Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé à la CPI. Entretien avec Nakouty Luyet (Partie 1)

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Nakouty Luyet est citoyenne de Côte d’Ivoire. Elle est membre du parti politique ivoirien COJEP (Congrès Panafricain pour la Justice et l’Egalité des Peuples), mouvement politique créé par Charles Blé Goudé, ministre de la Jeunesse sous le président Laurent Gbagbo. Elle vit aujourd’hui en Suisse.

Sputnik: Les procès du président ivoirien Laurent Gbagbo, déchu par l'intervention armée française en avril 2011 et du ministre de la Jeunesse Charles Blé Goudé vont débuter bientôt à la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye. Votre commentaire?

Nakouty Luyet: Tout d'abord je tiens à vous remercier de l'opportunité que vous me donnez de faire entendre ma voix et probablement à travers la mienne, la voix de millions d'Africains debout sur les différents champs de batailles face aux flux incessants d'injustices à leur égard. En effet, le président Laurent Gbagbo a été déporté à la prison de Scheveningen en 2011.

Mon premier commentaire à l'endroit de la CPI est de m'étonner du fait de cette déportation pendant que les statuts de Rome qui la légitiment ont été signés en 2013 par Alassane Dramane Ouattara, actuel locataire de la présidence ivoirienne dans des conditions de supercheries plus qu'abracadabrantes. Quelle est donc cette justice qui se dit internationale et qui piétine ses propres textes?

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Mon deuxième commentaire est de préciser que le président Laurent Gbagbo est un chef d'Etat et c'est le premier chef d'Etat dans la jeune histoire de la CPI qu'elle devra juger. Le président Laurent Gbagbo est un chef d'Etat qui a défendu les valeurs de la République ivoirienne lorsque celles-ci étaient attaquées par les milices d'Alassane Dramane Ouattara. Le ministre Charles Blé Goudé détenu aussi à UNDU (United Nations Detention Unit) est celui à qui la procureure Bensouda reproche l'usage de « l'éternel des armées » comme une arme répressive. Je ne savais pas qu'être chrétien était un crime contre l'humanité!

Mon dernier commentaire est le suivant: ce sont les Nations Unies à travers la résolution 1975 (initié par la France et le Nigéria) qui donnaient le pouvoir à l'armée française établie en Côte d'Ivoire depuis son indépendance, selon des accords qui n'ont plus aucune raison d'être, de faire usage de la force pour « protéger la population ivoirienne ». Nous avons tous constaté que tuer et protéger sont bizarrement devenus des synonymes dans mon pays. Cette population qu'ils étaient sensés protéger a été purement et simplement massacrée autour et dans la résidence du président Gbagbo.

De ce qu'il m'a été donné de lire sur le site internet de la CPI, est qu'elle collabore avec l'ONU et la plupart des pays membres du Conseil de sécurité dont la France, qui finance la CPI. Comme le disais un artiste musicien ivoirien: ils allument le feu et après ils viennent jouer aux pompiers.

Sputnik: Quelles sont les chances selon vous de succès dans ces procès, si on peut les appeler ainsi? Quelles sont les chances pour Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé de retrouver la liberté?

Nakouty Luyet: Vous venez d'utiliser un mot pendant. Ce mot est: chance!

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Cela me laisse penser que la cour a donc un caractère aléatoire qui repose sur des probabilités et non sur les faits comme cela devrait l'être. Cela est très dangereux pour les jeunes nations africaines. Le sort des nations d'Afrique repose sur le cours de nos matières premières. La crise en Côte d'Ivoire est avant tout une problématique du cacao. Et c'était déjà le cas à l'époque du président feu Felix Houphouët-Boigny.
Entre les géostratégies américaine, française, anglaise et maintenant chinoise, je me demande comme vous quelles sont les réelles chances du président Gbagbo et de son ministre Charles Blé Goudé de sortir libres et lavés de tous soupçons de cette prison quand on sait qu'ils se sont battus pour nous faire profiter de nos matières premières.

On pourrait même aller plus loin en reformulant la question: quelle sont les chances d'un Etat africain qui refuserait de brader ses ressources au profit de l'Occident de se retrouver à la CPI?

Nous aurons un début de réponse le 28 janvier 2016 à La Haye.

Permettez-moi d'ouvrir une petite brèche quant à mon étonnement de constater que l'affaire Guy André Kieffer (citoyen français disparu en Côte d'Ivoire), n'a pas encore trouvé de dénouement. Si cela intéresse toujours son épouse et le collectif de journalistes qui semblaient être épris de justice, il leur suffira de suivre une entreprise spécialisée dans le négoce du café-cacao: ARMAJARO. Le juge français Patrick Ramaël qui s'occupait du dossier est devenu entre-temps le conseiller d'Alassane Ouattara. L'affaire de Guy Kieffer ne semble plus le préoccuper.

Sputnik: Beaucoup d'experts, africains comme non-africains, parlent depuis longtemps de la politisation presque non-voilée de la CPI. Beaucoup l'accusent même de néocolonialisme et de racisme. Si au départ, c'était surtout des activistes panafricanistes qui lançaient des appels contre ce système, aujourd'hui on entend de plus en plus certains leaders africains faire autant, y compris au sein de l'Union africaine. 

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Même au sein du pays leader du continent africain, la République d'Afrique du Sud, de plus en plus de voix s'élèvent au sein du gouvernement pour quitter la CPI. Ne pensez-vous pas que les procès de Gbagbo et Blé Goudé seront décisifs quant à l'avenir même de cette Cour pénale internationale? S'ils sont condamnés, la CPI ne signera-t-elle pas son arrêt de mort?

Nakouty Luyet: Je pense qu'il faut que la CPI évite les « si », il ne faudrait pas qu'elle détermine sa légitimité sur des postulats africains. Le fait que le monde se munisse d'une Cour pénale internationale n'est pas mauvais en soi. Nous Africains avons opté pour la démocratie pendant que nos dirigeants émanent de la pression de la Françafrique qui tend vers sa fin mais s'accroche à son dernier souffle. Nous avons compris les biens fondés de la démocratie pendant que l'hégémonie américaine cherche à asseoir des bases militaires sur notre continent pour amplifier sa domination.

Si la CPI veut pouvoir séduire les Africains, je propose que chaque Etat d'Afrique l'ayant ratifiée en nomme ses juristes à son sein pour que la démocratie soit le pilier de cette cour. Or pour l'instant les juges et procureurs y sont recrutés tel dans une entreprise à but lucratif et encore!

Le procès du président Gbagbo et de son ministre Charles Blé Goudé sera en effet très décisif si la cour ne prononce pas le droit.
L'Union africaine commence péniblement à se réveiller et à comprendre qu'elle obéissait à une matrice défavorable à l'Africain, on ne peut que l'applaudir. A mon avis si cette conscience perdure et se renforce, elle devra donc repenser son financement aussi. Nous avons les moyens et les hommes nécessaires pour permettre à l'Afrique de s'approprier de son sort de manière réaliste et efficace.
L'Union africaine peut donc être un catalyseur à l'éveil de nos consciences.


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