Le ministre, la multinationale et le sandwich hollandais

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Le ministre des finances, Michel Sapin, a fait savoir qu’il n’y aurait pas de traitement de faveur pour Google, placé en redressement fiscal. Les géants américains du web sont pourtant passés maitres de l’optimisation fiscale en Europe. Une exception française?

Dans le différend qui oppose Google à Bercy, quant au montant des arriérés fiscaux de la firme californienne, Michel Sapin a déclaré que « Le fisc français ne négocie pas le montant des impôts ». Une déclaration du ministre des finances qui fait allusion, de manière à peine voilée, à l'accord qui a abouti en Janvier entre Londres et le géant du Web d'après lequel Google devra s'acquitter d'une note de 172 millions d'euros afin de régulariser sa situation avec le fisc britannique.

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Michel Sapin exclut de négocier un accord fiscal avec Google
Le Royaume-Uni n'est pas le seul à avoir entrepris des négociations avec le moteur de recherche américain, l'Italie semble également réclamer son dû, des impayés qui avoisineraient les 227 millions d'euros, au titre de l'impôt sur les royalties et de l'impôt sur les sociétés (IRES) pour les exercices fiscaux de 2008 à 2013, et Bercy entend bien récupérer plus.

Si rien ne transparait dans ce redressement attenté par la France, secret fiscal oblige, le ministre a laissé entendre que les arriérés en France pourraient se chiffrer à un montant bien plus élevé que ceux négociés dans les autres pays européens. Selon l'AFP, la somme réclamée par le fisc français pourrait être comprise entre 500 millions et 1 milliard d'euros.

Charles-Henri Gallois, Responsable national pour les questions économiques de l'Union Populaire Républicaine (UPR), tient en premier lieu à saluer le gouvernement français, qui ne fait pas « pour une fois de l'appla-ventrisme total devant les intérêts américains », l'invitant à demeurer le plus ferme possible dans sa démarche, d'autant plus que le cas Google est un peu l'arbre qui cache la forêt, le fond du problème restant entier:

« Dans le cadre de l'Union Européenne il existe des articles qui font que la France, mais aussi les autres pays européens, ne peuvent rien faire face à l'évasion et à la fraude fiscale. Il y'a eu des rapports au Sénat, notamment en 2012, où il est expliqué que le manque à gagner annuel pour l'état était compris entre de 60 à 90 Milliard d'euros».

Notre expert tenant à rappeler par la même occasion, à titre de comparaison, que cette année-là le trou de la Sécurité Sociale avoisinait les 13 milliards d'euros.

Charles-Henri Gallois souligne néanmoins qu'à l'heure actuelle l'issue du dossier demeure incertaine. Une appréciation de la situation qu'il n'est pas seul à partager, en effet rappelons que l'optimisation fiscale, souvent confondue avec « l'évasion fiscale », demeure une pratique parfaitement légale, tirant simplement profits des disparités fiscales entre les pays: si la libre circulation des capitaux fait partie des « quatre libertés » du marché unique de l'Union Européenne, la structure juridique des groupes et les multiples conventions de double-imposition existantes entre les états plantent un clou dans le cercueil en interdisant de taxer les mêmes revenus dans deux pays différents.

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Un état de fait qui tend à faire s'affronter deux écoles de pensée: ceux qui plaident pour la fermeté au nom de l'exemplarité, et ceux qui, par crainte de ne rien percevoir, plaident pour la clémence envers ces multinationales créatrices d'emplois espérant ainsi de ces dernières un geste de bonne grâce en retour.

Une réalité que rappelle notamment, Olivier Pichon, professeur d'économie et responsable de la rubrique économie à TV-Libertés:

« Le propre de l'économie n'est pas de prédire l'avenir, mais j'aurais tendance à penser que la montagne va accoucher d'une souris, il y aura des effets d'annonce, mais Google pourra continuer largement à échapper à la fiscalité et pourra continuer de bénéficier de l'optimisation fiscale ».

Il faut dire que pour se défaire de l'outrecuidant « Big Government » et faire payer la princesse, Google et les autres multinationales de son acabit ont une botte secrète: le « sandwich hollandais ».

Pour faire simple, en partant du postulat précédent que nul ne doit taxer deux fois un même revenu, les filiales d'un groupe renvoient les bénéfices de leurs activités vers leur société mère, généralement établie en Irlande, où le climat fiscal est plus doux, avec quelques escales, notamment aux Antilles néerlandaises d'où ils partent pour des latitudes encore plus clémentes, comme celles des Bermudes: un paradis fiscal.

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Les bénéfices attendent alors un épisodique abaissement de l'impôt sur les bénéfices rapatriés depuis l'étranger aux Etats-Unis, comme en 2005 où l'administration américaine avait exceptionnellement abaissé son taux de 35% à 5%… d'autant plus que d'après une disposition du code fiscal américain, différer indéfiniment le paiement de ses impôts sur des bénéfices qui n'ont pas encore été rapatriés aux Etats-Unis est légal.

Mais alors que fait l'Europe? Difficile pour Olivier Pichon, au vu de la configuration du marché du numérique européen, d'imaginer une digue capable de stopper la déferlante Google, l'Histoire étant têtue…

« Vous savez, ça n'est pas nouveau dans l'histoire économique: Nous avons vu par exemple, avec le pétrole, Rockefeller avoir le quasi-monopole, puis on l'a vu avec Carnegie pour l'acier, donc le capitalisme par nature et surtout lorsqu'il est mondialisé est monopolistique. Il ne faut pas se faire d'illusion, la seule solution serait évidemment des moteurs de recherches alternatifs, nous avons en Europe, en France, un moteur alternatif qui s'appelle Qwant. Malheureusement il peine à progresser et on n'a pas vu la Commission Européenne se préoccuper de véritablement promouvoir des moteurs de recherche concurrentiels ».

Une promotion de la diversité numérique qui risque de devoir attendre un peu: la ministre de l'Education Nationale Najat Vallaud-Belkacem vient de signer un contrat sans appel d'offre de 13 millions d'euros avec le géant américain Microsoft.

Quant à la Commission Européenne, Charles Henri Gallois tient justement à nous parler d'elle:

« D'une part elle l'autorise, c'est l'article 63 du traité de fonctionnement de l'Union Européenne, mais elle l'encourage! Il faut savoir que monsieur Junker, qui est maintenant le Président de la Commission européenne, qui est l'ancien Premier Ministre du Luxembourg, a monté ce système dans son pays d'origine et l'UE à travers ses traités ne cesse de mettre en avant qu'il faut dans un but d'allocation optimale des ressources de grands marchés, d'aller finalement donner la prime aux moins-disant ».

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Une réalité, incitative pour ces acteurs majeurs de l'économie, qui pour Charles Gallois devrait pousser les contribuables à moins écouter les belles promesses qu'on leur fait:

« On parle souvent d'Europe sociale, vous savez, c'est le slogan du PS depuis 1979 à toutes les élections européennes « On va faire une Europe sociale etc… », la réalité c'est que c'est évidement tout le contraire puisque dans cet espace on donne à chaque fois la prime au moins-disant et ça pousse à ce type de comportement ».

Point de convergence entre nos deux experts: quelles que soient les règles appliquées au sein de l'Union Européenne, le système fiscal français semble en soi une invitation pour les groupes étrangers à transgresser les règles, comme nous l'explique Olivier Pichon:

« Il faut dire une chose, vous comprenez, on parle toujours d'optimisation fiscale, on parle de paradis fiscaux, mais s'il existe des paradis fiscaux c'est qu'il existe des enfers fiscaux, et la France me semble l'un de ces enfers fiscaux. Il faudrait aussi que monsieur Sapin et le gouvernement français considèrent la façon dont ils imposent les entreprises. Bien sûr, j'entends bien qu'il soit préférable que Google payât plus d'impôts, ce qui permettrait peut-être d'alléger l'impôt de nos PME, mais toutes formes de taxes confondues, l'impôt sur les sociétés en France dépasse les 35%: nous battons des records en cette matière».

Même son de cloche du côté du responsable national de l'UPR, qui tient à rappeler quelques données d'un rapport de 2010 du Conseil des Prélèvement Obligatoires (CPO) associé à la Cour des Comptes.
Il faut dire qu'au taux nominal de 33.33% des bénéfices, contre 22.15% pour la moyenne européenne, auquel s'ajoutent diverses cotisations.

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Si le gouvernement a promis une baisse du taux nominal de l'IS pour 2017, ses recettes rapportent déjà bien moins… En 2014, l'Impôt sur les Sociétés avait rapporté 35.3 milliards d'euros à l'Etat, contre 47.2 milliards en 2013. Au 31 Mai 2015, Bercy annonçait déjà une baisse de près de moitié des sommes perçues par rapport à l'exercice précédent…

« Le rapport du Sénat dont je vous parlais, est édifiant là-dessus: puis qu'il montrait que les entreprises de moins de 250 salariés, payaient un taux d'imposition effectif de l'ordre de 47%, pas seulement l'impôt sur les sociétés mais tout compris, alors que les grands groupes de 2000 salariés ou plus, en moyenne, payaient un impôt de l'ordre de 4% ».

Ce lundi Google, ou plutôt sa maison mère « Alphabet », a publié ses résultats pour le dernier trimestre 2015: avec un chiffre d'affaire de 21 milliard de dollars, en hausse de près de 18%, le groupe américain affiche une capitalisation boursière s'élevant à plus de 550 milliards de dollars, soit la première du monde, au coude à coude avec Apple. Une valorisation qui laisse présager de l'avenir que les marchés prédisent au groupe.

Si les quatre géants américains du web: Google, Apple, Facebook et Amazon, pèsent à eux seuls plus que toutes les entreprises du Cac-40 réunies, les « GAFA » sont également reconnus pour être les champions hors pair de l'optimisation fiscale. A titre d'illustration, en 2014, Facebook a réglé au Fisc de sa majesté la modique somme de 4 327 livres au titre de l'impôt annuel sur les sociétés, soit moins d'impôts qu'un salarié britannique touchant le salaire moyen… Cette année-là, la firme avait pourtant plus que doublé ses revenus, les faisant passer de 49.8 millions de livres à 105 millions de livres.

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