La guerre d’Ossétie de 2008 et les événements d’Ukraine (Partie 1)

© AP Photo / George AbdaladzeGeorgian soldiers walk in the outskirts of the northern Georgian town of Gori, on Saturday, Aug. 9, 2008
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Il y a sept ans de cela éclatait la guerre d’Ossétie du Sud.

Il y a sept ans de cela éclatait la guerre d'Ossétie du Sud. Cet événement dramatique préfigurait ceux que nous avons connus en 2014 et 2015 en Ukraine et dans le Donbass. En un sens, les manœuvres, tant de la Géorgie que des Etats-Unis, en août 2008 ont préfiguré ce que nous connaissons aujourd'hui. Tant dans le degré de violence envers les populations que dans les manipulations, donnant naissance à une véritable hystérie antirusse, la guerre d'Ossétie du Sud pouvant passer pour une répétition générale des événements d'aujourd'hui.

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Le piège de l'ethno-nationalisme

Cette guerre était un événement certes prévisible, mais qui aurait pu être évité. En effet, les sécessions de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud par rapport à la Géorgie ont eu lieu dès la fin de l'Union soviétique. Elles traduisaient la volonté de populations fondamentalement étrangères à la population géorgienne de se rapprocher des populations similaires qui vivent sur le territoire de la fédération de Russie. De ce point de vue, ces sécessions témoignent de l'échec de ce qu'il faut bien appeler un ethno-nationalisme, c'est à dire un nationalisme qui se construit autour d'une représentation mythifiée d'une "pureté ethnique" de la nation, et qui opprime, ouvertement ou insidieusement, des populations considérées dès lors comme "impures" par l'idéologie officielle du gouvernement géorgien hier, et du gouvernement de Kiev aujourd'hui. Pourtant, ces mêmes populations faisaient bien auparavant partie de cette nation. De ce point de vue, cet ethno-nationalisme se révèle le fossoyeur de ces nations issues de la désintégration de l'Union soviétique car il prétend substituer une "pureté ethnique" à un pacte politique. En fait, on ne peut que constater amèrement la résurgence d'une idéologie étroitement identitaire que l'on pensait défunte depuis la défaite du nazisme en 1945.

Cet ethno-nationalisme est aujourd'hui à nouveau à l'œuvre en Ukraine, et les parentés entre cette idéologie et l'idéologie nazie se révèle chaque jour davantage, tant dans les symboles adoptés par des mouvements soutenant le gouvernement de Kiev que dans les discours qui sont tenus aujourd'hui. Cette idéologie est la principale responsable de la désintégration du pays que l'on voit se développer en Ukraine. C'est en réaction à cet ethno-nationalisme qu'il faut comprendre tant la décision de la population de Crimée de rejoindre la Russie que l'insurrection des populations russophones du Donbass. Le partage des nationalités suivant les lignes administratives fixées du temps soviétique ne pouvait survivre à la fin de l'URSS que si, dans chacun des pays successoraux de l'Union soviétique, avait pu s'imposer une conception clairement politique de la Nation.

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L'influence américaine

Mais, la guerre d'Ossétie du Sud ne fut pas seulement le produit malsain de cet ethno-nationalisme. La situation était devenue d'autant plus dangereuse que les Etats-Unis s'étaient engagés dans une logique de confrontation avec la Russie. De fait, les Etats-Unis maintenaient une forte présence tant politique qu'économique et militaire dans le Caucase. Dès la fin des années 1990, les autorités américaines ont encouragé les autorités géorgiennes à ne pas chercher de compromis (1). On ne peut, ici, qu'être frappé par la similitude avec leurs actions en Ukraine. Les administrations américaines Clinton et Bush ont délibérément encouragé des regroupements de pays tel le GUAM (2) dans une logique d'affrontement avec la Russie. L'aide américaine à la Géorgie avait pris une dimension d'aide militaire à partir de 2003, quand Washington avait cherché systématiquement des alliés à son intervention illégale en Irak. Les flux financiers issus de cette aide sont rapidement devenus importants et la Géorgie, qui est pourtant un pays fort peu peuplé, entretenait ainsi juste avant le conflit de l'été 2008 l'un des plus gros contingents non-américains en Irak. Cette aide militaire avait aussi pour fonction de crédibiliser la posture du président Saakachvili qui, dès son arrivée au pouvoir en 2004, n'avait pas fait mystère de sa volonté de récupérer, y compris par la force, l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud (3), et qui avait embouché les trompettes de l'ethno-nationalisme. La fragilité du système politique géorgien, et du président Saakachvili lui-même, ne pouvait qu'accentuer les risques. Reconnaissant la dangerosité de la situation, l'ONU avait entériné le principe d'une force de maintien de la paix, composée de soldats russes et géorgiens. L'OSCE maintenait une mission d'observation sur place. On peut ainsi parler pour cette guerre de chronique d'un désastre annoncé.

Les mensonges de Bernard Henri-Lévy et la responsabilité américaine

Bernard Henri-Lévy, à la suite de son très médiatique voyage en Géorgie, a repris la thèse que ce pays aurait déclenché les hostilités pour préempter une attaque russe et que 150 chars russes auraient déjà été présents en Ossétie du Sud (4). Cette thèse est celle du gouvernement géorgien, qui a affirmé que son action du 7 août fut une réaction à une entrée massive de l'armée russe via le tunnel de Roki (5). Notons que cela fut cependant démenti dès le 7 août par le gouvernement américain, qui signalait qu'il n'y avait aucun transfert de troupes de la Russie vers l'Ossétie du Sud (6). Les nombreuses différences entre la réalité des faits et les déclarations de Henri-Lévy ont d'ailleurs été soulignées par des enquêtes indépendantes (7). On retrouve ici les mensonges qui ont été proférés six années plus tard sur l'Ukraine. La thèse la plus largement diffusée dans la presse française fait donc porter la responsabilité du conflit à la Russie, soit directement en affirmant que ce pays se préparait à envahir la Géorgie et que les troupes géorgiennes ont donc attaqué dans un cadre assimilable à de la légitime défense, soit indirectement en induisant délibérément les autorités géorgiennes en erreur pour les pousser à commettre une attaque légitimant la riposte russe.

Mais, ce conflit n'a pas éclaté comme l'orage dans un ciel serein dans la nuit du 7 au 8 août 2008. Les manœuvres auxquelles s'est livrée l'armée géorgienne précisaient la réalité des postures. Durant la phase préparatoire aux hostilités qui court de fin juin à début août, deux exercices militaires majeurs ont pris place, en Géorgie comme en Russie. En Géorgie s'est tenu sous commandement américain l'exercice Immediate Response 2008 (IR-08) combinant des forces américaines (US Army et US Marine Corps), de la Géorgie, de l'Azerbaïdjan, de l'Arménie et de l'Ukraine. Cet exercice s'est déroulé du 15 au 25 juillet. À la fin de l'exercice, le nombre de militaires américains (appartenant au US Marine Corps) présents au sein des troupes géorgiennes en tant qu'instructeurs étaient de 117 (8).

L'exercice IR-2008 a pris une tournure politique particulière à la suite du sommet de l'OTAN de Bucarest d'avril 2008. La Géorgie avait à cette occasion cherché à faire valider le principe de son adhésion à l'OTAN. La question était pendante depuis que, à la fin octobre 2004, le Conseil de l'Atlantique Nord avait approuvé le programme Individual Partnership Action Plan qui ouvrait la possibilité d'une accession de la Géorgie au Membership Action Plan (ou MAP), programme qui constitue la phase préparatoire à une adhésion. Mais, durant le sommet de Bucarest, plusieurs pays de l'OTAN dont la France, l'Allemagne et l'Italie, s'étaient opposés à ce que la Géorgie puisse bénéficier du MAP. La déclaration finale du sommet a constitué de ce point de vue un exemple remarquable d'hypocrisie diplomatique puisque si la Géorgie (et l'Ukraine) étaient exclues du bénéfice du MAP, le président George W. Bush pouvait affirmer sans être démenti que ces deux pays "avaient vocation à entrer dans l'OTAN". Des formules analogues sont désormais utilisées aujourd'hui à propos de l'Ukraine, comme il convient de le remarquer. Dans ce contexte, l'exercice Immediate Response 2008 avec l'engagement des forces américaines en Géorgie qu'il impliquait ne pouvait pas ne pas passer au yeux des autorités géorgiennes comme un engagement moral des Etats-Unis, voire de l'OTAN, à les soutenir. Les Etats-Unis auraient dû dissiper toutes les illusions géorgiennes quant au degré de leur soutien à une possible initiative militaire à la suite de l'exercice IR-2008, mais ils ne l'ont pas fait. Pour avoir laissé subsister assez de zones d'ombre, les Etats-Unis portent une responsabilité directe dans la mise en place d'une désastreuse séquence de décisions du côté géorgien.

L'attitude de la Russie et la responsabilité du gouvernement géorgien

Cela contraste avec l'attitude qui fut celle de la Russie. Le renforcement des troupes russes déployées sous mandat ONU en Ossétie du Sud à la veille de l'attaque géorgienne a été limité (environ 350 hommes). Les affirmations de Bernard Henri-Lévy sur les "150 chars russes" ayant traversé le tunnel de Roki le 6 ou le 7 août, ont été par ailleurs démenties par l'OSCE et les Etats-Unis. De plus, elles sont incohérentes avec le reste des événements. Le déroulement des opérations militaires par la suite est contradictoire avec la thèse géorgienne. Si l'Armée Russe avait été déployée en nombre et posture justifiant une attaque préemptive, les combats du 8 auraient été bien plus violents. La réalité qu'il faut bien constater est que les autorités géorgiennes ont eu recours à un subterfuge grossier pour camoufler leur responsabilité dans le déclenchement du conflit et ses conséquences ultérieures. Il est ici significatif que la Secrétaire d'Etat Américaine Mme Condoleeza Rice devait par la suite admettre publiquement que c'était les forces géorgiennes qui avaient lancé le 7 août une opération militaire "majeure" sur Tskhinvali et les autres régions de l'Ossétie du Sud.(9)

Les faits sont ici très clairs. À 11h40 le 7 août, soit environ 30 minutes après que le président géorgien ait fait informer le général russe en charge des forces du maintien de la paix qu'il entendait user de la force pour "instaurer l'ordre constitutionnel" à Tskhinval, une grenade tuait 2 soldats russes dans un des postes d'observation (10). Dans la nuit du 7 août, dès le début du bombardement systématique de Tskhinval et des environs (les premiers tirs sont enregistrés vers 23h30 et les forces russes de maintien de la paix seront prises à partie dès 23h40), une des casernes abritant les soldats russes de la Force de maintien de la paix est délibérément prise pour cible par l'artillerie géorgienne. Ce tir provoquera 10 morts du côté russe, portant ainsi à 13 le nombre de victimes dues aux tirs géorgiens si on inclut un autre soldat tué dans la nuit. Ce tir était délibérément provocateur et ne pouvait que conduire à une réaction russe. Les autorités géorgiennes ne pouvaient l'ignorer.

La violence de l'attaque initiale était, elle aussi, volontairement provocatrice vis-à-vis de la Russie, comme le montrent les dommages subis par la population civile dans l'agglomération de Tskhinval. Les photographies satellitaires permettent d'évaluer les dégâts. Il semble bien que des villages au Nord-Est de Tskhinvali, et dont la population était géorgienne ou mixte osséto-géorgienne, furent aussi touchés à ce moment.

La guerre de Saakachvili

Tout ceci confirme la thèse d'une attaque délibérée de la part des forces géorgiennes, et qui plus est d'une attaque ciblant délibérément les civils en cherchant à provoquer le plus de morts possibles. La responsabilité du gouvernement géorgien de M. Saakachvili était donc directement engagée. On ne peut que souligner ici la parenté entre l'action du gouvernement géorgien et celle du gouvernement de Kiev, quand ce dernier déclencha l'opération "antiterroriste" contres les populations d'Ukraine orientale. Le président Saakashvili avait cherché à construire sa légitimité depuis sa prise du pouvoir lors de la "Révolution des Roses" de 2004 sur sa capacité à restaurer l'unité nationale. Mais, sa dernière élection avait été fortement contestée en raison d'irrégularités évidentes, ce qui avait d'ailleurs provoqué de violentes manifestations de la part des partis d'opposition.

L'ancien ministre de la Défense de Géorgie Irakli Okrouachvili, qui fut en poste de 2004 à 2006 et qui s'est enfui de son pays à la suite d'un conflit avec le président Saakachvili, a révélé publiquement qu'un plan de reconquête militaire de l'Ossétie du Sud et de l'Abkhazie avait été préparé en 2005 par les autorités géorgiennes (11). La date de rédaction de ce plan correspond à la montée en puissance de l'aide américaine. On peut penser que Saakachvili a donc décide de se lancer dans une surenchère sur la question de l'Ossétie du Sud pour ne pas perdre la face et son pouvoir. Ceci expliquerait le discours extrêmement agressif du président Saakachvili du 7 août. Mais de nombreuses erreurs stratégiques furent commises par les Géorgiens (12). Les troupes russes se révélèrent plus réactives que ce que les Géorgiens avaient prévu, et l'avance dans Tskhinval fut, elle aussi, bien plus longue que prévue. De plus le tunnel de Roki et la route de Java ne furent pas bloqués. Il en résulta alors que les troupes géorgiennes furent prises la main dans le sac".

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.


(1)  S. Milne, « This is a tale of US expansion not Russian aggression », The Guardian, 14 Août 2008, http://www.guardian.co.uk/commentisfree/2008/aug/14/russia.georgia

(2) Pour Géorgie-Ukraine-Azerbaidjan-Moldavie.
(3) L'ancien Ministre de la défense géorgien en 2004-2006, Irakli Okrouachvili a indiqué qu'un plan de reconquête militaire de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud existait ainsi dès 2005. Voir Nouvelobs.com, « Le président Saakachvili préparait son offensive dès 2005 », 15 septembre 2009, http://tempsreel.nouvelobs.com/actualites/international/europe/20080914.OBS1245/le_president_saakachvili_preparait_son_offensive_des_20.html

(4) Bernard Henri-Lévy, « Choses vues dans la Géorgie en guerre », in Le Monde, 19 août 2008, http://www.lemonde.fr/europe/article/2008/08/19/choses-vues-dans-la-georgie-en-guerre-par-bernard-henri-levy_1085547_3214.html
(5) http://embassy.mfa.gov.ge/index.php?lang_id=ENG&sec_id=461&info. Voir aussi la déclaration du Président Saakashvili dans le Financial Times, « Russia deployed tanks before Georgia attacked », http://www.ft.com/cms/s/O/25ec7414-723c-11dda44a-0000779fdl8c.html
(6) AFP, 7 août 2008, http://afp.google.com/article/ALeqM5gi_jyRnqBYekXz2MyszBj6k_ZMtw
(7) Voir en particulier celle qui a été faite sur le site Rue89: http://www.rue89.com/2008/08/22/bhl-na-pas-vu-toutes-ses-choses-vues-en-georgie

(8) Ou 123 pour d'autres sources. Ce chiffre n'inclut pas des civils de nationalité étatsunienne travaillant dans des sociétés de sécurité sous contrat des autorités américaines pour l'entraînement des troupes géorgiennes.
(9) Mme Rice, qui attribue la décision géorgienne à une réponse à des violations du cessez-le-feu, a reconnu l'attaque géorgienne dans une déclaration faite le 18 septembre 2008 et que l'on peut consulter sur le site du Département d'État. Voir: Secretary Rice Addresses U.S.-Russia Relations At The German

Marshall Fund, http://www.state.gov/secretary/rm/2008/09/109954.htm
(10) Voir l'article de la rédaction de Der Spiegel du 25 août 2008 qui confirme cette information,
« The Chronicle of a Caucasian Tragedy, Part 3: a disastrous décision », consultable sur http://www.spiegel.de/international/world/0,1518,574812-3,00.html
(11) Dépèche Reuters via Le Nouvel Observateur, « Le Président Saakashvili préparait son offensive dès 2005 », 15 septembre 2008, 16h11. Okrouachvili a obtenu en 2007 le statut de réfugié politique en France. http://tempsreel.nouvelobs.com/actualites/international/europe/20080914.OBS1245/le_president_saakachvili_preparait_son_offensive_des_20.html
(12) Richard Giragossian, "Georgian planning flaws led to campaign failure", JDW, 15 août 2008.

 

 

 

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