Que sait-on du chef de Daech, ennemi public n°1?

© AP Photo / Militant videoAbou Bakr al-Baghdadi
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La femme d'Abou Bakr al-Baghdadi, dirigeant de l'organisation terroriste Daech et calife autoproclamé de tous les musulmans, a fui son mari et le territoire contrôlé par l’État islamique.

Si cette information nous en dit un peu plus sur la vie privée de l'homme qui dirige la plus sinistre des organisations terroristes de notre époque, on en sait toujours très peu sur l'identité d'al-Baghdadi, non seulement en Occident mais même parmi les sujets du califat. Le journal en ligne russe Lenta.ru a étudié la biographie du guide du djihadisme mondial pour essayer de comprendre sa transition d'une enfance calme à un extrémisme impitoyable.

L'enfance du futur "calife"

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Ibrahim Awad Ibrahim Ali al-Badri est né à Samarra, au nord de Bagdad, en 1971. A l'époque, en Irak, le pouvoir était détenu par le parti séculaire panarabe de gauche Baas.

Son père Awad participait activement à la vie religieuse de la communauté et enseignait à la mosquée locale. Certains proches d'Ibrahim ont même rejoint le parti dirigeant: deux oncles du futur calife ont travaillé pour les services de renseignement du président Saddam Hussein, l'un de ses frères a été officier dans l'armée de Hussein, et un autre est mort pendant la guerre Iran-Irak. Au début du conflit, Ibrahim était encore trop jeune pour y participer.

D'autres de ses proches étaient partisans du salafisme — son père également, selon certaines informations. A la même époque, le régime laïque de Saddam Hussein cherchait à limiter l'influence des radicaux et à les mettre de son côté: c'est pourquoi l'Université des sciences islamiques a ouvert ses portes en 1989 à Bagdad.

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A partir de 1993, le dirigeant irakien a commencé une "campagne pour le retour à la foi": les boîtes de nuit ont commencé à fermer, il était interdit de consommer de l'alcool en public et les normes de la charia ont été introduites de manière limitée (on coupait une main aux coupables de vol notamment). Saddam Hussein a même donné 28 litres de son propre sang, sur plusieurs années, pour la rédaction d'une copie du Coran placée dans l'une des mosquées de la capitale.

Quand l'avocat devient extrémiste

A l'âge d'entrer dans le secondaire, al-Badri a tenté d'entrer à l'université de Bagdad à la faculté de droit, mais il a échoué à cause de sa mauvaise connaissance de l'anglais et de notes insuffisantes. Il intégrera finalement la faculté théologique, puis l'université des sciences islamiques où il obtiendra une maîtrise en lectures du Coran.

Pendant ses études, à l'initiative de son oncle, Ibrahim rejoint les rangs des Frères musulmans. Cette organisation islamiste supranationale prônait la formation d'États islamiques religieux, mais dans la plupart des pays ses adeptes avaient choisi une tactique prudente et ne soutenaient pas la lutte armée contre les autorités. Al-Badri trouvait cette attitude trop souple: il qualifiait ceux qui l'adoptaient "d'hommes de discours" et non "d'actes". Le futur calife a donc rapidement rejoint les membres les plus radicaux de l'organisation.

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Après avoir obtenu sa maîtrise en 2000, al-Badri s'est installé dans un petit appartement d'un quartier pauvre de Bagdad, près d'une mosquée. En quatre ans, il changera deux fois de femme et deviendra père de six enfants. Le futur leader de Daech gagne alors sa vie en enseignant aux enfants la lecture du Coran et en appelant les fidèles à la prière. Au sein du club de football de la mosquée, al-Badri jouait si bien qu'il avait été surnommé "notre Messi". Il veillait aussi à la piété islamique: selon les témoignages de voisins, en voyant un jour à un mariage des hommes et des femmes dansant ensemble, Ibrahim avait résolument exigé de mettre fin au désordre.

L'académie du djihad

En 2004, il est arrêté par les Américains pour s'être rendu chez un ami recherché. Le futur calife est alors envoyé vers le Camp Bucca, où l'administration d'occupation américaine retenait les Irakiens suspects. Les rituels religieux n'y étaient pas interdits et le futur calife en a profité habilement: il tenait des lectures sur la religion, organisait des prières le vendredi et donnait des conseils aux prisonniers conformément à sa perception de l'islam.

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Les détenus racontent que le Camp Bucca s'était transformé en véritable académie du djihadisme. "Éduque-le, impose ton idéologie et indique-lui la voix à suivre pour qu'au moment de sa libération il devienne une flamme brûlante": telle était la stratégie des théologiens islamiques à l'intérieur du camp de filtration envers tout nouvel arrivant, résume l'un des anciens détenus.

Les gardiens identifiaient les leaders potentiels et cherchaient à disperser dans différentes cellules les branches terroristes en cours de formation. Seul problème: ils n'ont pas réussi à voir en Ibrahim al-Badri, homme discret, le futur Abou Bakr al-Baghdadi. "C'était un mauvais gars, mais pas le pire des pires", partage le sergent Kenneth King, ancien gardien du Camp Bucca. Selon lui, al-Badri n'était même pas détenu avec les suspects dangereux.

En 2006, il est libéré. "Bon, les gars, on se verra à New York", aurait dit le futur calife aux gardiens avant de partir. "C'était dit de manière pacifique, un peu comme on dirait "à un de ces quatre"", reconnaît King.

Califat de carrière

Après sa remise en liberté, al-Badri prend contact avec des hommes d'Al-Qaïda en Irak, où on lui suggère de partir à Damas. Dans la capitale syrienne il peut travailler pour les terroristes mais aussi terminer sa thèse. A l'époque, parmi les djihadistes, naît un conflit qui entraînera la transformation de la branche irakienne d'Al-Qaïda en "État islamique en Irak".

Doté d'une éducation religieuse solide, al-Badri tombait on ne peut mieux: il a été nommé responsable des questions religieuses dans les "provinces" irakiennes de l'organisation. Le califat n'ayant pas de territoire à l'époque, Ibrahim élaborait la stratégie propagandiste et veillait à ce que les djihadistes respectent rigoureusement les prescriptions religieuses.

En mars 2007, il revient à Bagdad pour défendre sa thèse et devient docteur en études du Coran. Sa réussite a attiré l'attention du leader de l'État islamique en Irak Abou Ayyoub al-Masri, qui fait alors de lui le chef du Comité de la charia — c'est-à-dire le responsable de tout le travail religieux de l'organisation terroriste.

En 2010, Masri est tué et Daech n'a plus de leader. Sa place est rapidement convoitée par Haji Bakr, ancien officier du renseignement de Saddam Hussein et principal stratège de l'État islamique en Irak. Mais il ne pouvait pas devenir leader de l'organisation: compromis par sa réputation d'ancien agent, Haji Bakr a réussi à faire élire al-Badri au poste de chef provisoire. Bakr espérait pouvoir contrôler le nouvel "émir", ce qu'il a réussi en partie: des anciens membres des services secrets de l'époque de Saddam Hussein ont été nommés aux postes-clés.

En 2013, l'organisation commence à participer aux combats sur le territoire syrien et change de nom pour devenir "État islamique en Irak et au Levant" (EIIL). Puis, après la guerre-éclair de l'été 2014, seulement "État islamique" (Daech). Au même moment, al-Badri s'est proclamé calife sous le nom d'Abou Bakr al-Baghdadi.

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"J'ai été nommé pour vous diriger mais je ne suis pas le meilleur d'entre vous. Si vous voyez que j'agis bien, suivez-moi. Si vous voyez que j'agis mal, donnez-moi un conseil et guidez-moi. Si je désobéissais à Allah, ne m'écoutez pas", a-t-il déclaré dans son premier discours public en tant que dirigeant du pseudo-État — il paraphrasait alors la déclaration du calife Abou Bakr, premier dirigeant de la communauté musulmane après la mort du prophète Mahomet.

Les compagnes d'Abou Bakr

On sait peu de choses des deux femmes d'al-Badri, avec qui il a vécu jusqu'en 2004 — elles restaient à la maison et ne se montraient pas en public. Celle qui s'est enfuie fin février 2016 s'appelait Diane Kruger, et a pu s'enfuir avec l'aide de deux de ses amies. La presse irakienne a annoncé qu'al-Baghdadi avait envoyé des tueurs à la poursuite de ces femmes: en vain.

Dans le califat, Diane était responsable de l'organisation de la vie des femmes. Elle formulait notamment les règles de leur conduite selon les normes de la charia et dirigeait la "police des mœurs" féminine, qui veillait à ce que les femmes n'apparaissent pas en public sans être accompagnées par un homme (mari ou proche de sexe masculin) et sans porter une tenue suffisamment modeste. Sous son autorité, les policiers agissaient avec la violence caractéristique de Daech: une jeune femme syrienne a notamment été battue à mort en janvier 2016 à titre d'exemple pour sa tenue "indécente".

Le travail de Kruger avait également une composante militaire: elle dirigeait un véritable centre de formation de femmes kamikazes à Kirkouk, en Irak. Al-Baghdadi et Kruger, d'origine allemande, se sont mariés en octobre 2015; on ignore pour l'instant la raison de la discorde entre les jeunes mariés.

L'une des épouses les plus connues d'al-Baghdadi était Saja al-Dulaimi, surnommée "la calife" pour son influence dans le monde djihadiste. Le mariage, célébré en 2009, n'a duré que trois mois, mais Saja al-Dulaimi a beaucoup apporté au califat.

Après le divorce (les coutumes tribales irakiennes permettent de se séparer de son épouse assez facilement) elle est partie avec sa sœur et son père à Homs, en Syrie, où elle a été capturée par les troupes loyales au président Bachar al-Assad en mars 2014. Par la suite, les terroristes du Front al-Nosra l'ont échangée avec encore 149 femmes et enfants contre 13 sœurs orthodoxes grecques.

"Nous avons libéré notre sœur, l'épouse du cheikh Abou Bakr. Nous l'avons fait car c'était notre devoir", écrivait à l'époque sur Twitter l'un des "émirs" du groupe. Abou Bakr, de son côté, n'a pas réagi à cet événement.

Après sa libération, Saja est partie avec des réfugiés au Liban, puis a traversé plusieurs fois la frontière entre les deux pays en cachant sous sa burqa des bijoux et de l'argent reçus des sponsors des groupes terroristes. Sans cacher son visage sous un hijab, elle appelait publiquement les femmes du monde entier à rejoindre l'État islamique, promettant à leurs maris fidèles une vie décente. Son image contrastait à tel point avec l'image typique de la femme sans droits de la société des islamistes radicaux qu'on a commencé à l'appeler "homme d'honneur".

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Début 2015, elle est faite prisonnière pour la deuxième fois: les autorités libanaises l'ont arrêtée avec ses jeunes enfants (dont la fille d'Abou Bakr, 5 ans) alors qu'elle traversait la frontière. Al-Baghdadi n'a pas non plus commenté cet événement après que Saja al-Dulaimi et l'enfant ont été libérés une nouvelle fois par le Front al-Nosra, échangés avec 12 autres personnes contre des soldats libanais prisonniers.

On sait également que la fonctionnaire américaine Kayla Mueller, faite prisonnière en 2013, était également considérée par Abou Bakr comme sa "femme" et qu'il a violée jusqu'à ce qu'elle ne meure (selon Daech suite aux frappes américaines, selon les USA tuée par des djihadistes). Mueller était prisonnière avec une jeune Yézidie qui a réussi à fuir Daech; selon elle, Abou Bakr avait trois femmes "officielles".

10 millions de dollars de récompense

Les autorités américaines promettent 10 millions de dollars pour la tête d'Abou Bakr al- Baghdadi: sur le site rewardsforjustice du département d'État, il est cité sous le pseudonyme Abou Du'a. Même si le leader d'Al-Qaïda Ayman al-Zawahiri "vaut" presque le double, depuis la mort d'Oussama Ben Laden c'est bien le calife autoproclamé Abou Bakr qui est considéré comme le terroriste numéro un aujourd'hui.

Daech, Al-Qaïda et le Front al-Nosra sont des organisations reconnues comme terroristes et interdites en Russie.

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