Turquie et pétrole de l’EI: pourquoi Erdogan a eu tort d’exiger des preuves

© AP Photo / Petros KaradjiasTurkish President Recep Tayyip Erdogan
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Le président turc se dit prêt à démissionner si l'achat par Ankara de pétrole à Daech est prouvé. RT publie des faits témoignant que M. Erdogan ne devait pas être si imprudent dans ses propos.

Recep Tayyip Erdogan s'est déclaré prêt à démissionner si l'achat par Ankara de pétrole au groupe terroriste Daech était prouvé. "Il est inadmissible d'accuser la Turquie d'acheter du pétrole à l'EI, il est amoral d'en parler. On ne pourra pas soulever de tels thèmes sans en montrer des preuves. S'ils possèdent des documents ad hoc, qu'ils les montrent. Si ce fait est prouvé, je ne resterai pas dans ce fauteuil", a affirmé le leader turc en marge du sommet sur le climat à Paris.

Ce n'est pas la première déclaration contestable d'Erdogan, dont les activités en Syrie ont été qualifiées par Vladimir Poutine comme un "coup dans le dos" des complices des terroristes. Certains faits recueillis par RT montrent qu'Ankara ne devrait pas affirmer trop vite que la Turquie n'a rien à voir avec les livraisons de pétrole par les terroristes.

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Primo, lors du récent sommet du G20 à Antalya, la Russie a montré aux leaders mondiaux l'envergure du trafic de pétrole réalisé par les terroristes de Daech. Les véhicules transportant du pétrole "forment une chaîne qui atteint l'horizon", selon Vladimir Poutine.
"Cela rappelle un oléoduc vivant. Et nous voyons depuis le ciel où se dirigent ces véhicules. Ils vont vers la Turquie, jour et nuit", a-t-il dit.

Enquête du Guardian

Secundo, les propos de Poutine ont poussé un journaliste du Guardian à mener sa propre enquête. Il a établi que même les partisans du régime d'Erdogan étaient capables de déceler les liens entre les autorités turques et Daech.

Ainsi, la présence des djihadistes est devenue évidente depuis 2012. Lorsqu'ils ont commencé leur progression vers la Syrie, ils ne songeaient même pas à se cacher et se rassemblaient régulièrement dans des hôtels et cafés turcs, note le journaliste. Les diplomates européens ont donc conclu que les autorités turques sympathisaient avec les islamistes radicaux se rendant en Syrie pour y combattre Bachar el-Assad.

Les hommes d'affaires turcs, selon le Guardian, ont conclu des contrats juteux avec les extrémistes de Daech pratiquant la contrebande de pétrole, en versant au moins 10 millions de dollars par semaine dans le "trésor" des terroristes. Les autorités turques préféraient ne pas s'immiscer dans ces affaires, a appris le journal auprès de membres haut placés de Daech.

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En outre, des disques durs découverts récemment dans la cache du terroriste éliminé Abu Sayyaf, "l'émir du pétrole", contenaient des informations sur des liens entre les représentants de haut rang de Daech et certains fonctionnaires turcs.

Attaque turque contre le Su-24 russe

Le bombardier russe Su-24 a été abattu quelques jours après le début des frappes russes contre les convois de pétrole de contrebande transporté de Syrie vers d'autres pays dont la Turquie, a rappelé Anna Glazova, experte russe de l'Asie et du Proche-Orient.

"On peut affirmer avec certitude que de tels volumes de pétrole ne pouvaient pas passer inaperçus aux yeux des dirigeants turcs. Les leaders turcs participaient donc à ce business, d'une façon ou d'une autre", a-t-elle dit.

La Turquie a commencé à exprimer son extrême mécontentement immédiatement après le début des frappes russes contre les convois terroristes transportant du pétrole, a souligné le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov. "Le fait que nos voisins turcs se sont tout de suite comportés de façon très très nerveuse, pour ne pas dire plus, n'est sans doute pas une simple coïncidence", a souligné M. Lavrov.

Opposition turque

Le vice-président du Parti de la démocratie des peuples Idris Baluken (opposition) a déclaré que l'attaque des forces aériennes turques contre l'avion russe avait été planifiée d'avance. La démarche pourrait être expliquée par la volonté d'Erdogan de s'ingérer dans l'opération russe contre les terroristes ne Syrie.

"L'EI gagnait 800 millions de dollars par an grâce aux exportations de pétrole et les dépensait pour acheter des armes. Le pétrole devenait ainsi un moyen de financer le terrorisme", a pour sa part affirmé Mehmet Ali Ediboglu, membre du parti.

Arrestation de journalistes et militaires en Turquie

Le rédacteur en chef du journal turc Cumhuriyet Can Dündar et son collaborateur Erdem Gül ont été arrêtés pour avoir révélé les livraisons d'armes à Daech réalisées par les autorités turques. L'enquête à l'égard des journalistes a été initiée sur ordre d'Erdogan.
En mai 2015, Cumhuriyet avait diffusé des photos représentant des camions turcs transportant des armes destinées aux islamistes syriens. En outre, une vidéo mise en ligne montrait, selon les journalistes, les armes fournies par les autorités turques aux terroristes dans les pays voisins. Cependant, la version complète de la vidéo en question n'est plus disponible. Les autorités locales ont dû la bloquer ou la supprimer.

Les dirigeants turcs ont d'abord nié ces accusations, en affirmant que les camions transportaient de l'aide humanitaire, mais plus tard, certains fonctionnaires ont déclaré que les armes transportées étaient destinées aux détachements turkmènes combattant dans le nord de la Syrie. Erdogan a soutenu cette version. Selon lui, quel que fût le contenu des véhicules, ils ont été envoyés au nom de la protection des intérêts de la Turquie dans la région.

Mais plus tard, trois miliaires de haut rang ayant saisi des camions transportant des armes en janvier 2014 ont été traduits en justice. Des caisses marquées "Fragile" contenaient des munitions dissimulées sous des médicaments. Les camions appartenaient aux services secrets turcs. Les militaires qui les ont découverts ont été accusés d'avoir formé un groupe terroriste et d'espionnage.

Histoire de famille

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La diplomatie syrienne a conseillé à Washington de vérifier les informations selon lesquelles Bilal, fils d'Erdogan, est impliqué dans la contrebande de pétrole effectuée par Daech. Selon eux, l'incident avec le Su-24 russe a prouvé que le président turc aidait les terroristes.

"Tout le pétrole était fourni à la compagnie appartenant au fils de Recep Tayyip Erdogan. C'est pourquoi la Turquie a vu rouge lorsque la Russie a commencé ses frappes contre l'infrastructure de l'Etat islamique et a détruit plus de 500 camions-citernes", a raconté le ministre syrien de l'information Omran Al-Zohbi.

D'après de nombreux experts, Bilal contrôle personnellement le trafic de pétrole réalisé par les djihadistes.
Le poste de ministre de l'Energie au sein du nouveau gouvernement turc est occupé par le gendre du président en fonction Berat Albayrak.

Liens avec les terroristes

Une vidéo disponible sur Internet présente un chef des Loups gris (parti néo-fasciste turc, ndlr.), Alpaslan Celik, fils de l'ex-maire d'une ville turque, qui dit être impliqué dans l'assassinat du pilote du Su-24 russe abattu par la Turquie. Ce groupe est également impliqué dans le massacre de 150 militants politiques et dans un attentat contre le pape Jean-Paul II. Ces hommes armés sont liés aux autorités turques au niveau le plus élevé. Les Loups gris constitueraient le "bras armé" du Parti d'action nationaliste qui soutient le régime d'Erdogan.

Avis d'experts

Selon le porte-parole des forces aériennes syriennes Ali Mayhoub, en échange d'un soutien militaire, les dirigeants turcs reçoivent de la part des criminels internationaux "du pétrole pour un vil prix, des biens culturels pillés par les bandits dans les musées de Syrie et de l'Irak et d'autres marchandises de contrebande".

Nicolas Dhuicq, député de l'UMP à l'Assemblée Nationale, estime également qu'Ankara mène un double jeu et pratique la contrebande de pétrole conjointement avec les islamistes. Le leader turc, selon lui, est mécontent du fait que les forces armées russes empêchent ce jeu.

L'ex-président libanais Emile Lahoud a confié à RT que les actions d'Ankara lors de l'attaque contre le Su-24 avaient été planifiées d'avance et déterminées par les liens du président Erdogan avec les groupes extrémistes dans la région.

"Tout le monde sait que le président turc Erdogan soutient les fondamentalistes extrémistes depuis déjà cinq ans, a dit M. Lahoud. Lorsque l'Etat islamique est apparu, il a soutenu ce groupe en l'autorisant à vendre du pétrole à la Turquie et à le transporter par le massif montagneux frontalier".

En huit mois, les terroristes de Daech ont vendu du pétrole et du gaz irakiens sur le marché noir turc pour 800 millions de dollars, selon Mowaffak al-Rubaie, ex-conseiller irakien à la sécurité nationale.

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Le président de la Tchétchénie (république caucasienne russe, ndlr.) Ramzan Kadyrov a pour sa part souligné que la Turquie avait toujours aidé les islamistes radicaux et constituait une base pour le recrutement de terroristes en Syrie.
L'ex-premier ministre français François Fillon a lui aussi indiqué avoir des preuves montrant que la quasi-totalité du pétrole exporté par l'EI était acheminé dans des raffineries turques.

La Maison blanche a également appelé à fermer la frontière turque aux terroristes. Le Wall Street Journal cite une source au sein de l'administration américaine: "Le jeu a changé. Cela suffit veut dire cela suffit. Il faut sceller la frontière. C'est un menace internationale qui émane de la Syrie et passe par le territoire turc".

L'ancien commandant suprême des forces alliées en Europe Wesley Clark a noté que l'existence de Daech répondait dans une certaine mesure aux intérêts de la Turquie et qu'Ankara pouvait participer au trafic de pétrole extrait par les terroristes en Syrie.

Lundi, le président russe Vladimir Poutine a déclaré que la Russie avait reçu des informations supplémentaires confirmant que le pétrole provenant des gisements contrôlés par les terroristes arrivait en Turquie à l'échelle industrielle. La Russie a des raisons de penser que le Su-24 russe a été abattu pour assurer la sécurité des fournitures de pétrole en Turquie, selon lui.

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