Vive la Pologne Monsieur !

© REUTERS / Kacper PempelLes gens tiennent les drapeaux européens et polonais lors d'une manifestation à Varsovie, Pologne, le 9 janvier 2016
Les gens tiennent les drapeaux européens et polonais lors d'une manifestation à Varsovie, Pologne, le 9 janvier 2016 - Sputnik Afrique
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Jusqu’ici présentée comme le bon élève de l’Union européenne, la Pologne est au centre des critiques depuis l’accession aux responsabilités des conservateurs du parti Droit et justice (PIS), qui osent remettre en cause les dogmes tacites de l’UE. L'Analyse de Philippe Migault.

Le président du PiS Jarosław Kaczyński et la première ministre polonaise Beata Szydło - Sputnik Afrique
En 2016, la Pologne sera le problème numéro un de l’UE
L'accession à la Présidence de la république polonaise d'Andrzej Duda, en mai dernier, a constitué pour Bruxelles un premier choc. La Pologne semblait tellement arrimée à la fraction la plus libérale de « l'occident » que le Président polonais sortant, Bronislaw Komorowski, a quasiment négligé de faire campagne, sûr de sa réélection, ce qui a permis à son adversaire de l'emporter dans un scrutin serré. Cette surprise a évidemment provoqué une première campagne de presse en Europe. M. Duda a été présenté comme un nationaliste aux vues étroites, champion par ailleurs d'un catholicisme intransigeant, dans un pays où l'église influe encore très fortement sur les mentalités, ce qui a suscité l'inquiétude des libertaires. Tout a été fait, dès lors, pour peser sur le cours des élections parlementaires du 25 octobre 2015. La presse européenne, quasi-unanime, a souligné qu'il ne fallait pas que le PIS transforme l'essai et dote Andrzej Duda d'une majorité parlementaire. Le scenario d'une cohabitation, qui aurait largement neutralisé les velléités « réactionnaires » du Président polonais, était vivement espéré. Mais les Polonais sont têtus. C'est le PIS qui l'a emporté, la majorité sortante accusant un effondrement de 15 points de son score par rapport aux élections parlementaires de 2011.

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La Pologne boude l'Europe et regarde vers Washington
Dès lors le ton a très vite changé à Varsovie, affichant son indépendance vis-à-vis de Bruxelles. Celle-ci s'est d'abord manifestée par un symbole: les officiels polonais ont pris la parole dans des décors où le drapeau national était présent, mais dont était exclu le drapeau européen. Cet affichage exclusivement patriotique —aussitôt qualifié de nationaliste- a provoqué de multiples grincements de dents, tant dans les rangs de l'opposition polonaise qu'au sein des autres Etats de l'Union européenne. Les nouvelles autorités polonaises se sont également montrées nettement plus intransigeantes sur la question des réfugiés en provenance du Moyen-Orient. Le précédent gouvernement, en désaccord avec Andrzej Duda, ne s'est pas opposé aux mesures de répartition des migrants prônées par l'Union européenne et a accepté de recevoir 7 000 personnes. A contrario l'administration actuelle, sans revenir formellement sur cet engagement, entend bien maîtriser cette arrivée et n'accueillir les réfugiés qu'au compte-gouttes. Madame Beata Szydlo, le Premier ministre polonais, a fait savoir hier que son pays était prêt, pour l'heure, à accepter 100 migrants, pas davantage. De quoi faire défaillir toute la bien-pensance européenne et son dogme du « vivre ensemble ». D'autant que la Pologne persiste dans son conservatisme vis-à-vis des revendications des communautés homosexuelles. Alors qu'en juillet dernier la Cour européenne des droits de l'homme a demandé à ses États membres de donner une reconnaissance légale aux couples homosexuels, soit par l'instauration d'un mariage gay, soit par la mise en place d'une union civile, Varsovie reste inflexible. L'autorisation de la Gay Pride, la légalisation de la PMA, de la GMA, de l'union homosexuelle, de la théorie du genre et de l'avortement faisasant quasiment figure aujourd'hui de critères de convergence, le refus des polonais de transiger sur leurs principes moraux revient à ajouter le délit du catholicisme à celui de préférence nationale. L'horreur. Mais une horreur bien rafraichissante.

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Des députés allemands en faveur de sanctions contre la Pologne
Car on peut penser ce que l'on veut des Polonais, il y a une chose qu'on ne pourra jamais leur retirer, c'est leur attachement farouche à leur indépendance. A l'image des Russes ils ne supportent pas les pressions de l'étranger. A l'image des Russes, ce sont des résistants, qui préfèrent mourir que de céder. Et les Russes, qui ont longuement hésité avant d'intégrer la Pologne au sein de l'Empire des Tsars en 1815, conscients de l'impossibilité d'intégrer ou d'assimiler une des nations européennes disposant du sens le plus aigu de sa grandeur et de sa liberté, savent à quoi s'en tenir. Solidarnösc, Popieluzko, Walesa, Karol Wojtyla…on ne soumet pas un Polonais. En conséquence si Bruxelles s'émeut de la liberté de ton et d'action de Varsovie, on ne l'est guère à Moscou.

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La Pologne, nouveau problème numéro un de l'Europe?
Polonais et Russes, aussi hostiles soient-ils fréquemment les uns vis-à-vis des autres, partagent un même legs historique. Aucun d'entre eux, pas plus d'ailleurs que les Slovaques ou les Hongrois, n'a su ce qu'était la démocratie avant 1989. Aucun d'entre eux n'a ressenti la nécessité de s'intégrer au sein d'un ensemble européen, auquel ils appartiennent de fait, mais dans lequel ils n'entendent pas se dissoudre, se fondre. Polonais, Hongrois, Russes…la seule Europe qui vaille à leurs yeux est celle des Nations, respectueuse des particularités et des valeurs de chacun, du patriotisme de tous, du droit à la différence de chaque pays. Même lorsque celui-ci consiste non pas à transgresser pour choquer, mais à transgresser le diktat implicite exigeant de se fondre dans un moule basé sur le consumérisme et le refus de la puissance. Entre la jungle et le zoo, comme le chantait Jean Ferrat, les Polonais, qui ont expérimenté le premier via le libéralisme financier, le second via le marxisme-léninisme, sont bien décidés à ne pas choisir. Fidèles à leur foi, lecteurs des encycliques de Jean-Paul II, de Benoît XVI et de François qui, tous, ont renvoyé dos à dos communisme et ultra-libéralisme, ils entendent défendre avant tout leurs intérêts et poursuivre la route qu'ils se sont choisis. Ils n'ont pas fini, à ce titre, d'hérisser les autres nations. Mais c'est sans doute ce qui nous les rend si chers. Vice la Pologne Monsieur!

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