annulation d'un « traité d'amitié » en préparation, lequel aurait relevé du pieux mensonge entre Paris et Alger, on ne peut que se demander ce qui se passera si demain, Bouteflika disparu, l'Algérie connaît son « Printemps arabe » avec des conséquences similaires à celles qui ont suivi la révolution libyenne. Les futurs dirigeants de l'Algérie seront-ils mieux disposés vis-à-vis de la France que le régime actuel? Il est raisonnablement permis d'en douter. Et cela serait d'autant plus inquiétant que l'Algérie dispose d'une armée bien équipée, parfaitement en mesure de maîtriser l'usage des missiles balistiques si elle décidait d'en acquérir. Aujourd'hui, déjà, les militaires français surveillent avec attention la modernisation des capacités de l'armée de l'air algérienne. Il faut une demi-heure à un Sukhoï-24 décollant d'Alger pour se mettre à portée de tir missile de Marseille ou de Montpellier.

Que ferons-nous dans dix ans si l'Algérie, dont certains signaux laissent à penser qu'elle souhaite développer un embryon d'industrie de défense et qui, par ailleurs, renforce sans cesse ses moyens militaires, se dote d'engins de portée intermédiaire, SRBM ou MRBM? Que ferons les Italiens, les Grecs, si l'Etat islamique dispose de tels armes en Libye? Que ferons Russes et Ukrainiens si Daesh et ses alliés acquièrent la capacité de frapper la rive nord de la mer Noire? L'Arménie et la base russe de Gumri sont déjà à portée de tir SCUD depuis les zones tenues par l'Etat islamique dans le nord de la Syrie et de l'Irak…La réponse réside sans doute dans un système de défense antimissile européen déployé vers le sud.

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Dans ce cadre la France et la Russie, qui disposent de toutes les briques technologiques permettant de constituer un bouclier antimissile efficace contre une attaque de missiles « rustiques », peuvent jouer un rôle leader au sein des nations européennes. Le sommet de Lisbonne de 2010, au cours duquel l'OTAN a signifié à la Russie qu'elle ne souhaitait pas collaborer avec elle dans le cadre d'un projet de défense antimissile, a fait bien plus pour tendre les relations entre Russes et « Occidentaux » que l'actuelle crise ukrainienne. Il n'est pas trop tard pour rectifier le tir dans l'intérêt de tous.

La menace n'est pas Est-Ouest. Elle est Sud-Nord. S'il n'est pas politiquement correct de le dire, rien n'empêche d'en tirer les conséquences politiques et militaires. Cela passe par une réelle collaboration entre tous les Européens, qu'ils relèvent de l'Union européenne ou de l'Union économique eurasiatique. Illusoire? Sans doute si l'on s'en réfère aux volontés exprimées par certains « Occidentaux » de revenir à un affrontement frontal avec Moscou. Pourtant une telle coopération permettrait non seulement de dissiper la crise opposant la Russie, l'UE et l'Otan sur la question du bouclier antimissile, mais aussi de mettre fin aux inquiétudes sur la militarisation de la région de Kaliningrad.

Coopérer face à la menace terroriste et à ses probables développements balistiques c'est pour les Européens faire d'une pierre deux coups: assurer notre protection commune contre l'ennemi wahhabite et supprimer une bonne partie des griefs qui nous divisent.

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.

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