La bataille navale la plus coûteuse de l'histoire (Partie 1)

© Flickr / Patrick McDonaldPeinture: la deuxième escadre de bataille de la Grande Flotte de la Royal Navy pendant la Première Guerre mondiale
Peinture: la deuxième escadre de bataille de la Grande Flotte de la Royal Navy pendant la Première Guerre mondiale - Sputnik Afrique
S'abonner
Le 31 mai 1916, les flottes britannique et allemande s'affrontaient dans une bataille générale hors du commun.

La Première Guerre mondiale s'est principalement déroulée sur la terre ferme, notamment parce que la Grande-Bretagne et l'Allemagne, qui avaient construit les flottes les plus puissantes du monde, ont longtemps hésité à mesurer leurs forces dans une bataille générale. Le 31 mai 1916, elles n'étaient d'ailleurs toujours pas assez préparées: les deux camps espéraient faire tomber l'autre dans un piège.

© WikipediaFlotte britannique, 1914
Flotte britannique, 1914 - Sputnik Afrique
Flotte britannique, 1914

Qui avait la supériorité numérique?

La course à l'armement naval entre l'Allemagne et la Grande-Bretagne avait déjà duré près de 20 ans au commencement de la guerre et avait dotés ces deux pays des plus grandes flottes de ligne au monde. Mais si, pour la Grande-Bretagne, la puissance en mer était habituelle, elle était une nouveauté pour l'Allemagne. La Première Guerre mondiale devait déterminer le vainqueur de la course mais comme le conflit a rapidement pris de l'ampleur, recouvrant l'Europe de lignes de front de la mer du Nord à la frontière suisse et de la mer Baltique à la Roumanie, il s'est avéré qu'aucun des belligérants n'était prêt à se lancer dans la bataille tête baissée.

© WikipediaSMS Seydlitz, croiseur de bataille de la Marine impériale allemande
SMS Seydlitz, croiseur de bataille de la Marine impériale allemande - Sputnik Afrique
SMS Seydlitz, croiseur de bataille de la Marine impériale allemande

La domination croissante des Anglais a déterminé la tactique des deux parties en mer du Nord. Celle de la flotte allemande passait par des opérations d'incursion de destroyers contre le littoral britannique et la navigation en mer du Nord — l'état-major comptant sur la sortie de leur base d'une partie des forces de l'ennemi, qu'il serait alors possible d'attirer dans un piège et de détruire, corrigeant ainsi le rapport défavorable des forces. Si les Anglais se révélaient trop puissants, les Allemands étaient censés reculer. De leur côté, les Anglais espéraient faire sortir toute la flotte située en haute mer allemande (du moins la majorité des navires) pour régler radicalement le problème de la domination maritime et éliminer leur ennemi.

La bataille de Dogger Bank, en janvier 1915, a été une expérience très enrichissante pour les Allemands. Un obus britannique de 343 mm a détruit les deux tourelles arrières du croiseur de bataille Seydlitz avec quatre canons de 280 mm, l'incendie s'est propagé jusqu'au sous-sol des munitions mais aucune explosion ne s'est produite et le navire est rentré à la base avec 159 morts sur un équipage total de 1 068 hommes.

A l'issue du travail de la commission d'enquête sur les causes de l'incident, des modifications ont été apportées au système de chargement des principaux canons des cuirassés et des croiseurs allemands en munitions: les silos des élévateurs d'obus et de poudre ont été dotés de portes à fermeture automatique, et les charges de poudre étaient apportées dans un conteneur résistant constitué de cuivre, de caoutchouc et de cuir. Ces mesures ne pouvaient pas écarter complètement l'éventualité d'un incendie mais la probabilité d'une explosion ou d'un incendie des stocks de munitions était considérablement réduite.

La flotte royale anglaise, dont les tourelles et les systèmes de chargement en munitions n'avaient pas été touchés, n'a pas bénéficié d'une telle expérience, —ce qui s'est reflété significativement sur le déroulement de la bataille générale à venir, qu'aucun des belligérants ne soupçonnait encore en janvier 1915.

© WikipediaCarte de la mer du Nord, ses villes et ports principaux
Carte de la mer du Nord, ses villes et ports principaux - Sputnik Afrique
Carte de la mer du Nord, ses villes et ports principaux

Deux plans, deux pièges

Plus d'un an après, la flotte allemande avait prévu une avancée tactique — les 17 et 18 mai 1916 — mais pas un affrontement avec les principales forces de l'ennemi. Les Allemands se préparaient à une nouvelle incursion de croiseurs de bataille sur la côte nord-est de l'Angleterre, espérant attirer en mer une partie de la grande flotte britannique pour l'attaquer avec ses unités principales. Si les forces principales de l'ennemi sortaient de leur base, les Allemands planifiaient une reconnaissance avec des aérostats qui aurait permis à leurs navires de partir à temps.

Un mur de sous-marins avait également été déployé près du littoral britannique. Mais l'opération n'a pas pu être lancée à temps: le croiseur Seydlitz, qui avait été endommagé fin avril en explosant sur une mine, n'avait pu être réparé totalement que le 22 mai 1916. L'amiral Reinhard Scheer, qui commandait la flotte allemande, ne voulait pas lancer l'opération sans l'un de ses meilleurs éléments, qui plus est avec son excellent équipage. Le Seydlitz fut définitivement prêt le 28 mai mais la météo s'était dégradée et il était impossible d'utiliser les aérostats.

© Wikipedia Le SMS Seydlitz, un croiseur de bataille de la Marine impériale allemande, fortement endommagé après la bataille
 Le SMS Seydlitz, un croiseur de bataille de la Marine impériale allemande, fortement endommagé après la bataille - Sputnik Afrique
Le SMS Seydlitz, un croiseur de bataille de la Marine impériale allemande, fortement endommagé après la bataille

Toutefois, tout était déjà prêt pour la sortie en mer et les sous-marins préalablement déployés devaient rentrer le 1er juin pour se ravitailler: Scheer a donc décidé de changer le plan de l'opération. Ce dernier a ordonné la sortie de croiseurs de bataille vers le détroit de Skagerrak pour perturber la navigation maritime commerciale. L'objectif final restait d'attirer l'ennemi, mais ce changement de position géographique ne permettait plus aux Anglais que d'approcher depuis l'ouest. Il était prévu d'envoyer, pour la reconnaissance sur cet axe, des destroyers et des croiseurs légers.

Pour leur part, les Anglais planifiaient leur propre opération pour attirer les Allemands dans une bataille: deux croiseurs d'escadre devaient traverser les détroits de Skagerrak et de Cattégat, pour arriver jusqu'au détroit de Sund et revenir en forçant les croiseurs de bataille allemands à mordre à l'hameçon. Les principales forces britanniques étaient censées refermer le piège sur les troupes du vice-amiral allemand Franz von Hipper.

 

Finalement, fin mai 1916, les principales forces des deux flottes étaient prêtes pour la bataille. Sur les 32 cuirassés dreadnoughts britanniques, 28 étaient opérationnels: le Royal Sovereign mis en service le 25 mai n'était pas entièrement prêt, alors que Queen Elizabeth, Emperor of India et Dreadnought, avec lequel la course était entrée dans sa dernière ligne droite dix ans plus tôt, étaient en maintenance. Le croiseur de bataille Australia était également indisponible. Chez les Allemands manquaient à l'appel les cuirassés König Albert, en maintenance pour des problèmes de moteur, et le tout nouveau Bayern mis en service deux mois plus tôt, qui manœuvrait alors en Baltique.

Pendant la préparation de l'opération les Allemands avaient mis en place des mesures de camouflage: le régime de silence radio n'avait pas été instauré pour ne pas dévoiler les préparatifs, mais les indicatifs avaient changé de propriétaire. Ainsi, l'indicatif DK appartenant au vaisseau amiral de Scheer, le cuirassé Friedrich der Grosse, avait été attribué à une station côtière. De plus, les messages étaient envoyés avec un cryptage de niveau 2, ce qui compliquait leur lecture même si les Anglais connaissaient le chiffrage allemand.

Les Britanniques ont tout de même réussi à prendre connaissances des plans allemands, et l'attribution de l'indicatif du vaisseau amiral à une station côtière avait déjà été découvert par la Room 40 (le service de décryptage de l'Amirauté britannique), mais les Anglais n'ont pas réussi à détecter la sortie en mer du Friedrich der Grosse et des principales forces allemandes: les relations tendues entre les cryptographes de la Room 40 et le bureau opérationnel de l'amirauté a provoqué un sérieux malentendu: à la requête concernant l'emplacement de l'indicatif DK, les décrypteurs ont répondu qu'il se trouvait "dans la baie de Jade" (où se situe la ville et la base navale de Wilhelmshaven), sans préciser l'appartenance de l'indicatif.

Les forces en présence

Dans la matinée du 31 mai 1916, les Anglais pensaient qu'ils auraient affaire à l'avant-garde de la flotte allemande, c'est-à-dire aux 1er et 2e groupes de reconnaissance sous le commandement du chef des forces de reconnaissance, le vice-amiral Franz von Hipper. Ils ignoraient encore que les principales forces commandées par Scheer étaient également sorties en mer.

La disposition générale était la suivante: l'amiral John Rushworth Jellicoe, chef de la flotte britannique, avait sous son commandement trois escadres de bataille (1ère, 2e, 4e) comprenant six divisions de croiseurs de bataille, soit 24 bâtiments au total — y compris le vaisseau amiral Iron Duke qui ne faisait partie d'aucune unité.

Mais les espoirs reposaient sur la 5e escadre du vice-amiral Hugh Evan-Thomas, composée de seulement quatre navires contrairement aux quatre premières unités — mais il s'agissait des tout nouveaux croiseurs de bataille de classe Queen Elizabeth dotés d'un blindage efficace et d'une artillerie principale de 381 mm, pouvant atteindre une vitesse de 24 nœuds soit 3 nœuds de plus que la colonne des forces principales. Ils avaient une mission spécifique: grâce à leur vitesse, ils devaient accompagner les croiseurs de bataille plus rapides de David Beatty en lui assurant une suprématie de feu sur les bâtiments de Franz von Hipper, pour encercler la "tête" du convoi ennemi.

Le groupe de l'avant-garde britannique commandé par Beatty, hormis la 5e escadre, se composait des 1ère et 2e escadres de croiseurs de combat — soit cinq bâtiments chacune. Beatty tenait le pavillon sur le croiseur de bataille Lion qui, comme l'Iron Duke, ne faisait formellement partie d'aucune unité. La troisième escadre de croiseurs de bataille du vice-amiral Horace Hood, comptant trois navires, a été intégrée à la grande flotte et devait passer sous le commandement de Beatty après la rencontre avec l'ennemi.

Au total, 42 navires lourds de la flotte royale accompagnés par 109 croiseurs, destroyers et navires logistiques sont partis au combat côté anglais. Leur puissance de feu représentait 272 canons: 48 de 381 mm, 10 de 356 mm, 110 de 343 mm et 104 de 305 mm. Le poids de la bordée totale des navires britanniques s'élevait à 150,76 tonnes.

Les forces principales de la flotte allemande semblaient bien plus modestes: la ligne de combat comptait deux escadres (1ère et 3e) comprenant quatre divisions de croiseurs de bataille et, comme chez les Britanniques, le vaisseau amiral Friedrich der Grosse qui ne faisait partie d'aucune unité. L'avant-garde de Franz von Hipper, composée de deux groupes de reconnaissance, comptait cinq croiseurs de bataille et cinq croiseurs légers.

De plus, à la veille de la sortie en mer, Reinhard Scheer avait ordonné d'inclure la 2e escadre de croiseurs de bataille — six cuirassés ancêtres du dreadnought — pour compenser partiellement la supériorité des Anglais en armements lourds. Inconvénient: leur vitesse de navigation était basse et leur protection faible. Les cuirassés gênaient donc plutôt les actions des forces principales. Au total, les Allemands ont envoyé au combat 27 navires lourds avec 200 canons — 128 de 305 mm et 72 de 280 mm. Le poids de la bordée allemande s'élevait à 60,88 tonnes. 11 croiseurs légers et 61 destroyers étaient accompagnés par les forces légères. Le rapport du nombre de fanions était de 151 contre 99 au profit des Britanniques.

Toutefois, les Allemands avaient également des atouts: leurs cuirassés, à l'exception des navires obsolètes de la 2e escadre, étaient mieux protégés que leurs homologues anglais, bénéficiaient d'une répartition plus rationnelle en compartiments hermétiques, et les équipages allemands se distinguaient par leur excellente préparation en artillerie.

 

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.

Fil d’actu
0
Pour participer aux discussions, identifiez-vous ou créez-vous un compte
loader
Chat
Заголовок открываемого материала