Libération de Raqqa : la coopération USA-Russie compromise ?

© Sputnik . Hikmet DurgunLes Forces démocratiques syriennes sur point de libérer Raqqa
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Le fief de Daech en Syrie, bientôt libéré? Une grande offensive est lancée sur la ville de Raqqa…

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Daech perd le contrôle d’un site stratégique près de Raqqa
Un tournant historique s'annoncerait en Syrie. Raqqa, la capitale de Daech dans le pays depuis 2013, est la cible principale depuis le 24 mai des Forces démocratiques syriennes. Le front s'est étendu à dix kilomètres. Quelques 5000 terroristes de Daech se trouvant actuellement à Raqqa sont sous le feu des 50 000 combattants des forces de l'opposition dont des Kurdes et des Arabes. Quelques villages et fermes au Nord de la ville ont déjà été libérés. Le moment de l'assaut principal n'est pourtant pas clair pour l'instant.

Quelques heures avant l'attaque, l'Union démocratique kurde faisant partie des Forces démocratiques syriennes, annonçait qu'elle allait coordonner ses actions à la fois avec les USA et la Russie. Une proposition qui gêne, semble-t-il, Washington. Karim Pakzad, chercheur à l'IRIS, spécialiste du Moyen Orient, nous explique pourquoi.

« Depuis le combat à Kobané où les Kurdes ont résisté contre l'offensive de Daech, les USA et d'autres pays occidentaux aident, y compris militairement, les Kurdes. Parmi toutes les forces qui existent en Syrie, c'est la seule force laïque. Or, cette force laïque a des contacts avec le régime syrien. Celui-là a même protesté lorsque l'ONU n'a pas invité cette coalition à la table des négociations à Genève contrairement à ce que demandaient l'Iran, la Russie et la Syrie. Donc il y a une certaine divergence entre les USA et les autres pays notamment ceux qui soutiennent le régime syrien, à savoir l'Iran et la Russie, vis-à-vis de cette force. »

Le ministère russe des AE a confirmé que Moscou était prêt à coopérer avec les forces d'opposition syrienne ayant lancées l'offensive ainsi qu'avec les USA et la coalition les soutenant. «…Nous sommes prêts pour une telle coordination, déclarait Sergueï Lavrov mardi. Je l'affirme en toute responsabilité. Raqqa est l'une des cibles de la coalition antiterroriste tout comme Mossoul en Irak. Nous sommes convaincus qu'il aurait été plus efficace et plus rapide de libérer ces agglomérations si nos militaires (ceux de la Russie et des USA) avaient commencé à coordonner leurs actions plus tôt. Il y a maintenant une chance qu'une telle coordination ait lieu. Nous pensons que l'aviation russe et celle de la coalition guidée par les USA doivent travailler simultanément… et aider ceux qui sont au sol à contrer réellement des groupes terroristes. Il s'agit là des forces armées de la République arabe syrienne et, évidemment, différentes milices kurdes y compris l'aile armée du parti de l'Union démocratique ».

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250 militaires américains débarquent en Syrie
Pour le moment, les USA restent réticents quant à une éventuelle coopération avec la Russie pour libérer Raqqa. Michelle Baldanza, porte-parole du département américain de la défense, a indiqué à Sputnik que les USA « n'envisageaient pas actuellement une opération militaire conjointe avec les Russes ». D'après Riadh Sidaoui, directeur du Centre arabe d'analyses et de recherches politiques et sociales basé à Genève, cette réticence est liée à la différence de stratégies des deux pays en Syrie.

« Je pense que c'est très difficile sur le terrain d'avoir une coordination entre la Russie et les Etats-Unis sur la scène syrienne. Pour une raison très simple. C'est que chaque pays a des objectifs totalement différents. Les Russes veulent stabiliser le pays, veulent que la sécurité règne et éliminer tous les terroristes. Mais les USA voient peut-être dans certaines branches des terroristes une force qui pourrait jouer un rôle fonctionnaliste, qui pourrait remplir cette tâche de diviser la Syrie. »

Mais de l'avis de Karim Pakzad, même s'il y avait un plan quelconque de division de la Syrie, il serait voué à l'échec, car plusieurs acteurs s'y opposeraient.

« Beaucoup parlent de cette division de la Syrie ou de l'Irak. Mais je pense qu'aucun pays occidental, ni la Russie ne sont pas prêts à reconnaître certaines divisions. Parce que si jamais on reconnaît une certaine division en Syrie, à ce moment-là il y aura une contagion… en Turquie, en Irak, en Iran. Et aucun de ces pays ne reconnaîtra cette division. C'est pour cette raison je ne crois pas à cette éventualité. »

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Syrie: Washington opposé à une opération anti-Daech conjointe avec la Russie
La Russie s'était réservé le droit de frapper les groupes qui ne s'étaient pas joints à la trêve, unilatéralement à partir du 25 mai. Mais mercredi elle a reporté ces possibles frappes à la demande de certains groupes armés qui envisagent de prendre leurs distances avec le Front Al-Nosra et de commencer à respecter le cessez-le-feu. Selon le porte-parole du Ministère russe de la défense Igor Konachenkov, en quelques jours, le Centre de conciliation des belligérants basé en Russie a reçu une dizaine de demandes de la part des groupes armés de provinces syriennes dont principalement ceux d'Alep et de Damas. « Ils ont demandé de ne pas frapper avant qu'ils ne se distancient pas des combattants du Front Al-Nosra», a indiqué I. Konachenkov. Certaines de ces milices sont prêtes à fournir les coordonnées des territoires sous leur contrôle après que les terroristes aient été complétement chassés de ces régions.

Selon Karim Pakzad, la volonté des groupes rebelles de se distinguer des terroristes d'Al-Nosra reflète un changement définitif de la situation en Syrie.

« Cela veut dire que ces forces soutenues par les Américains commencent même à discuter de certains éléments militaires avec la Russie. Je pense qu'on ne peut pas combattre l'Etat islamique en Syrie et en Irak sans la collaboration entre l'Iran, la Russie, les USA et le régime syrien, et en Irak entre le gouvernement et les milices chiites et sunnites. Ces petits groupes ont compris que désormais ils n'ont pas d'avenir s'ils se collent toujours avec Al-Nosra. C'est la raison pour laquelle ils essayent aujourd'hui de s'éloigner d'Al-Nosra pour leur survie. C'est un élément essentiel qui montre qu'on est vraiment entré dans une période d'affaiblissement d'Al-Nosra et de Daech. Et l'offensive lancée par les Forces démocratiques syriennes dans le Nord de Raqqa le montre aussi. J'ai été à Bagdad il y a quelques jours et je vois que la situation commence à changer. »

Army Gen. Joseph Votel speaks to reporters Saturday, May 21, 2016 during a secret trip to Syria - Sputnik Afrique
La visite secrète du général US en Syrie, un jeu dangereux?
Les USA continuent pourtant d'avoir une attitude ambigüe vis-à-vis des terroristes du Front Al-Nosra. Le secrétaire du conseil de sécurité de la Russie M. Patrouchev l'a commenté mercredi: « Ils disent que l'opposition se trouve sur les mêmes territoires que le Front Al-Nosra, et c'est pour cette raison qu'il ne faut pas agir là-bas ».

Riadh Sidaoui souligne le rôle décisif de l'opération russe en Syrie qui a permis à des forces d'opposition de réévaluer les choses.

« C'est le rationalisme syrien. Cela veut dire que la guerre doit avoir fin un jour ou un autre, que le régime ne va pas tomber à la libyenne ou à l'irakienne en 2003. Le régime est encore solide. L'armée nationale syrienne est encore solide. En plus ses alliés sont déterminés. Ces opposants ont compris qu'ils ne pouvaient pas gagner dans l'autre camp. Ils sont en train de réviser leur position politique afin de prendre des positions plus rationnelles. L'intervention russe efficace, rapide, forte contre les terroristes a mis fin à tout espoir que le régime tombe et que les terroristes gagnent cette guerre. »

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Daech bat en retraite sous les coups des milices kurdes à Raqqa
Le parti kurde « l'Union démocratique » qui est aujourd'hui le fer de lance de l'offensive contre Daech en Syrie, est le principal partenaire en Syrie de la coalition internationale, mais aussi l'allié de la Russie. Ces milices entretiennent de bonnes relations avec les autorités russes depuis quelques années. Salih Muslîm, leur chef, était à la tête de la délégation kurde au moment des négociations avec l'opposition syrienne à Moscou, en janvier et en avril 2015. Il pourrait devenir également le représentant clé de la délégation kurde que la Russie propose d'associer aux pourparlers de Genève. La proposition de l'Union démocratique kurde de conjuguer les efforts russes, américains et ceux des Forces démocratiques syriennes intervient au moment crucial. Qu'en diront finalement les USA? La raison l'emportera-t-elle sur leurs ambitions?

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