Faut-il appeler un chat un chat et un djihadiste un terroriste?

© AFP 2023 RAMI AL-SAYEDMember of the Islamist group Ansar al-Islam and the Ahrar ash-Sham (Islamic Movement of the Free Men of the Levant) group
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La Russie a demandé à L’Onu de placer deux groupes djihadistes, aux liens avérés avec Daech et Al-Quaeda, sur la liste noire de l’Onu. Mais quatre pays, dont les USA, ont refusé de les reconnaître comme "terroristes". Une étrange décision qui cache bien des arrière-pensées. Analyse.

Faut-il distinguer les "bons" terroristes des "mauvais"? Un débat d'apparence surréaliste qui a animé les Nations Unies.

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La Russie a demandé de placer les groupes Jaysh al-Islam et Ahrar al-Sham sur la liste des groupes terroristes reconnus officiellement par l'Onu, avec un argument simple: les liens directs des deux groupes armés avec Al-Qaïda et Daech. Mais quatre pays ont d'ores et déjà rejeté ce projet de résolution: les États-Unis, le Royaume-Uni, la France et l'Ukraine. Washington craint en effet un éventuel effet négatif de cette mesure sur le maintien du cessez-le-feu en Syrie.

Selon Gérard Bapt, député PS et président de groupe d'amitié France-Syrie, la proposition russe est tout à fait justifiée:

"Les deux groupes en question, Ahrar al-Sham qui se situe au nord d'Alep et à Idlib est très allié avec Al-Nosra, et le second groupe, Jaysh al-Islam, basé au sud de Damas, sont clairement des groupes djihadistes terroristes. Par contre, je pense que la décision de ne pas reconnaître leur classement comme +terroristes+ vient du fait qu'à l'heure actuelle ces pays ont considéré à tort ou à raison qu'il pouvait s'agir d'une nouvelle cause de rupture généralisée du cessez-le-feu, auquel par ailleurs à la fois les États-Unis et la Russie tiennent, en dehors bien entendu de l'État islamique et d'Al-Nosra. Par contre, le groupe Jaysh al-Islam, après la mort dans un bombardement de son chef sanguinaire nommé Alloush, a explosé en plusieurs groupes qui se combattent entre eux. Donc à cet égard la situation est complexe."

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Vitali Tchourkine, ambassadeur de Russie aux Nations Unies, signale que Jaysh al-Islam et Ahrar al-Sham reçoivent un soutien financier, logistique et militaire de Daech et Al-Qaïda. D'après Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français et directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R), c'est surtout Al-Qaïda qui parraine les deux groupes:

"L'affaire est extrêmement compliquée. Les deux groupes que vous citez en réalité n'ont pas de rapport avec Daech mais beaucoup plus avec Al-Qaïda, +canal historique+. C'est-à-dire que le premier a été infiltré depuis de longues années par des activistes d'Al-Qaïda et que c'est en réalité une émanation d'Al-Qaïda. Le deuxième est un petit peu plus discret, mais effectivement de nombreuses rumeurs laissent à penser qu'il dépendrait également d'Al-Qaïda. Donc il faut replacer l'affaire dans son contexte, ce sont donc deux groupes [qui s'inscrivent] dans la politique d'Al-Qaïda, laquelle est si possible en Syrie de rester masquée, masquée entre guillemets puisqu'il y a tout de même Al-Nosra qui est son bras armé officiel. Mais il a infiltré d'autres mouvements, dont les deux que nous citions, mais ne tient pas à ce que cela soit ouvertement connu sur la place publique dans la mesure où il veut dissimuler cette allégeance."

Les informations sur ces liens avec Al-Qaïda sont connues de tous les services de renseignement, notamment des pays qui ont refusé la proposition de Moscou. Dans ces conditions, pourquoi l'ONU ferme-t-elle les yeux sur des faits indéniables? Alain Rodier analyse la réaction onusienne:

"Tout se joue sur ce que va devenir le front syro-irakien parce que moi je lie les deux, c'est à peu près la même affaire, parce qu'en réalité il y a un +Sunistan+ qui est en train de se créer entre les deux pays et il va bien falloir à un moment ou à un autre parler à différents responsables de ce +Sunistan+. Pour le moment, il est dirigé par Daech, mais il subit la pression effectivement d'Al-Nosra et d'autres mouvements très proches d'Al-Qaïda parce qu'il y a une fracture entre ces deux mouvements qui sont pourtant de même obédience djihadiste, mais les deux mouvements se concurrencent. Donc on peut supposer que dans les arrière-pensées de différents responsables politiques, ils espèrent que les mouvements affiliés plus ou moins directement ou secrètement à Al-Qaïda arriveront à bout de Daech."

Pourquoi en effet chercher une solution au problème du terrorisme s'il existe une éventuelle possibilité de laisser les djihadistes s'entre-tuer? Instrumentaliser les terroristes et espérer qu'ils ne vont pas se retourner contre vous est une constante de la politique américaine, avec les conséquences que l'on sait.

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Quatre pays se sont prononcés contre le placement de Jaysh al-Islam et d'Ahrar al-Sham sur la liste des groupes terroristes, mais il reste encore 11 pays au sein du Conseil de Sécurité de l'ONU. Un espoir de voir la résolution ruse finalement adoptée? Alain Rodier n'y croit guère et estime que le reste des membres vont suivre le chef de la Coalition Internationale:

"Nous sommes ici exactement dans la politique d'influence et il est évident qu'à l'heure actuelle, il y a une opposition entre Washington et Moscou. Donc ce problème dépasse largement le contexte syro-irakien que j'ai évoqué précédemment. Il est évident qu'un certain nombre de pays suivent la ligne de Washington pour le moment dans cette opposition frontale avec Moscou. Personnellement, j'en suis extrêmement chagriné parce que je pense que les négociations et les discussions sont nettement préférables à une politique de confrontation, mais là nous sommes dans une affaire de confrontation à front renversé, je dirais presque, et c'est extrêmement compliqué de dénouer les différents intérêts des uns et des autres."

Terroristes ou pas terroristes? Les divergences concernant la "modération" de certains groupes armés sont toujours d'actualité. En espérant qu'avec cet amour pour la modération, un nouveau terme comme "terroriste modéré" ne fera pas bientôt partie de notre vocabulaire.

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