Pour l'Occident, la menace russe est partout

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Sanctions contre la Turquie, "annexion" de la Crimée, opération militaire en Syrie contre l'opposition et soutien d'un régime dictatorial: voilà la liste non exhaustive des sujets sur lesquels les pays occidentaux aiment focaliser leurs critiques vis-à-vis de la Russie.

Pour la plupart d'entre eux, il est devenu habituel de présenter Moscou comme un ennemi dans les médias. Certains pays lui ont même donné le statut d'"ennemi" dans leur doctrine militaire.

Ainsi, la semaine dernière, la presse annonçait que les USA avaient déterminé leurs "principaux défis" sur la scène internationale. La Russie, la Chine, l'Iran et l'organisation terroriste Daech figurent parmi les priorités.

Ashton Carter, secrétaire à la Défense américain, a expliqué que Moscou et Pékin étaient les "principaux rivaux" des États-Unis dans le domaine militaire et que si le Pentagone ne souhaitait pas entrer en conflit avec ces pays, les autorités ne pouvaient pas non plus "fermer les yeux sur ces défis".

Cette année, le ministère de la Défense américain prévoit ainsi d'augmenter le contingent militaire dans les pays de l'Otan et de déployer en Europe de l'Est et centrale des armements lourds et des blindés. Le budget affecté à ces missions passera alors de 789 millions à 3,4 milliards de dollars.

Le New York Times écrit que le Pentagone a bien prouvé la menace russe, mais que les mesures projetées pourraient conduire au retour d'une "grande guerre". L'auteur de l'article doute que le budget américain puisse couvrir les dépenses pour la lutte contre une menace militaire émanant de la Russie et pour l'opération contre les terroristes de Daech.

"La menace provenant de Daech et d'autres organisations terroristes est difficile à prédire. L'Amérique doit contrer les deux défis à sa sécurité mais on ignore si ce plan de Carter contient un juste équilibre", souligne l'article.

Les États-Unis ne sont pas le seul pays à voir en la Russie une menace comparable aux terroristes. Après le conflit qui a éclaté entre Moscou et Ankara après que la Turquie a abattu le bombardier russe Su-24 en novembre 2015, la majorité des Turcs a commencé à considérer la Russie comme la menace principale pour leur pays — ce dont témoignent les sondages de l'université Kadir Has d'Istanbul.

Dans ce contexte, Moscou va probablement rejoindre la liste des "ennemis" de la Turquie au niveau officiel, alors même qu'en 2010 la Russie, l'Iran et la Syrie quittaient la catégorie des "menaces" identifiées dans la doctrine militaire turque.

Sans oublier l'Ukraine, dont le président a proclamé en janvier la Russie comme "la menace principale à long terme".

Les médias utilisent souvent à titre d'argument la déclaration de Vladimir Poutine qui, pendant le forum du Front populaire panrusse (FPP), avait qualifié "d'aberration" l'inclusion du Donbass à l'Ukraine. Le secrétaire du Conseil de sécurité nationale et de défense ukrainien Alexandre Tourtchinov avait immédiatement considéré cette déclaration comme une nouvelle "revendication territoriale".

La plupart des experts ukrainiens soutiennent l'idée selon laquelle la Russie est hostile. A ce sujet La Voix de l'Amérique cite plusieurs avis de politologues ukrainiens.

"Il est évident que l'objectif (de la Russie) n'est pas seulement la Crimée mais de déstabiliser la vie en Ukraine pour faire éclater le pays", estime par exemple Boris Kouchnirouk. Son homologue Alexeï Goloboutski est du même avis et juge que "la Russie ne renoncera pas à son intention de continuer à faire pression sur l'Ukraine".

Rien de bien nouveau, donc, tout comme dans le discours des pays baltes par rapport à la Russie — Moscou figure depuis longtemps dans les doctrines militaires de la Lituanie, de la Lettonie et de l'Estonie. Ces derniers temps, la "menace" russe qu'ils voient partout devient de plus en plus terrifiante.

Le parlement letton a approuvé fin novembre 2015 sa nouvelle doctrine de sécurité où la lutte contre les menaces potentielles émanant de la Russie occupe une place centrale. Le document mentionne non seulement un "risque direct", comme dans le cas de l'Ukraine, mais aussi le travail médiatique. On souligne particulièrement les "tentatives de dresser les habitants de la république lettone contre l'Otan, ce qui demande l'élaboration d'une approche complexe pour prévenir et affaiblir ce genre de menaces".

Les militaires et les dirigeants estoniens ne cachent pas non plus qu'ils considèrent la "menace russe" comme "de plus en plus réelle". Hormis les accusations habituelles contre la Russie, qui mènerait une politique agressive à l'encontre de l'Otan et une propagande infondée, Tallinn pense que Moscou est également prêt à profiter de ses acquis dans le domaine énergétique "en tant qu'instrument de pression politique et économique".

En Suède et en Finlande, on est à deux doigts de l'hystérie. La radio Svoboda, qui mentionne une hausse des tensions en mer Baltique, note que d'ici 2023 ces deux pays comptent créer un groupe naval conjoint "pour réagir aux agissements russes". Le ministre suédois de la Défense estime que la coopération avec la Finlande poussera l'"agresseur potentiel" à faire preuve de prudence, mais a peu de chances de le mettre en colère car il est seulement question d'un "ordre du jour défensif". Ces deux pays ne font pas partie de l'Otan, rappelle l'auteur.

L'article évoque également l'intention de l'Allemagne de revoir sa stratégie de sécurité. La ministre allemande de la Défense Ursula von der Leyen a déclaré que les "actions de la Russie en Ukraine avaient foncièrement changé l'architecture de sécurité en Europe". Selon elle, l'Allemagne doit mettre à jour son approche, même si dans les documents actuels la Russie n'est pas perçue comme un agresseur ou une menace pour le pays.

A l'heure actuelle, l'unique danger potentiel selon les Allemands serait une guerre nucléaire entre les USA et la Russie, dans laquelle l'Allemagne pourrait être impliquée en tant qu'allié de Washington au sein de l'Otan. Les autorités allemandes soutiennent également l'expansion de l'Alliance vers l'Est, prônant le maintien de la présence militaire américaine en Europe.

La liste serait incomplète sans le Royaume-Uni — adversaire historique de la Russie sur la scène internationale. Par tradition, les autorités britanniques et américaines sont d'accord dans leurs appréciations de la menace russe. La stratégie du pays, rendue publique en novembre 2015, qualifie la Russie de l'une des "principales menaces" pour le pays, au même titre que les agissements des extrémistes, l'affluence de migrants et la propagation de virus menaçant la santé des individus.
Les experts soulignent que la Russie n'a pas été incluse à la liste des menaces uniquement à cause de ses actions en Ukraine: l'opération militaire en Syrie et l'accroissement de la présence militaire russe à Kaliningrad est également pointée du doigt.

La "menace russe" ne fait pourtant plus l'unanimité chez les observateurs britanniques. Ainsi, le journal britannique The Independent cite les propos de l'ex-maire de Londres Ken Livingstone, qui affirme que la Russie n'est une menace ni pour l'Occident ni pour le Royaume-Uni. Il a noté que la diabolisation du président russe Vladimir Poutine "empêchait les autorités d'apprécier la situation avec bon sens". Selon lui, le "véritable ennemi est l'Arabie saoudite, qui finance les terroristes de Daech".

"Nous sommes confrontés aujourd'hui à la menace du fondamentalisme islamique. La plupart des organisations terroristes sont financées par l'Arabie saoudite, notre principal allié. Elle soutient les courant les plus radicaux de l'islam qui n'ont rien à voir avec la pensée du prophète Mahomet", a-t-il déclaré dans une conférence de la chaîne RT.

L'an dernier, la Russie est également passée au rang de "menace militaire" pour le Danemark et en mars 2015, l'ambassadeur de Russie au Danemark a réagi négativement à l'adhésion du pays au système américain de bouclier antimissile (ABM):

"Je ne pense pas que les Danois comprennent vraiment les conséquences de l'adhésion du pays à ce système de défense antimissile sous égide américaine. Les navires de guerre danois deviendraient immédiatement la cible des missiles nucléaires russes".

Ces propos ont été interprétés par la communauté internationale comme une menace nucléaire directe de la Russie contre le Danemark. Pas étonnant donc qu'en novembre, les renseignements militaires du royaume aient publié un nouveau rapport où la Russie était qualifiée de "l'un des principaux défis pour la sécurité" du pays.

L'agence de presse Regnum cite des extraits de ce rapport, qui souligne la capacité et la volonté de la Russie d'"atteindre des objectifs stratégiques par des moyens militaires". En particulier, les intérêts du Danemark seraient menacés par "les tentatives de Moscou de rétablir le statut de superpuissance du pays".

Les principales menaces selon les pays occidentaux — Daech et la Russie — paraissent complètement absurdes mises côte à côte dans le contexte de l'opération antiterroriste russe en Syrie. Une telle rhétorique peut donc difficilement être prise au sérieux.

L'"image de l'ennemi" est un élément typique de toute doctrine militaire, indépendamment du pays. Les stratégies de sécurité nationale et les doctrines militaires forcent donc inévitablement le trait. En réalité, la plupart des pays dont nous avons parlé savent parfaitement que la Russie n'entrera pas en conflit ouvert contre l'Otan.

On utilise très probablement le mythe de la "menace russe" pour justifier ses propres actions et échecs. Il est bien plus simple, par exemple, de qualifier le travail médiatique russe de "propagande" plutôt que de reconnaître son succès.

De plus, il faut bien justifier les dépenses budgétaires colossales de chaque pays pour la défense, sans lesquelles les corporations et les lobbyistes militaires américains, par exemple, resteraient sans travail — inutiles qu'ils seraient sans le spectre d'un "ennemi extérieur".

 

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