Crise de Calais: le désespoir continue

© AFP 2023 PHILIPPE HUGUEN Camp de migrants "jungle", Nov. 25, 2015, Calais, France.
Camp de migrants jungle, Nov. 25, 2015, Calais, France. - Sputnik Afrique
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Triste constat pour la ville de Calais, l’attention de la société est désormais tournée ailleurs. Après une médiatisation intense de la crise migratoire pendant quelques mois, les Français semblent avoir l’impression que même si la crise n’a pas encore été réglée, les autorités ont bien des raisons de se féliciter.

On pense notamment au "zéro passage" par le tunnel sous la Manche assuré par les ministères de l'Intérieur français et britannique. Bernard Cazeneuve déclare que la coopération entre les deux pays se passe bien, et David Scully, directeur de la police aux frontières française, assure que le passage est devenu quasi impossible.

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Ceux qui étaient préoccupés par l'urgence humanitaire sont quant à eux rassurés par Manuel Valls qui annonce la création d'un camp de 1.500 places.

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Un développement très dynamique. Et pourtant, à Calais, les habitants ont l'impression que tout cela se passe ailleurs. On est très loin pour l'instant de sentir l'effet des changements. "Les Calaisiens en colère" est une des rares associations "anti-migration" acceptées par les fonctionnaires. Puisque le sujet de la migration est extrêmement délicat, ils se déclarent avant tout antiracistes et apolitiques pour ne pas être associés aux groupes proches de l'extrême-droite ou ouvertement nationalistes comme "Calais action".

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Ses membres insistent sur la dégradation considérable de la situation après les attentats:

"Depuis trois-quatre jours c'est tous les jours. Il y a des riverains qui ont été agressés le 10 [novembre]. Ils ont enlevé toutes les clôtures, ils ont tout cassé, donc les gens vivent dans l'insécurité totale" raconte Sandrine, la créatrice de la page du groupe. Son collègue Laurent, administrateur du collectif, ajoute: "Il y a des routiers qui ont eu leurs parebrises explosés avec des troncs d'arbres de la rocade, des véhicules automobiles aussi qui prennent des pierres dans les parebrises. C'est vrai que là on a passé un cap. On est entré dans une zone de guérilla".

Ce que l'on reproche souvent aux associations anti-migrants c'est la propagation de fausses infos, notamment sur les délits qui auraient été commis par les migrants.

Il devrait donc être facile de démentir ces rumeurs en présentant de vraies statistiques. Pourtant, selon Philippe Mignonet, l'adjoint au maire de Calais pour la sécurité, cette solution, logique en apparence, n'est pas si facile à mettre en œuvre:

"Il n'y a pas de statistiques fiables. Je dirais même qu'il n'y a pas de statistiques du tout. Pourquoi? Parce que dans la mesure où les personnes se trouvant à Calais ne sont pas identifiées, ne sont pas contrôlées, ne sont pas dénombrées, on ne sait donc pas combien ils sont et on ne sait pas combien réussissent à passer en Grande-Bretagne. Et on ne sait pas combien de nouveaux arrivent chaque jour, car tous les jours il y a des nouveaux qui arrivent".

Avec plusieurs dizaines de migrants qui viennent chaque jour sans être contrôlés ou au moins dénombrés, la Jungle devient un univers à part.

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Grâce à ses épiceries, magasins, cafés et théâtres, La Jungle semblerait une ville comme les autres, mais il ne faut pas oublier que ses habitants n'ont pas les mêmes privilèges que les Français. Ils n'ont surtout pas le droit de travailler, et leurs conditions de vie sont peu compatibles avec la dignité humaine. Une partie importante habite dans des tentes, d'autres ont construit des cabanes en bois qui n'ont toujours ni chauffage ni eau chaude.

Je demande à un migrant afghan comment se passe la vie dans la Jungle.

"La vie? Ce n'est pas une vie, dans la Jungle"

Et les violences à l'intérieur de la jungle sont encore plus banalisées que ce que peuvent témoigner les riverains.

Pourquoi ça dégénère? Christian de l'association "L'auberge des migrants" pointe du doigt une camionnette de police qui est garée à quelques mètres du camp:

"Regardez: le problème, il est là. S'ils [la police] commencent à voir qu'il y a un groupe qui se forme, qui a envie de s'infiltrer derrière les grillages, comme ils ne sont pas nombreux et qu'ils ont un groupe en face d'eux, la seule solution est de lancer des grenades lacrymogènes. Donc, on se retrouve sous les grenades et du coup il y a des migrants qui ne sont pas contents et qui lancent des cailloux".

Une autre découverte surprenante: plus de la moitié des volontaires de la Jungle sont des britanniques. Et contrairement à ce que dit Bernard Cazeneuve, ils sont plus que sceptiques sur le succès de la coopération entre nos deux gouvernements, comme l'explique Tom, volontaire de Help Calais:

"C'est largement de la faute du gouvernement britannique qui était sans pitié. Et ils devraient collaborer plus qu'ils ne font. Alors, nous avons senti qu'on pouvait le faire nous-mêmes.

Je crois qu'un bon nombre d'Anglais ont eu honte, en particulier dans le Sud du pays, car Calais est si près. On sentait la proximité avec cette région parce qu'on passe souvent par là-bas. Nous avions juste le sentiment qu'il fallait faire quelque chose, faire preuve de solidarité avec les organisations françaises qui galéraient. Quand le camp a commencé à grandir, il est devenu évident qu'il était impossible de tenir sans aide. Et puis je crois que c'est les médias qui ont commencé à montrer des images… et les gens étaient choqués, alors ils sont venu très nombreux".

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Philippe Mignonet, quant à lui, considère que c'est la position britannique qui est pour beaucoup dans l'empêchement de résolution de la crise calaisienne.

"Le gouvernement britannique est très hypocrite. A mon sens, il l'est. Je suis très critique des Britanniques, étant à moitié britannique je peux me le permettre. Dire 'Nous ne voulons pas d'immigration, nous mettons notre frontière en France', les accords du Touquet qui étaient valables au moment où ils ont été signés, mais qui ne sont plus valables aujourd'hui. (…)

Les Britanniques disent "nous ne voulons pas d'immigration", et parallèlement, lorsque les clandestins arrivent sur leur territoire, ne sont pas identifiés parce qu'il n'existe pas de pièce d'identité en Grande Bretagne. Un résident britannique qui ne quitte jamais son pays n'a pas besoin d'une pièce d'identité. La seule pièce d'identité est le passeport. Ensuite, on travaille sur le marché du travail dissimulé comme on veut, sans jamais aucun contrôle, malgré ce qu'ils peuvent dire — sans jamais aucun contrôle. Et donc, il est très hypocrite de dire: "Nous mettons les moyens pour lutter, mais parallèlement nous les accueillons". Un de nos confrères britanniques me disait: "On ne peut quand-même pas critiquer le gouvernement britannique pour avoir créé 2 millions d'emplois". C'est bien… mais quel type d'emploi? Donc, c'est totalement hypocrite!"

Aucun changement à Calais. Comme un mal qui se serait propagé, tout le monde y semble malheureux et abandonné: les migrants eux-mêmes, les Français et mêmes les Britanniques. Si la Jungle ne devient pas la priorité, c'est en bombe à retardement qu'elle mutera.

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.

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