Al-Qaïda: née en Afghanistan, conçue aux USA

© AP Photo / Musadeq SadeqJournaux afghans à Kaboul, la mort du chef d'Al-Qaïda Oussama ben Laden
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Contribuer à la naissance de son propre ennemi number one, c’est un processus qui prend du temps, des dizaines d’années même. Pour cela, il faut beaucoup d’argent et d’armement mal acheminés, des camps d’entrainements et des collaborations avec des pays-alliés où se trouvent les cardes prêts à se battre.

Il y a encore quelques années l'interview de Sheikh Naim Nabeel, un des fondateurs du Jihad en Egypte et membre d'Al-Qaïda dès sa création, a fait trembler la toile devant le témoignage qu'il offrait de la contribution de la CIA à l'apparition du terrorisme djihadiste. Pour Naim Nabeel, les camps d'entraiment en Jordanie pour les futures combattants ont été et sont financés par le gouvernement américain. Au même titre qu'une partie des moudjahidines qui avaient été soutenus par les américains à l'époque pour s'opposer à l'armée soviétique en Afghanistan. Une fois le confit afghan terminé, certains de ces combattants formaient Al-Qaïda dans sa première version.

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Et cette dernière révélation a été développée par Mike Springmann, dans son livre "Visas for Al-Qaeda ". Dans les années 80 Springmann a été chef de la section visa des Etats-Unis à Djeddah en Arabie Saoudite, il décrit dans son ouvrage son quotidien de l'époque, quand il était forcé régulièrement par ses responsables américains à délivrer des visas à des personnes douteuses. Il donne quelques exemples dans une interview exclusive à Sputnik:

« Il y avait un type soudanais, qui était un réfugié du Soudan, et qui était au chômage Djeddah, j'ai oublié son nom maintenant, mais la femme qui était officier politique du service qui s'occupait des clandestins à la CIA demandait sans cesse un visa pour le type, et je refusais toujours, et finalement elle allée voir le chef du Consulat et il lui a fourni un visa. Je l'ai croisé un jour et je lui ai demandé pourquoi et il a répondu « Sécurité nationale ».

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Mike Springmann explique, que toutes les personnes « choisies » pas les autorités américaines ont été munies d'un visa étatsunien, pour avoir accès à la libre circulation, mais surtout pour pouvoir gagner le sol américain où des entrainements dans des camps militaires secrets étaient prévus. Les combattants ainsi formés ont ensuite été envoyés en Afghanistan. Selon Sprigmann, ces combattants ont par la suite été déplacés dans les Balkans, en Iraq, en Libye, en Syrie, et toujours en voyageant grâce à leurs visas US illégaux.

« Je crois que oui, et c'est ce qui m'a motivé en quelque sorte quand je commençais à penser à écrire un livre. J'avais vu ce qui s'était passé en Afghanistan, avec les moudjahidines, et j'avais observé ce qui s'était passé dans les Balkans avec la Yougoslavie, et je m'étais dit, ces types continuent! »

Durant ces années le Département d'Etat en collaboration avec la CIA envoyait des personnes comme Mike Springmann à Djeddah pour assurer la délivrance d'environ quarante-cinq mille visas par an. Pour garder leur emploi, ils ne devaient pas poser trop de questions au sujet de demandeurs des visas. C'est pour ces raisons que Springmann a été licensié au bout de deux ans, qualifié d' « incompétent ». Ce n'est que plus tard qu'il décide d'écrire son livre, pour plusieurs raisons:

« Eclairer les gens sur ce que le gouvernement américain faisait vraiment, expliquer le niveau actuel de terrorisme et de tension au Moyen Orient, et montrer que le gouvernement américain est fondamentalement hors de contrôle, et que les services de renseignement et les forces armées l'emportent sur la balance du pouvoir au sein du gouvernement. »

Springmann estime que les Etats-Unis continuent à utiliser la même méthode d'entrainement de l'opposition dans les pays en crise. Et c'est le New York Times qui le rejoint avec une enquête sur la collaboration entre la CIA et les saoudiens. La relation de longue date entre les Etats-Unis et l'Arabie Saoudite fleurit de nouvelles révélations. D'après le NYT Washington et Riyad financent ensemble certains groupes rebelles syriens, leur fournissent des armes et les entrainent dans des camps secrets en Jordanie. Alain Rodier, directeur adjoint du Centre Français de Recherche sur le Renseignement, explique que cette pratique n'est pas inédite:

« Il est vrai que les Américains avec le soutien financier saoudien en particulier, entretiennent un certain nombre de mouvements rebelles dont la plupart ont des bases arrières situées en Jordanie, mais également ont l'a su après, aussi en Turquie. Donc il est vrai que les Américains veulent s'appuyer sur ces mouvements, au départ pour renverser Bachar Al-Assad, mais maintenant surtout pour combattre Daech. Le problème c'est que Daech est une émanation d'Al-Qaïda, qui a fait défection de ce mouvement, qui a fait défection il y a maintenant deux ans. Donc en réalité les Américains ont fourni des groupes qui ont basculé du côté islamiste radicale et qui peut s'apparenter à ce qui s'est passé effectivement avec Al-Qaïda dans les années 90. »

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Aujourd'hui plusieurs pays se servent de cette méthode, qui a pourtant montré à plusieurs reprises le danger du « retour de bâton » qui l'accompagne. Alain Rodier donne les exemples d'autres acteurs de la région qui financent les groupes rebelles:

« A l'heure actuelle il est vrai qu'un certain nombre de mouvements rebelles en Syrie sont soutenus soit par l'Arabie Saoudite, soit par le Qatar, soit par la Turquie et en réalité par les trois pays conjointement. Ce sont malheureusement souvent des mouvements qui sont très proches d'Al-Qaïda pour ne pas dire infiltrer par Al-Qaïda, mais il y a aussi des mouvements considérés comme rebelles par les pouvoirs centraux, et qui sont par exemple les Kurdes qui sont soutenus directement là également par la coalition américaine mais également par les Européens ».

Apprendre des erreurs du passé ou fermer les yeux et se boucher les oreilles en ignorant l'évidence? Peut-être devrait on se remémorer l'article de Robert Fisk paru dans The Independent le 6 décembre 1993 qui titrait «Le guerrier antisoviétique met son armée sur la route de la paix», un article entièrement dédié au héros de l'Amérique de l'époque — un homme d'affaire saoudien qui répondait au nom d'Oussama Ben Laden. La suite de l'histoire est bien connue.

Les guerres n'ont pas toutes le même visage et il est donc vain de les comparer, mais une certaine ressemblance associée à un bouquet de révélations mérite quand même que l'on se pose quelques questions…

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.

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