Une nouvelle leçon de diplomatie énergétique russe?

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Il y a une quinzaine d'années, divers projets très concurrents de "corridors énergétiques" existaient. Certains visaient à contourner la Russie et ses alliés et d'autres visaient au contraire à permettre à la Russie de se projeter énergétiquement au cœur de l'Europe.

L'objectif sur la très longue durée historique du pouvoir russe visait à transformer le pays en une sorte de gigantesque fournisseur énergétique pour toute l'Eurasie, c'est-à-dire pour l'Europe et l'Asie, transformant ainsi la Russie en pièce maitresse du développement du grand continent, analyse d`Alexandre Latsa.

 

Une guerre totale des tubes s'engagea alors, opposant les projets russes et américains pour sceller le destin énergétique de l'Europe.

Au nord, l'axe Paris-Berlin fut d'une redoutable efficacité, ne laissant le choix ni à Bruxelles ni à Washington pour la mise en place du Nord Stream, permettant à la Russie d'alimenter l'Europe via l'Allemagne.

Cтроительство газопровода Северный поток (Nord Stream) - Sputnik Afrique
Gaz: l'Europe trouve une alternative à l'Ukraine
Au sud, les oppositions entre les pharaoniques projets Nabucco et South Stream prirent une tournure favorable à la Russie jusqu'en 2014, où les autorités russes annoncèrent la mort du projet South Stream, ne pouvant faire face aux bâtons dans les roues posés par Washington et Bruxelles qui, en s'alignant sur la diplomatie énergétique américaine, plantait un couteau dans le dos de l'Europe qu'elle était pourtant censée représenter.

L'arrêt de South Stream se fit avec la complicité tactique d'une Allemagne qui démontra sa supériorité tactique en combinant deux visages bien opposés en apparence: celui de soutien actif à la politique de pressions voulues par Washington et qui fit échouer South Stream, mais dans le même temps de partenaire énergétique et européen principal pour la Russie.

L'Europe désunie ne put ou ne sut de nouveau faire face à l'Allemagne qui transforma l'essai lors du sommet de Saint-Pétersbourg de juin 2015 en obtenant un quasi doublement des capacités de Nord Stream, renforçant ainsi considérablement son statut de leader stratégique et énergétique européen.

Au même moment, plus au sud, c'est un tandem disjonctif qui allait être réuni par défaut autour de la stratégie énergétique de remplacement du South Stream. Ce faisant, l'Europe, qui était arrivée malgré elle à se sortir du projet South Stream, voit désormais son approvisionnement venir non plus directement de Moscou mais d'Ankara, avec laquelle elle entretient une relation politique relativement malsaine et instable.

Ce coup de maître de la diplomatie énergétique russe permet à Moscou d'ainsi arriver à ses objectifs par un biais détourné mais qui au final ne change pas grand-chose puisque les approvisionnements en gaz russe vers l'Allemagne augmenteront tandis que l'alliance improbable entre la Turquie, la Grèce, la Hongrie et les pays pauvres orthodoxes des Balkans sert des intérêts bien divers.

Gazoduc - Sputnik Afrique
Turquie: futur carrefour énergétique de l'Europe?
Pour Ankara, que l'UE a fait patienter dans la salle d'attente des potentiels membres pendant plus de 15 ans, pour la Grèce de Tsipras et la Hongrie de Orban, maltraitées par Bruxelles, ou pour la Serbie et la Macédoine qui sont les laissées pour compte de l'intégration européenne, l'alliance avec la Russie leur permet d'infliger un sérieux coup de boomerang a une Union qui navigue plus que jamais à vue.

Indépendamment de sa volonté, l'UE va donc se retrouver plus fournie en gaz russe à l'avenir, via notamment les pays qu'elle voudrait exclure de sa zone monétaire (Grèce), ceux qu'elle ne veut pas intégrer (Turquie), ceux qu'elle souhaite combattre politiquement (la Hongrie de Orban) ou bien encore ceux qu'elle a militairement agressés comme la Serbie.

Quel bien curieux retour de l'histoire. Au final la meilleure solution pour l'UE (South Stream) est remplacée par la pire solution pour l'UE (une dépendance envers Ankara) et la meilleure solution pour l'Allemagne via Nord Stream.

Dans le même temps, les grands perdants de l'infrastructure sont bien les pays de transit en tension avec la Russie (Ukraine) ou ceux qui pourraient être tentés de le devenir, comme la Biélorussie dans le cadre d'un après-Loukachenko qui serait hostile à la Russie.

Une autre question se pose: et la France dans tout ça?

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