Coiffure, champagne et jours maudits: les superstitions des cosmonautes

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Même si la cosmonautique est un domaine où l'on manie les technologies les plus complexes et les plus avancées, elle est aussi sujette aux superstitions.

Tout cosmonaute partant dans l'espace doit ainsi accomplir une série de rites complexes pour ne pas risquer que le vol tourne à la catastrophe — entre talismans, chants et culte de Gagarine…

Un lac russe décoré d’un immense portrait de Gagarine - Sputnik Afrique
Un lac russe décoré d'un immense portrait de Gagarine
Tout cela n'est finalement pas si surprenant: les lois de la psychologie sont presque aussi inflexibles que celles de la physique. On sait que les superstitions sont particulièrement courantes dans les domaines où l'homme est sujet à un niveau de stress élevé — par exemple quand il s'exprime en public ou quand son travail présente un risque pour sa vie. Ce risque, justement, est très élevé dans la cosmonautique contemporaine: sur 483 individus qui ont officiellement séjourné dans l'espace, 18 en sont morts. Le taux de mortalité de la profession s'élève donc à 3,74%, ce qui fait de la cosmonautique l'un des métiers les plus dangereux au monde. A titre de comparaison, la mortalité parmi les militaires américains pendant la guerre d'Irak (2003-2006) était de 0,39%, et de 2,18% pendant celle du Vietnam (1966-1972).

Compte tenu de ce risque, il n'est pas étonnant que les cosmonautes se sentent plus rassurés et psychologiquement stables grâce à des rites et aux talismans en tout genre. C'est un besoin naturel de notre psyché, qui se tourne vers une force capable de parer les coups du sort en cas de danger.

"L'esprit corporatif" explique aussi également cet attachement aux rites. Les cosmonautes font partie d'un groupe professionnel d'élite fermé et ont donc psychologiquement besoin de signes et de symboles qui les distingueraient des autres "simples mortels". C'est justement le rôle de l'accomplissement commun de rites à première vue insensés. Les participants renforcent ainsi la cohésion de l'équipe en soulignant leur exclusivité.

C'est certainement en Russie que les cosmonautes ont le plus de superstitions. Certaines viennent d'apparaître, d'autres remontent aux premiers vols habités dans l'espace, voire au début de l'époque soviétique ou aux anciennes visions orthodoxes.

Plusieurs traditions et superstitions ont été instaurées au temps de Sergueï Korolev. Le premier constructeur général trouvait notamment que le lundi était un jour de malchance et ne programmait jamais de lancement ce jour de la semaine. Ou encore, pendant un certain temps, les moustachus n'étaient plus admis à partir dans l'espace: en 1976 le cosmonaute moustachu Vitali Jolobov s'était senti si mal pendant le vol que la mission avait été interrompue par anticipation. Cette tradition a disparu aujourd'hui.

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D'autres superstitions de la cosmonautique russe viennent de la marine. Historiquement, en effet, les cosmonautes étaient généralement recrutés parmi les pilotes de la marine. Pendant un certain temps, on estimait ainsi qu'une femme à bord était un mauvais signe non seulement pour les navires, mais aussi pour les vaisseaux spatiaux. Le 19 avril 2008, la capsule descendue par le vaisseau Soyouz TMA-11 a suivi une trajectoire balistique avant d'atterrir violemment à 400 km de la destination prévue: son équipage se composait de deux femmes et d'un homme. Le président de l'agence spatiale russe Anatoli Perminov avait alors déclaré: "Nous allons faire en sorte que désormais, le nombre de femmes à bord ne dépasse pas celui des hommes".

Aujourd'hui les rites commencent à la Cité des étoiles, dans la région de Moscou, où les cosmonautes ont suivi une longue formation. Le futur équipage visite le mémorial consacré à Iouri Gagarine ainsi qu'aux premiers cosmonautes morts au cours des missions spatiales — Vladimir Komarov (le vol de son vaisseau Soyouz 1 a eu plusieurs problèmes, après quoi il a été suspendu par anticipation mais le système de parachutes n'a pas fonctionné au moment de l'atterrissage), Gueorgui Dobrovolski, Viktor Patsaev et Vladislav Volkov (de retour de l'orbite du vaisseau Soyouz 11, tous les trois sont morts à cause de la dépressurisation de la capsule).

Puis les cosmonautes se rendent dans le bureau de travail de Iouri Gagarine, resté tel que le premier cosmonaute l'avait laissé, et inscrivent une note dans le livre des visiteurs. Selon les rumeurs, ils font également appel à l'esprit de Gagarine en pensée pour lui demander l'autorisation de partir dans l'espace. Ce fantôme les accompagnera par la suite — nous y reviendrons.

En arrivant à Baïkonour, l'équipe s'installe traditionnellement à l'hôtel Kosmonavt, qui a accumulé depuis son ouverture tellement de superstitions et de légendes que dans 11 ans quand, les vols pilotés s'élanceront du nouveau cosmodrome Vostotchny (selon le projet), il est possible que l'hôtel soit contraint d'y déménager aussi. Devant le bâtiment s'étend une allée d'arbres dont chacun a été planté par un cosmonaute revenu de l'espace. Le futur équipage spatial se promène obligatoirement dans cette allée, faisant appel aux esprits des cosmonautes et absorbant une partie de leur chance.

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Plus le jour du lancement approche, plus les rites deviennent sophistiqués. La fusée Soyouz est avancée sur la base de lancement 48 heures avant son départ et les techniciens qui suivent le passage de l'immense fusée sur un train spécial placent des pièces de monnaie sur les rails — pour porter chance. Par contre, il est strictement interdit à l'équipage d'observer ce processus — tout comme on n'a pas le droit de voir la robe de la mariée avant le mariage au risque de s'attirer des malheurs. En revanche, ce jour-là les cosmonautes doivent se couper les cheveux — un peu comme les moines qui, ce faisant, se détachaient de la vie mondaine. A partir de là, leur vie est dédiée à l'espace.

Jamais un lancement ne sera programmé un 24 octobre — considéré comme malchanceux depuis les premières années de la cosmonautique soviétique. En 1960, à Baïkonour, la fusée d'essai R-16 a explosé à la base de lancement faisant 72 morts (125 selon d'autres informations), y compris le maréchal Mitrofan Nedeline, commandant des Troupes russes de missiles stratégiques (RVSN). Trois ans plus tard, à la même date, un incendie s'est déclaré dans un silo où se trouvait le missile R-9 — 7 morts. Depuis, cette date est considérée comme un "jour mort" pour la cosmonautique russe, pendant lequel aucun lancement n'a lieu.

Aujourd'hui, à la veille d'un lancement, l'équipage reçoit la bénédiction d'un prêtre orthodoxe avec de l'eau bénite. A l'hôtel, on diffuse obligatoirement le film Le Soleil blanc du désert et il est obligatoire pour les cosmonautes d'y assister. Cette tradition est également associée à la mort tragique de l'équipage du Soyouz 11: tout le monde attendait le vol suivant en retenant son souffle et quand il s'est déroulé avec succès on a pris note de certains actes qui avaient "porté chance" à l'équipage. Il s'est avéré entre autres que les cosmonautes avaient regardé Le Soleil blanc du désert avant leur départ, et c'est alors devenu une tradition. Quelque temps avant le décollage, l'équipage avait également participé à un quizz amusant sur les passages de ce film. Les questions sont prévues uniquement pour les connaisseurs, par exemple: "Quel était le nom de la troisième femme d'Abdullah?".

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Enfin, c'est le jour J. Au petit déjeuner les cosmonautes boivent une gorgée de champagne (l'équipage doublure boit 100 grammes d'alcool fort) et laissent des autographes sur les portes de leurs chambres. Leur départ est accompagné par la célèbre chanson du groupe "Terriens" intitulée L'herbe chez soi.
Tout le monde s'installe alors dans un bus orné de fers à cheval, et sur le chemin on écoute l'"esprit de Gagarine" pour savoir s'il donne son autorisation de partir dans l'espace. A l'arrivée les passagers descendent du bus, et toute l'équipe imite Gagarine avant son premier vol en urinant sur la roue arrière droite — les femmes sont dispensées d'accomplir ce rite, même si on dit que les plus superstitieuses d'entre elles préparent à l'avance un bocal d'urine pour arroser la roue. Certaines femmes, comme la première femme touriste sur orbite Anouseh Ansari, l'ont fait en pensée. Et le premier cosmonaute malaisien Sheikh Muszaphar Shukor se souvient qu'il avait eu besoin de cinq minutes pour ouvrir sa combinaison et autant pour la refermer, mais a dit avoir "beaucoup apprécié" d'accomplir cette tradition.

Le chef d'équipage rend alors compte au responsable présent sur le cosmodrome. Il dit sa disposition à remplir sa mission et reçoit le feu vert pour monter à bord. Sachant que tout le monde doit répéter le fameux geste de Gagarine — faire un geste de la main. Et on ne dit pas adieu: c'est un mauvais signe.

L'équipage doublure, qui s'est entraîné pendant ce temps dans le vaisseau, laisse la place à l'équipage principal et sort avec les journalistes. Il reste encore près d'une demi-heure avant le départ et les doublures doivent remplir leurs obligations rituelles: boire un verre au succès avec tous les journalistes présents. On dit que les cosmonautes n'ont pas respecté cette tradition à deux reprises et que les lancements avaient échoué.

Selon la légende, cette tradition a été instaurée par les journalistes — le correspondant du journal Leninskaïa smena Gueorgui Loria et le chef du centre de persse de Baïkonour Iaroslav Netchessa — qui, en assistant au lancement vers la station Mir en mars 1992, avaient eu froid et étaient partis "se réchauffer" dans un café d'où sortaient les doublures de l'équipage Soyouz TM-14 Anatoli Soloviev et Sergueï Avdeev. Ils n'avaient pas refusé la proposition de boire un verre et quand tout le monde avait bu, Loria a regardé sa montre et dit: "Il reste encore une demi-heure avant le départ".

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Pendant ce temps, l'équipage principal s'installe à bord et y installe son talisman. Chaque équipe a le sien et son choix est la prérogative du capitaine. En général, c'est un petit jouet fixé sur une corde qu'on appelle Boris. Boris est donc fixé dans le compartiment de l'équipage de manière à être visible par les caméras qui suivent l'équipage pendant le lancement et la sortie en orbite. Boris tient de la superstition mais a aussi un aspect pratique. Ce n'est pas seulement un talisman mais aussi un indicateur pour l'équipe au sol, qui montre si le vaisseau a atteint l'altitude où la force de la gravité terrestre est presque nulle: le jouet cesse d'être suspendu et commence à léviter.

A bord de la station orbitale, les nouveaux membres d'équipage sont traditionnellement accueillis avec du pain et du sel. De retour sur Terre, ils accomplissent une nouvelle série de rites: ils signent la capsule de descente noircie, l'intérieur de l'hélicoptère venu les rechercher mais aussi la bouteille de vodka sur laquelle ils avaient inscrit leur nom avant le lancement. Dans la fameuse allée de Baïkonour, ils plantent leur propre arbre dont les voix aideront les équipages suivants. Et tout se termine à la Cité des étoiles par un hommage à Iouri Gagarine, qui a apporté un soutien précieux aux voyageurs.

 

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