Antonov, triste symbole d’une industrie moribonde

© Sputnik . Sergei Starostenko / Accéder à la base multimédiaAntonov An-124
Antonov An-124 - Sputnik Afrique
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L’annonce par les autorités ukrainiennes de la liquidation d’Antonov est un crève-cœur pour les passionnés d’aviation. Mais ce n’est qu’un des symptômes les plus visibles de l’effondrement du complexe militaro-industriel et de l’ensemble de l’économie de l’Ukraine. L'Analyse de Philippe Migault.

Antonov-124, Antonov-225…Ces avions-cargos figurent parmi les plus gigantesques appareils ayant jamais volé, leur capacité d'emport surclassant celle de tous les autres engins de ce type. Outils indispensables depuis des années à la mise en œuvre de toute opération humanitaire ou militaire d'envergure, les Antonov-124 ont acheminé des milliers de tonnes de matériel pour l'ONU, l'armée française et de nombreux autres clients, en Afghanistan, en Afrique… Alors que la production du C-17 américain vient d'être stoppée, que le C-5 est vieillissant et réservé à l'armée américaine, que l'A400M est un avion de transport tactique prometteur mais nullement un avion de transport stratégique, l'Antonov-124 semblait avoir l'avenir devant lui. Les autorités russes et ukrainiennes étaient décidées à l'été 2013 à relancer la chaîne de production de l'appareil, située à Oulianovsk, en Russie, afin de produire une version modernisée de l'avion, disposant d'un rayon d'action et d'une capacité d'emport supérieurs. Parallèlement Moscou et Kiev semblaient résolues à lancer la production conjointe de l'Antonov-70, un avion tactique de la gamme A400M, pour les besoins des armées russe et ukrainienne et pour l'export.

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Maïdan, malheureusement, a mis fin à ces projets. Antonov, malgré les quelques contrats qui lui restaient, est aujourd'hui en faillite. Certes l'Arabie Saoudite a annoncé qu'elle souhaitait acquérir 30 exemplaires de l'Antonov-178, le dernier-né du bureau d'études de Kiev. Et les actifs d'Antonov, transférés au groupe public Ukroboronprom, chapeautant le complexe militaro-industriel (CMI) ukrainien, demeurent théoriquement en mesure de poursuivre leur activité. Mais le scepticisme règne vis-à-vis des perspectives qui s'ouvrent à l'avionneur. « Antonov, en tout cas à moyen terme, ne peut plus être considéré comme un acteur de l'aviation de transport », juge un haut responsable d'Airbus Military Aircraft. Une estimation que l'on peut appliquer à la quasi-totalité de l'industrie de défense ukrainienne.

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Celle-ci reste en mesure de développer des produits low-cost ou de moyenne gamme sur le segment de l'armement terrestre ou de l'électronique de défense. L'Ukraine présente régulièrement de nouveaux produits. Mais ceux-ci ne trouvent guère preneur à l'export. Plus encore, certains des contrats conclus par Kiev avant les évènements de Maïdan sont aujourd'hui remis en cause. Kharkiv-Morozov, le spécialiste ukrainien du blindé lourd, peine à livrer son client thaïlandais, qui lui a passé commande d'une cinquantaine de chars d'assaut T-84. Au point que Bangkok envisagerait de se tourner vers un fournisseur de substitution, le russe Ouralvagonzavod avec son T-90. Motor-Sitch et Ivchenko-Progress, les deux motoristes ukrainiens, privés de leur principal débouché à l'export, le marché russe, sont en grande difficulté.

Et l'industrie de défense ukrainienne a perdu une grande part de ses capacités en matière aéronautique et navale avec le retour de la Crimée à la Russie et la partition du Donbass. Amputé d'une vingtaine de ses entreprises, le CMI ukrainien n'est plus capable d'assurer seul la maintenance et la modernisation de sa flotte d'hélicoptères civils et militaires compte tenu de la perte de l'usine de maintenance aéronautique de Sébastopol, de l'usine de réparation aéronautique de Lougansk et du centre de recherche « Vertolet » de Féodosia. La perte du chantier naval More, spécialiste des hydroglisseurs Zubr (Projet 958), représente aussi une perte sensible.

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Alors que l'économie ukrainienne poursuit sa dégringolade (-12% de PIB sur l'exercice 2015 selon les estimations de la banque mondiale), cette succession d'échecs du CMI pourrait avoir de lourdes conséquences à moyen terme sur le climat social. Employant avant la partition du pays plus de 250 000 salariés, auxquels il faut adjoindre les emplois de service associés, l'industrie de défense ukrainienne était une des locomotives économiques du pays. Dans des villes telles Zaporojié, Kharkov, Dniepropetrovsk, Nikolaïev, elle figurait parmi les principaux employeurs. Or toutes ces villes ont hissé le drapeau russe sur leur mairie au printemps 2014, avant que les autorités de Kiev répriment ces démonstrations pro-russes sans ménagement. Si demain ces usines ferment parce que la fracture avec la Russie les a poussé à la faillite, on peut redouter de nouveaux troubles, plus graves encore que ceux de 2014.

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