Le déploiement américain en Europe de l’Est n’a rien d’une Guerre froide

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Le Pentagone déploie des contingents supplémentaires sur le territoire des nouveaux membres de l’OTAN. Derrière cet apparent retour de la Guerre froide se cachent des calculs bien actuels. Analyse.

Une nouvelle brigade blindée américaine sera déployée en Europe de l'Est; 4500 soldats assureront des rotations de 9 mois tandis que leur matériel lourd restera en permanence en Europe. C'est ce qu'a affirmé le Général Joseph Dunford dans une interview auprès du magazine Foreign Policy.

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Le Pentagone veut accroître sa présence en Europe
Il faut rappeler que, selon les militaires américains, la Russie constitue la plus grande menace pour la sécurité des États-Unis; la nouvelle aide apportée par Washington aux nouveaux pays membres concerne aussi l'approvisionnement en matériel militaire des pays d'accueil (guerre électronique, missiles balistiques, bombardiers longue distance). Depuis la crise de Crimée, ce ne sont pas moins de 3,4 milliards de dollars qui ont été investis dans des exercices militaires.

M. Dunford s'était déjà distingué en déclarant en juillet dernier que la Russie était la plus grande menace à la sécurité américaine.

Si ces déploiements s'inscrivent le cadre de la coopération avec les nouveaux pays membres de l'OTAN, ils semblent relever surtout des peurs héritées de la Guerre froide. Est-ce la seule motivation de cette réaffectation des troupes américaines en Europe?

​Messieurs Gilbert Roger (Membre titulaire de la Délégation française à l'Assemblée parlementaire de l'OTAN), Roland Hureaux (Essayiste français, ancien haut fonctionnaire), Alexandre Vautravers (analyste en conflits et résolution des conflits du Geneva Centre for Security Policy) confrontent leurs points de vue sur ces grandes manœuvres.

Gilbert Roger: "Elle (la réaffectation, ndlr) correspond tout à fait aux engagements américains au sein de l'OTAN. Les Français par exemple viennent d'envoyer les Mirages 2000 principalement en Pologne et dans les états baltes, pour la surveillance aérienne; donc c'est conforme à ce que nous appelons la réassurance; à côté il y a le conflit non résolu en Ukraine"

Alexandre Vautravers:"Je ne pense pas qu'il y ait de lien avec la Guerre froide. Je pense qu'il faut relativiser ces chiffres, car ils montrent que le nombre de troupes américaines en Europe est le plus bas depuis 60 ans. Il ne faut pas faire de lien directement avec la mobilisation russe de l'autre côté de la frontière ukrainienne. La présence américaine s'explique en grande partie par une demande sécurité de la part des états d'Europe de l'Est."

​Pour autant, l'Europe n'est plus autant qu'avant le centre des préoccupations américaines. Ce redéploiement de troupe a lieu alors que Washington redistribue ses cartes en Asie pour contrer l'influence chinoise:

Gilbert Roger : "Les USA voient de plus en plus du côté de l'Asie: le développement des coopérations avec le Japon, la Corée du Sud, et même le Viêt Nam —, mais en même temps, on sait que l'Europe a toujours eu des relations particulières avec les Américains et on sait aussi que nos frontières à l'Est et au sud doivent être protégées. "

Faut-il voir dans ces gestes forts un poids de plus en plus important de l'état-major américain dans la politique extérieure américaine?

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Gilbert Roger: "Nous sommes dans la tournée d'adieu d'Obama, et dans l'incertitude de savoir qui sera le prochain président ou la prochaine présidente des États-Unis. "

Alexandre Vautravers: "Depuis une vingtaine d'années, les États-Unis ont développé une doctrine de smart power: après avoir confié l'essentiel des décisions aux diplomates, il y a aujourd'hui une volonté de coordonner les efforts diplomatiques avec la présence militaire."

Roland Hureaux: "On ne sait pas vraiment qui commande à Washington, mais il y a tout un complexe qui comprend certes les dirigeants de la défense, mais aussi la CIA, des lobbies industriels et bancaires, de nombreux think tanks (financés soit par les industries d'armement, soit par les banques) qui diffusent des idées et des discours qui vont le même sens, et alimentent quelque chose qu'on peut assimiler à une paranoïa dans les cercles influents de Washington. Ces cercles sont particulièrement inquiets de voir l'ascension de Donald Trump, qui jusqu'ici échappe complètement à cette idéologie."

​Le moins que l'on puisse dire est que l'Europe fournit un contexte complaisant à ces démonstrations de force américaines. Elle ne se prive en effet pas de pointer du doigt le supposé danger russe, comme le montre une proposition de résolution de la commission d'affaires étrangères du parlement européen, qui porte sur la propagande russe et l'effet déstabilisant que celle-ci amènerait dans l'Union.

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Breedlove appelle les USA à renforcer leur surveillance de la Russie
Alexandre Vautravers: "Je ne sais pas si les chars dont il est question ici sont des outils de propagande ou de contre-propagande; le renforcement de cette présence américaine est essentiellement dû à la demande de certains États centre-Européens, au manque de sérieux et au manque de moyens de la plupart des États membres occidentaux européens de l'OTAN: ils ne disposent plus, après avoir professionnalisé et diminué leurs forces, de forces suffisantes pour rassurer leurs partenaires d'Europe Centrale."

Roland Hureaux : "Le Parlement européen, comme la plupart des dirigeants en Europe, n'ont plus de véritable indépendance, inféodés au pouvoir de Washington. Du temps du communisme, il y avait eu une stratégie très puissante d'influence en Europe occidentale, mais cette stratégie d'influence est aujourd'hui très faible, si on la compare avec celle menée par les États-Unis."

Le principal reproche qui est fait à la Russie serait-il finalement de ne pas être aligné sur les positions de Washington et sa vision unipolaire du monde, Moscou défendant ses intérêts dans une perspective multipolaire des relations internationales?

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Alexandre Vautravers: "Il y a des manières différentes d'envisager les relations internationales. Une manière plutôt idéaliste, et qui se base sur la coopération, la diplomatie, le désarmement, la liberté de commerce et les marchés communs; une vision partagée par un certain nombre de pays à travers le monde, majoritaire en Occident. Et il y a d'autres États qui continuent à vouloir utiliser la force pour avancer leurs objectifs dans les relations internationales. C'est cela le véritable clivage aujourd'hui. "

Roland Hureaux : "Le prochain épisode de ce clash se produira dans les élections présidentielles américaines entre M. Trump et Mme Clinton. Hilary Clinton, qui a approuvé toutes les décisions politiques étrangères depuis 20 ans […] elle a joué un rôle de faucon et a toujours pris le parti de l'idéologie universaliste et d'une intervention armée. Or, il est clair que M. Trump a prononcé récemment un discours de politique étrangère, dans lequel il récuse ces orientations."

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À l'heure où le TAFTA semble loin d'être ratifié, la présence américaine sur le sol européen se fait de plus en plus présente. Une manière de compenser l'échec probable de l'intégration économique transatlantique par une intégration politico-militaire plus poussée? Les évènements se sont enchaînés très rapidement depuis 2014. Washington devrait savoir que la sécurité est un bien commun et non pas une conception unilatérale, surtout au sein d'une alliance.

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